Les retraites

Médiapart - Retraites : les discussions au point mort, le gouvernement pense s’en sortir rapidement

Janvier 2020, par Info santé sécu social

6 JANVIER 2020 PAR ELLEN SALVI

Après un mois de mobilisation, le gouvernement a repris mardi les discussions avec les responsables syndicaux. Chacun campe sur ses positions, mais l’exécutif affiche sa confiance. Le compromis n’a jamais été « aussi proche », prédisent même certains ministres. Une nouvelle réunion consacrée à la seule question du financement est prévue vendredi matin.

En apparence, rien n’a bougé. Comme l’avait annoncé Matignon pendant les fêtes, les discussions entre Édouard Philippe, les ministres concernés de près par la réforme des retraites, et les partenaires sociaux ont repris mardi 7 janvier au point où elles avaient été laissées le 19 décembre. Avec les mêmes revendications syndicales et avec la même confiance gouvernementale. « Les propositions du gouvernement ne sont pas de nature à arrêter la grève », a affirmé la secrétaire confédérale de la CGT Catherine Perret, à la sortie de la réunion.

Après un mois de mobilisation sociale contre ce projet d’Emmanuel Macron, chacun campe sur ses positions : la CGT et Force ouvrière (FO) réclament toujours le retrait pur et simple du texte ; la CFDT et l’Unsa s’opposent toujours à l’âge pivot ; et le premier ministre estime toujours que cette mesure paramétrique constitue la meilleure garantie d’un système à l’équilibre. Deux nouvelles journées de manifestations sont prévues les 9 et 11 janvier.

Malgré cette situation de blocage, plusieurs membres du gouvernement sont persuadés que le « compromis rapide » demandé par le chef de l’État lors de ses vœux aux Français n’a jamais été « aussi proche ». C’est du moins ce qu’a assuré, lundi matin, sur France Inter, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire. Lors d’une réunion à huis clos du bureau exécutif de La République en marche (LREM), organisée le soir, Édouard Philippe a lui aussi fait part de son « optimisme » aux cadres du parti.

« J’ai l’impression que le président de la République et le premier ministre savent où ils veulent atterrir, confiait à Mediapart un membre du gouvernement à l’issue du conseil des ministres de rentrée, qui s’est tenu le 6 janvier. On n’est pas du tout dans le moment de sidération que nous avons connu en décembre 2018 avec les gilets jaunes. » « Nous avons fait beaucoup de propositions et nous attendons désormais des retours », avait encore indiqué le chef du gouvernement lundi soir, avant de rappeler le lendemain, sur RTL, qu’un compromis nécessite que « chacun bouge un peu ».

Cette décontraction affichée est d’autant plus étonnante qu’on voit mal comment l’exécutif va pouvoir satisfaire les revendications de toutes les personnes en grève depuis des semaines. D’ailleurs, ce n’est pas tant la question, reconnaît un ministre, confirmant que rien n’est prévu, dans les jours ni les semaines à venir, pour contenter ceux qu’il appelle « les jusqu’au-boutistes ». « Dans les gens qui font grève, vous avez des gens qui sont par nature radicalement opposés à un régime universel, radicalement opposés à la suppression des régimes spéciaux », a souligné Édouard Philippe, notant au passage que « la mobilisation dans la grève [avait] diminué progressivement ».

Le seul « compromis » envisagé se fera donc avec les syndicats qui soutiennent le principe d’un régime universel par points. Et il devrait logiquement tourner autour de ce fameux âge pivot – que le pouvoir préfère qualifier d’« âge d’équilibre ». Le texte, qui sera soumis au conseil des ministres le 24 janvier, pour une première lecture à l’Assemblée nationale « avant les municipales » et une lecture définitive achevée « d’ici l’été », selon la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, a déjà été envoyé au Conseil d’État avec la mention du fameux âge pivot. « Mais il peut y avoir une lettre rectificative », précise un ministre, en référence à la « ligne rouge » posée de longue date par la CFDT.

Son secrétaire général Laurent Berger a d’ailleurs rappelé dimanche soir, sur France 2, son opposition à cette mesure qu’il juge « injuste » et « inutile ». « Il faut retirer cet âge pivot du projet », a-t-il insisté, comme un préalable aux discussions. Interrogé sur la proposition du président de l’Assemblée Richard Ferrand, que l’on sait proche d’Emmanuel Macron, de limiter dans le temps le malus en cas de départ à la retraite avant 64 ans, Laurent Berger s’est contenté de répondre que « tout se discute mais pas dans ce projet de loi ». « Si le gouvernement met l’âge pivot dans ce projet, ça veut dire qu’il mélange des choux et des carottes », a-t-il ajouté.

Mais cette option agace le Medef, dont le patron assure qu’« il faut absolument une mesure d’âge » dans la copie qui sera bientôt examinée par le Parlement. Mardi matin, Geoffroy Roux de Bézieux a d’ailleurs quitté la réunion, en expliquant vouloir « que le gouvernement donne le coût total » de la réforme. « La solution d’équilibre devra être dans le projet de loi », a-t-il répété, se disant opposé à un système en deux temps, comme le souhaite la CFDT, mais aussi l’Unsa. Le secrétaire général de cette dernière, Laurent Escure, a indiqué rester « mobilisé par toutes les formes d’action pour dénoncer ces mesures d’équilibre ». Et ce, « tant que les clarifications n’auront pas lieu ».

Depuis dimanche, Laurent Berger plaide en faveur d’« une conférence de financement » du système de retraite, distincte du texte et courant jusqu’à fin juillet. Une « bonne idée » pour le premier ministre, qui a indiqué sur RTL qu’il allait faire aux partenaires sociaux un certain nombre de propositions, qui « permettront peut-être de donner un contenu, un calendrier et un mandat à cette conférence ». Une nouvelle réunion consacrée à ce seul sujet est prévue vendredi matin, au lendemain d’une nouvelle journée de mobilisation.

Le secrétaire général de la CFDT a pris acte de ce qu’il estime être un « signe d’ouverture ». « On note la volonté d’ouverture sur la question du financement du système des retraites, a-t-il dit à la sortie de la réunion. Cependant, cette ouverture, il faut qu’elle aille plus loin en rejetant maintenant du projet de loi la question de l’âge pivot. » Laurent Berger a également affirmé que la CFDT allait « continuer son action », à savoir une pétition lancée lundi « qui est partie très, très fort » selon lui – il y avait seulement 7 000 signatures à 13 h 30 –, ainsi que des « actions de sensibilisation » auprès des parlementaires et des citoyens. Le syndicat appelle également à la mobilisation « dans les territoires » samedi 11 janvier, « sur [ses] revendications ».

Cette fois-ci, les partenaires sociaux ne se sont pas retrouvés rue de Varenne – Édouard Philippe n’y a d’ailleurs assisté que pendant une heure, de 9 h 30 à 10 h 30, entre le petit-déjeuner de la majorité et un rendez-vous avec les ministres Jacqueline Gourault et Julien Denormandie –, mais au ministère du travail. Lequel ministère du travail n’a fourni un déroulé de la journée qu’en toute fin d’après-midi, lundi. C’est dire l’importance qu’accorde le gouvernement à ce type d’échanges.

« À la fin, on arrivera à une combinaison »
Depuis le début du mouvement social, le gros des discussions se fait en réalité en coulisses, directement entre le président de la République, le premier ministre, leurs plus proches conseillers et les partenaires sociaux. Contrairement à la version racontée un peu partout dans la presse – parce qu’elle arrange bien l’Élysée –, le duo de l’exécutif est parfaitement raccord sur le sujet, y compris celui de l’équilibre. Quant aux autres, ils suivent le mouvement et répètent inlassablement ce qu’on leur dit. Laurent Pietraszewski, le premier.

Dans une interview récemment accordée au Parisien, le nouveau secrétaire d’État chargé des retraites, qui a remplacé Jean-Paul Delevoye après sa démission contrainte, s’est réjoui d’entrer dans une nouvelle concertation, tout en fermant la porte à bon nombre de pistes avancées par les syndicats. Promouvant l’âge pivot à 64 ans – « un vrai progrès social », selon lui –, l’ancien responsable des ressources humaines au sein du groupe Auchan a aussi indiqué qu’il n’y aurait pas d’amélioration de la prise en compte de pénibilité. « Les critères du C2P, on va les garder, mais on ne va pas remettre des critères purement formels qui ne fonctionnaient pas », a-t-il affirmé.

Quant aux mesures d’économie, celles-là mêmes qui crispent la CFDT et l’Unsa, elles sont indispensables, a ajouté Laurent Pietraszewski, toujours dans Le Parisien. Pour lui, « c’est juste se comporter en bon père de famille ». Ces propos ont eu le don d’agacer Laurent Berger, qui y a vu, sous-jacents, un « vrai problème » et une « conception du dialogue très particulière ». « Il est de notre responsabilité, de ma responsabilité, de veiller à ce que le système futur soit équilibré et je ne démords pas de ça », a insisté Édouard Philippe, mardi matin.

Au sein de la majorité, une vingtaine de députés ont également fait connaître leurs propositions – dont une modulation de l’âge d’équilibre suivant la pénibilité – pour une « réforme acceptable ». « Ce n’est pas lâcher prise que de revoir notre copie », a aussi fait valoir l’élu LREM de l’Hérault, Patrick Vignal. Mais ces maigres critiques n’inquiètent guère en plus haut lieu. « Ce sont toujours les quinze mêmes qui râlent », balaie un ministre.

De son côté, le gouvernement martèle qu’il revient aux partenaires sociaux de se mettre d’accord sur une autre proposition que celle de l’âge pivot pour lancer le nouveau système à l’équilibre. Du moins, si elle existe. Car comme l’avait dit Édouard Philippe fin décembre, les marges de manœuvre « ne sont pas immenses » : le scénario d’une baisse nominale des pensions est écarté par toutes les parties, celui d’une hausse des cotisations salariales est rejeté par le Medef et le gouvernement.

Difficile, donc, de voir une autre solution que celle proposée par l’exécutif. « À la fin, on arrivera à une combinaison », souligne un ministre. Une sorte de cocktail, en somme. Au gouvernement, certains estiment que la première sortie de Laurent Berger, juste après le discours d’Édouard Philippe devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le 11 décembre, était « trop virulente » et qu’il a eu du mal, par la suite, « à mettre en exergue les avancées » qu’il avait obtenues. « Pour beaucoup d’acteurs, il faut du temps pour s’approprier beaucoup de sujets », a aussi glissé le premier ministre, mardi matin.

En tout état de cause, l’exécutif n’a aucune intention de renvoyer le sujet de l’équilibre à plus tard. Plus l’élection présidentielle de 2022 approche, plus la perspective de parler d’économies s’éloigne. « Personne ne fera campagne pour l’âge pivot en 2021, à un an de la présidentielle », admet un ministre. D’autant qu’il reste encore beaucoup de choses à mettre sur la table de ce côté-là. Car quelle que soit la nature du futur « compromis » sur les mesures dites « paramétriques », les éléments sur le cadrage financier de la réforme sont encore très flous.

Pour l’heure, aucun chiffre n’est sorti sur le coût que représentera la transformation du système de retraite. Ni même celui des concessions faites à une dizaine de professions depuis le début du mouvement social. Car si rien n’a bougé en apparence, comme nous l’écrivions plus haut, le gouvernement a en réalité adapté sa réforme universelle au cours des dernières semaines. Tant et si bien que Les Républicains (LR), pourtant favorables au projet, estiment désormais qu’il « n’a plus de sens », et en demandent le retrait.

Les grévistes de la RATP et de la SNCF n’ont pas obtenu le maintien de leur régime spécial, mais des délais supplémentaires avant l’intégration au régime universel. EDF et Engie auront également des transitions plus lentes. Les policiers conserveront leurs départs anticipés à 52 ans, y compris ceux qui n’occupent pas des fonctions dangereuses. Les danseurs de l’Opéra de Paris se sont vu accorder la « clause du grand-père » – la première génération concernée par le nouveau système sera celle embauchée en 2022. Les personnels de l’aviation civile garderont leur régime complémentaire. Les marins pêcheurs et les indépendants ont eux aussi obtenu quelques dérogations.

« Depuis le lancement de la reforme, malgré les oppositions, j’ai été très clair : le gouvernement ne reviendra pas sur la suppression des régimes spéciaux », avait pourtant affirmé Édouard Philippe, le 19 décembre. Le gouvernement parle désormais de « régimes spécifiques » et assure à qui veut l’entendre que le principe de l’universalité est respecté. « Parce que comme l’a dit le président de la République dès sa campagne, un système universel ne signifie pas la négation de toute spécificité », avait anticipé le premier ministre, lors de son discours devant le CESE.

Pour éviter de se dédire, le gouvernement réajuste le fond de son projet en manipulant la forme et en jouant sur les mots. Tout est une question de communication et de présentation des choses. Car tout est une question d’opinion. « Pour tous ceux qui sont favorables au régime universel [au sein de l’exécutif comme parmi les syndicats – ndlr], il s’agit de sortir de la crise sans donner le sentiment de “céder”, souligne un ministre. Il faut que personne ne se sente humilié. » Pour tous les autres, le pouvoir ne cherche même pas de solution, persuadé qu’ils ne seront de toute façon jamais d’accord. Et qu’ils finiront par se lasser.