Réforme retraites 2023

Médiapart - Retraites : pour le gouvernement, la semaine de tous les dangers

Février 2023, par Info santé sécu social

Le projet de loi gouvernemental arrive lundi à l’Assemblée nationale, où le camp présidentiel n’est pas assuré d’avoir une majorité. Pour convaincre les récalcitrants, Élisabeth Borne a annoncé dimanche plusieurs concessions… qui n’ont pas convaincu grand-monde. En attendant la double mobilisation de mardi et samedi, l’exécutif se retrouve lesté par un nouveau boulet : l’affaire Dussopt.

Pauline Graulle et Ilyes Ramdani
5 février 2023

La nouvelle arrive au pire moment possible pour l’exécutif. Depuis la révélation par Mediapart, vendredi, des accusations de « favoritisme » visant le ministre du travail, le camp présidentiel tente d’éteindre le scandale. « Olivier Dussopt a toute ma confiance, a redit la première ministre dans le Journal du dimanche. C’est un homme engagé, un ministre solide et un élu attaché à son territoire. Il défendra notre projet à l’Assemblée nationale. »

Une ligne déjà exprimée par Élisabeth Borne à l’AFP, dès vendredi soir. Si la cheffe du gouvernement met autant d’énergie à conforter son ministre, c’est qu’elle sait la période trop périlleuse pour l’attaquer fragilisé. Dès lundi et pour deux semaines, Olivier Dussopt doit défendre la réforme dans l’hémicycle du Palais-Bourbon. Et mardi, les organisations syndicales ont convoqué une troisième journée de manifestations après le succès des deux premières.

La concomitance de calendrier a fait glisser une partie de la majorité sur la pente du complotisme. « La tradition des boules puantes », a par exemple commenté Marc Ferracci, député Renaissance en première ligne sur les retraites. Une référence à la publication de cette information « trois jours avant le débat des retraites », a-t-il précisé. Sa collègue Maud Bregeon, porte-parole de Renaissance, a fait mine de s’interroger sur l’antenne de BFMTV : « Ça gêne qui de parler du fond ? »

L’opposition de gauche a préféré, elle, pointer du doigt l’inconfort de la position d’Olivier Dussopt. « Cette affaire l’affaiblit moralement et le disqualifie pour porter cette réforme, a jugé le socialiste Philippe Brun sur la même chaîne d’information. Il est difficile de demander aux gens des efforts quand on n’est pas irréprochable. Quand on est accusé de favoritisme, on doit se mettre en retrait de ses fonctions publiques. »

Les concessions du dimanche, la fébrilité du lundi
Les deux têtes du gouvernement voient en tout cas les voyants passer, les uns après les autres, au rouge. Secoué par la rue, contesté dans ses rangs, le pouvoir a échoué dans son projet de convaincre les Français et les Françaises de la justice puis de la nécessité de la réforme. Sa dernière voie de passage se trouve au Parlement, où le projet de loi va entamer un cheminement express de cinquante jours.

Ainsi Élisabeth Borne a-t-elle choisi de réserver des annonces inattendues au JDD, dimanche. « Nous allons bouger », annonce la première ministre en une de l’hebdomadaire dominical. Bouger, oui, mais vers la droite. « Je suis convaincue que le groupe [Les Républicains – LR] sera cohérent avec ce qu’il a toujours porté », déclare-t-elle dans cet entretien destiné à convaincre l’opposition de droite de voter le texte.

Dans le détail, Élisabeth Borne annonce notamment faire droit à la volonté exprimée par LR d’une dérogation au nombre d’annuités nécessaires pour celles et ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans. Promettant « d’étendre le dispositif carrières longues » à cette frange de la population, estimée à « 30 000 personnes par an » au maximum, la cheffe du gouvernement surligne le geste politique : « Vous le voyez, nous entendons [la] demande » des députés LR, explique-t-elle au JDD.

En réalité, le gouvernement donne surtout à voir, à travers ces concessions, l’état de fébrilité dans lequel il se trouve. Invitée jeudi soir de France 2, la première ministre s’était contentée de rappeler le caractère « nécessaire » de la réforme. Pire, face aux journalistes le 23 janvier, elle critiquait une revendication « jamais soulevée » par les organisations syndicales, qui revenait, selon elle, à « ne pas prendre en compte que notre système repose sur deux paramètres, la durée de cotisation et l’âge légal ». « Si on veut que la durée de cotisation devienne le seul critère, il faut inventer un autre système de retraites », cinglait-elle.

Les certitudes de janvier n’ont pas résisté à la panique de février. À la veille de l’arrivée du texte au Parlement, les conseillers de l’exécutif ont constaté une réalité arithmétique évidente : à l’heure dite, le gouvernement n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale. Or, estime Élisabeth Borne, la réforme ne peut pas affronter trois vents contraires en même temps : l’hostilité de la rue, la mobilisation des syndicats dans les entreprises et le secteur public et le contournement du Parlement. « Une chose est d’humilier le Parlement, une autre est d’humilier le peuple souverain », avertit le communiste Sébastien Jumel.

Élisabeth Borne ne devrait pas se moquer de nous. Cette annonce est une tromperie qui ne respecte ni LR, ni les Français.
Aurélien Pradié, député du Lot et numéro 2 de LR

« Je souhaite trouver une majorité », réaffirme Élisabeth Borne dans le JDD ce dimanche. Un message envoyé aux députés mais aussi en interne : à l’Élysée et au gouvernement, certains ne trouvaient pas aberrant d’utiliser les procédures à disposition (l’article 49 alinéa 3 et/ou l’article 47-1 de la Constitution). « Elle veut absolument dealer avec LR, décrypte un conseiller de l’exécutif. Donc elle tente toutes les concessions nécessaires pour convaincre tout le groupe. »

Comme toutes celles que mène le pouvoir ces temps-ci, l’opération n’a pas eu l’effet escompté. « Élisabeth Borne ne devrait pas se moquer de nous, a cinglé le député Aurélien Pradié, numéro 2 de LR, sur Twitter. Comment un travailleur qui débute à 20 ans pourrait valider 5 trimestres avant ses 21 ans comme l’impose le dispositif carrières longues ? Cette annonce est une tromperie qui ne respecte ni LR, ni les Français. »

Indispensable au gouvernement, le soutien du groupe LR paraît donc loin d’être acquis. Comme un avertissement, 25 députés du parti de droite (sur les 62 que compte le groupe) ont ainsi cosigné cinq amendements de suppression de l’article 7, celui qui reporte l’âge légal, au nom de la justice envers les femmes, des « Français qui travaillent dur au détriment de ceux qui vivent des allocations », ou de ces carrières longues qui conduiront à travailler quarante-quatre annuités au lieu de quarante-trois.

Au petit jeu de l’arithmétique parlementaire, le gouvernement suit aussi les états d’âme de sa majorité comme le lait sur le feu. Dans le JDD, Élisabeth Borne tend d’ailleurs la main au MoDem et à Horizons en acceptant l’élargissement des modalités de l’index d’emploi des seniors. « Nous sommes favorables aux amendements des députés de la majorité l’étendant progressivement aux entreprises de plus de 50 salariés », annonce la première ministre, non sans quelques réserves.

Même « bougé » sur la « clause de revoyure » réclamée en 2027 par les partenaires de la majorité. Jusque-là inflexible sur la question, au point qu’elle avait provoqué une engueulade entre Olivier Dussopt et un député Horizons en réunion de majorité, le gouvernement semble avoir évolué. « J’entends la demande du groupe MoDem et de LR d’avoir un bilan d’étape à mi-parcours de la réforme, avance-t-elle. Je n’y vois pas d’objection mais il ne faut pas perdre de vue l’objectif que nous nous fixons avec le président de la République : l’équilibre du système en 2030. »

Des concessions de dernière minute aux effets encore difficiles à lire. Aurore Bergé, présidente des députés Renaissance, a beau répéter que « pas une voix » de son groupe ne fera défaut, il apparaît de plus en plus compliqué de verrouiller ces « Marcheurs » aux prises avec le mécontentement de leurs administrés. Les stratèges du camp présidentiel anticipent deux semaines tendues, où la mobilisation massive des soutiens à la réforme s’annonce primordiale pour ne pas être mis en minorité. « Il va falloir qu’on envoie un texto dès qu’on va aux toilettes », plaisante une députée macroniste.

Dans ce contexte incertain, le coup de semonce de la semaine dernière n’est pas passé inaperçu. Mardi, alors que la deuxième manifestation nationale battait son plein au-dehors, un article de suppression de l’article 7 reportant de 62 à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite a été adopté, à la surprise générale, par les députés de la commission de la défense, consultée pour avis. Si, loi budgétaire oblige, le vote en commission n’a pas de valeur législative, beaucoup se sont interrogés sur la présence clairsemée des députés Renaissance en séance…

Une mésaventure moins anecdotique qu’elle n’en a l’air. « Au moment du vote sur les lois budgétaires cet hiver, les macronistes ont justifié leurs dix 49-3 par l’onction démocratique qui avait été donnée en commission, pointe l’écologiste Sophie Taillé-Polian. Là, ils ne pourront pas le faire. »

La « peau de banane » de l’Assemblée
Une mobilisation que la gauche va tenter de galvaniser depuis l’hémicycle, en déployant ses arguments sur le cœur de la réforme et en contrant frontalement la majorité. « Seule une combinaison de la rue et de l’Assemblée peut conduire vers une victoire, analyse Jean-Luc Mélenchon. Emmanuel Macron a perdu la bataille idéologique, et le passage à l’Assemblée pourrait être la peau de banane sur laquelle le gouvernement va glisser. Là-dessus, un événement fortuit peut tout faire basculer », espère l’ancien candidat à la présidentielle.

Dans l’hémicycle, l’enjeu consiste donc à prendre la main sur les thématiques et le tempo des débats durant les dix jours à venir. Avec un objectif : faire durer les discussions sur l’article 7 qui cristallise la colère, et sur lequel portent la moitié des 18 000 amendements déposés par la Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale). « Il faut empêcher la majorité de se dérober et engager un affrontement frontal sur cet article. Le reste, c’est de la broderie », estime François Ruffin, chef de file sur le texte pour La France insoumise (LFI).