Réforme retraites 2023

Médiapart - Retraites : comment le chômage des seniors alourdit les dépenses

Mars 2023, par Info santé sécu social

Le contesté projet de réforme des retraites sera examiné à partir du 2 mars par les sénateurs. L’exécutif en appelle « au bon sens » en prônant de nécessaires économies. Or la première réforme des retraites de 2010 a coûté cher à l’assurance-chômage, du fait de la hausse du nombre de seniors sans emploi à indemniser.

Cécile Hautefeuille
1 mars 2023 à 19h54

Le document vient tout juste d’être rendu public. L’Unédic, gestionnaire de l’assurance-chômage, a mis en ligne mercredi 1er mars en fin de journée une publication très éclairante sur « les interactions entre emploi, chômage et retraite » et leurs évolutions depuis 2010, date d’entrée en vigueur de la dernière réforme des retraites, repoussant l’âge légal de départ de 60 à 62 ans.

Ce document, que Mediapart s’est procuré avant publication, démontre que pour indemniser les 55 ans et plus, l’assurance-chômage dépense toujours plus : + 38 % depuis 2010. La CGT, dans un communiqué, alerte sur ces chiffres alors que le gouvernement entend faire passer une nouvelle réforme visant à faire travailler les salarié·es deux années supplémentaires, jusqu’à 64 ans.

Pour le syndicat, l’exécutif va tout simplement déshabiller Pierre pour habiller Paul en reportant les dépenses des pensions de retraite pour les plus de 62 ans vers l’assurance-chômage. « Si le gouvernement affirme que la réforme des retraites va permettre de faire des économies importantes, tout comme celles de l’assurance-chômage, il omet de documenter le transfert de charges, avec la part augmentée de seniors au chômage jusqu’à 64 ans et plus », dénonce le communiqué, fustigeant « l’argumentaire pernicieux » de l’exécutif.

Le syndicat a par ailleurs fait « des demandes de chiffrage » à l’Unédic. Les réponses, que Mediapart a également pu consulter, jettent une lumière crue sur les inégalités de genre, les motifs de licenciement des seniors ou encore les effets de la réforme de l’assurance-chômage, couplée à celle des retraites.

Mediapart l’a maintes fois documenté : les entreprises se débarrassent de leurs seniors, l’âge est ensuite un frein majeur du retour à l’emploi (à tel point qu’un tiers des chômeurs de longue durée sont aujourd’hui des seniors) mais le gouvernement persiste à vouloir reculer l’âge légal de départ en retraite.

Alors que le Sénat entame jeudi 2 mars, en séance publique, l’examen du projet de loi, et à quelques jours (le 7 mars) d’un appel au « blocage du pays », reconductible dans certains secteurs, ces nouvelles données de l’Unédic apporteront sans nul doute du grain à moudre aux opposants au texte.

Les femmes, encore et toujours les grandes perdantes
Après 55 ans, les femmes au chômage sont plus nombreuses que les hommes (54 %) mais beaucoup moins indemnisées. À 62 ans et au-delà, elles perçoivent en moyenne 772 euros de moins ! Leur allocation-chômage atteint péniblement 977 euros quand celle des hommes grimpe à 1 749 euros. D’ailleurs, plus l’âge l’avance et plus les inégalités se creusent. L’écart est « seulement » de 300 euros entre 50 et 54 ans et de 140 euros en dessous de 50 ans.

« Les différences d’indemnisation entre hommes et femmes sont exacerbées chez les seniors », souligne l’Unédic, dans ses réponses à la CGT. « Parmi les allocataires indemnisés fin juin 2022, alors que les hommes seniors ont une indemnisation supérieure à leurs homologues plus jeunes, celle des femmes varie peu avec l’âge », note encore l’organisme.

La réforme voulue par le gouvernement va pénaliser les femmes pour qui le report de l’âge légal sera plus marqué. Celles de la génération 1980 partiront par exemple huit mois plus tard, contre quatre mois pour les hommes. Il en sera sans doute de même pour les femmes au chômage. Selon l’Unédic, les sorties de l’indemnisation pour cause de départ en retraite sont déjà plus tardives pour les femmes. « En 2021, [elles] sortent deux fois moins d’indemnisation entre 55 et 61 ans pour un départ en retraite que les hommes. » À l’opposé, elles sont plus nombreuses à sortir passé 62 ans, puis passé… 66 ans.

Au regard des montants d’indemnisation chômage versés aux femmes seniors, jusqu’à 44 % plus bas que les hommes après 62 ans, on peut légitimement s’interroger sur le sort qui leur sera réservé, si elles doivent rester plus longtemps au chômage, dans l’attente de la retraite.

Des dépenses d’indemnisation des seniors qui explosent

Indemniser les seniors coûte de plus en plus cher au régime d’assurance-chômage. Si les dépenses entre 2010 et 2022 ont augmenté pour l’ensemble des chômeurs et chômeuses, elles sont plus fortes, en proportion, pour les 55 ans et au-delà : + 38 % (+ 1,8 milliard d’euros), contre 16 % de hausse pour les tranches d’âge en deçà.

Ces allocataires de plus 55 ans « sont moins diplômés que les plus jeunes » et « travaillaient majoritairement en CDI », précise l’Unédic. La moitié d’entre eux a connu un licenciement (50 %, contre 17 % pour les moins de 25 ans) et un licenciement sur quatre l’est... pour une inaptitude au travail.

Qu’adviendra-t-il en cas de nouveau report de l’âge légal ? L’économiste Michaël Zemmour, spécialiste des retraites et pourfendeur des mensonges du gouvernement, détaille sur son blog les chiffres avancés par diverses administrations : « On peut estimer que la réforme des retraites augmenterait le nombre d’allocataires de minima sociaux (RSA et ASS) de 60 000 et le nombre de personnes au chômage indemnisées de l’ordre de 84 000. » Selon lui, en ajoutant les personnes sans aucune prestation sociale, « la réforme maintiendrait de l’ordre de 150 000 à 200 000 personnes dans le sas de précarité entre l’emploi et la retraite ».

Le basculement dans la grande précarité de nombre de seniors est flagrant. Tout comme le « transfert de charges », dénoncé par la CGT.

D’ailleurs concernant les dépenses, l’Unédic note qu’elles ont presque triplé pour les 60-61 ans et doublé pour les 62-66 ans. Entre juin 2010 et juin 2022, l’Unédic a ainsi comptabilisé 100 000 allocataires indemnisés supplémentaires de 60 ans et estime qu’une partie de cette hausse peut être imputée au recul de l’âge légal de 60 à 62 ans.

« À l’approche de la retraite, on observe une baisse des cotisations chômage et une hausse des allocations versées », précise encore l’organisme à propos de cette « inversion de balance » entre les recettes et les dépenses. Et c’est là qu’interviennent les réformes de l’assurance-chômage de 2021 et 2023 et les 7 milliards d’euros d’économies attendues sur le dos des chômeurs et des chômeuses en 2027. « Ces réformes induisant des moindres dépenses d’allocations, la balance recettes-dépenses pourrait présenter un solde positif (ou légèrement négatif) à tous les âges dans les prochaines années », écrit l’Unédic.

Une démonstration supplémentaire que les réformes des retraites et de l’assurance-chômage sont complémentaires, comme Mediapart l’a déjà écrit.

Vers une diminution du maintien des droits jusqu’à la retraite ?

La première réforme de l’assurance-chômage a réduit l’accès et le montant des allocations. La seconde, entrée en vigueur le 1er février 2023, est venue s’attaquer à la durée des versements. Et cela pourrait bien pénaliser les seniors au chômage en grignotant leur accès au dispositif de maintien des droits.

Il permet aux 62 ans et plus n’ayant pas le nombre de trimestres pour une retraite à taux plein de bénéficier du maintien de leurs allocations chômage jusqu’à la retraite, même si leurs droits sont épuisés. Il est accordé sous certaines conditions, dont celle d’être indemnisé depuis au moins un an.

Or, selon l’Unédic, 7 % des bénéficiaires actuels du dispositif en seraient tout simplement privés du fait de la réforme, s’ils s’étaient inscrits après son entrée en vigueur. « La durée de leurs droits aurait été insuffisante pour pouvoir être couverts par le dispositif », écrit le gestionnaire de l’assurance-chômage, dans ses éléments chiffrés, transmis à la CGT. C’est ce qu’on appelle la double peine. Et elle ne va certainement pas s’alléger, si la réforme des retraites entre en vigueur.

Cécile Hautefeuille