Les retraites

Médiapart - Retraites : que signifie « carrière complète » ?

Janvier 2020, par Info santé sécu social

15 JANV. 2020 PAR YVES FAUCOUP BLOG : SOCIAL EN QUESTION

Le projet de loi de la réforme des retraites est sorti : le ministère ne l’a pas diffusé mais on le trouve sur Internet. Il est censé instituer « un système universel de retraite ». En ce qui concerne la retraite minimale (à 1000 euros), s’il exige 43 années de cotisations (« carrière complète »), il est imprécis sur l’ouverture des droits et ne reprend pas les engagements du secrétaire d’État.

Sans reprendre tout ce que contient le projet de loi, souvent déjà connu, je voudrais ici m’arrêter sur la notion de taux plein, de carrière complète, d’âge légal de départ. Ce dernier est bien fixé à 62 ans mais si l’âge pivot a été retiré ce n’est que subterfuge : la complexité d’ensemble du dossier fait que beaucoup croient qu’il n’est plus dans le projet. Or non seulement cette modalité (décote de 5 % par an pour départ avant 64 ans) qui devait s’appliquer à presque tous les futurs départs en retraite n’est que suspendue, mais elle est là et bien là dans le projet de loi : non seulement chaque assuré devra avoir totalisé des points calculés sur toute sa carrière (et non pas sur les 25 meilleures années, ce qui implique de facto une baisse de sa pension) mais en plus il devra respecter un âge d’équilibre, propre à sa génération (son espérance de vie) et tenant compte de l’équilibre du budget général des retraites.

Donc le taux plein (c’est-à-dire sans décote) c’est lorsque l’âge d’équilibre est atteint : il pourra être de 64, 65, 68 ans dans les années à venir (ou plus).

Une autre question se pose : que signifie carrière complète ? Faut-il avoir cotisé un certain nombre d’années pour avoir droit à sa retraite ? Me fondant sur les explications emberlificotées de Laurent Pietraszewski, le secrétaire d’Etat aux retraites, lors du débat sur France 2 (Vous avez la parole) le 9 janvier, j’en avais déduit une double peine : âge pivot avec décote pour départ à 62 ans, et durée de cotisation de 43 ans. En effet, répondant à une question précise de Philippe Martinez pour savoir ce que signifiait une « carrière complète », il avait dit que la loi Touraine de 2014 (sous Hollande) était maintenue. Puis il avait botté en touche ne voulant pas être « trop technique » et Léa Salamé avait accepté qu’il passe à un autre sujet alors que celui-ci aurait mérité d’être approfondi.

Deux jours plus tôt, le 7 janvier, à l’Assemblée Nationale, lors des questions au gouvernement, le secrétaire d’État avait répondu au député Jean-Paul Mattéi (Modem) qui lui avait demandé combien d’années de cotisations étaient nécessaires pour avoir une carrière complète : « Votre question, un peu technique, vise à savoir comment cette durée sera appréciée. De même qu’aujourd’hui, on vérifiera que la personne a bien travaillé à hauteur de 600 heures payées au SMIC pour valider une année – à savoir 150 heures par trimestre, quatre fois. Cela simplifiera la situation de ceux qui exercent sous plusieurs statuts dans une même année, puisqu’il sera possible de regrouper les emplois sous la forme d’un volume horaire afin de valider leurs cotisations. Nous conserverons le calendrier prévu dans la réforme Touraine, à savoir 43 ans de cotisations pour constituer une carrière complète. » Il s’agit du compte-rendu écrit officiel. J’ai écouté la bande-son : c’est bien ce qu’il dit (plus précisément, il dit : « on restera sur le calendrier prévu par la réforme Touraine »). Je dois cependant préciser qu’un peu plus tôt, s’adressant à ce député, il dit : « Vous évoquez également le minimum de pension, qui vise par définition à améliorer les droits des personnes ayant eu une carrière de faible durée, parfois en ayant commencé tôt. » Il dit bien « de faible durée » (vérifié sur la vidéo). Il semblait donc parler du minimum contributif et la façon de déterminer l’ouverture des droits, mais se mélange les pinceaux : sans doute voulait-il dire « de faible montant », car si 43 ans sont exigés, par définition, on n’est pas sur une carrière de faible durée.

Il est interrogé ensuite par Adrien Quatennens (France Insoumise) qui ne lui parle pas du minimum de pension, mais lui demande précisément : « quand on calcule la retraite sur la base de trimestres et d’annuités, comme c’est le cas aujourd’hui, on sait ce que veut dire une carrière complète ; en revanche, si on la calcule en points, qu’est-ce qu’une carrière complète ? ». Le secrétaire d’État, qui n’évoque pas non plus la retraite minimale, répond : « Dans le cadre de la réforme dite Touraine, une carrière complète s’établit autour de quarante-trois années. Pour valider une année, il faut avoir accompli au moins 150 heures de travail au SMIC par trimestre, soit 600 heures par an. Voilà une réponse explicite à votre question. »

Il y a tout lieu de penser qu’il ne s’agit pas d’une exigence générale mais seulement d’une règle pour déterminer le droit à une retraite minimale à 1000 euros, mais il faut bien dire que cela manque de clarté et que l’on est désormais habitués à des entourloupes de la part du pouvoir. Est-ce que cette durée de cotisation, sortie par la petite porte n’est pas gardée au chaud pour la remettre en vigueur le moment venu ? Le projet de loi ne le dit pas mais il ne supprime pas l’article L.161-17-3 sur la durée de cotisation (découlant de la loi Touraine de 2014).

Minimum contributif ou retraite minimale

Le projet de loi précise que le minimum contributif (à 1000 euros en 2022 puis à partir de 2023 en pourcentage du Smic, 83 %, puis 84 % en 2024 et enfin 85 % en 2025) n’est pas un minima social : il s’obtiendra, sous réserve, on l’a compris, de carrière complète, par l’attribution de points supplémentaires, il ne s’agit pas d’une aide sociale, mais bien d’une pension de retraite (qui n’est pas limitée, donc, par un plafond de ressources du ménage). Les auteurs du texte ont tenu à glisser un peu d’idéologie sarko-macroniste : « il contribue (…) à inciter à l’activité et à valoriser le travail ». Par contre, le projet de loi ne précise pas les conditions d’obtention que le secrétaire d’État avait données à l’Assemblée et sur France 2 (600 heures par an), ce qui signifie certainement qu’en quelques jours le gouvernement a reculé et a préféré ne pas s’engager là-dessus plus avant. Le texte précise que la durée exigée est fixée à 516 mois [soit 43 années ou 172 trimestres]. Ceux qui n’atteindront pas cette durée percevront la « retraite minimale » au prorata du temps travaillé. Sachant que ceux qui se trouvent dans cette situation sont le plus souvent ceux qui ont eu des carrières discontinues, on voit bien que peu percevront 1000 euros. Les assurés qui n’auront cotisé que 39 ans, percevront un minimum à 906 € (1000 x 39/43)… soit le montant du minimum vieillesse (ASPA, une aide sociale) pour ceux qui n’ont pas de retraite ! On sait par ailleurs que cette mesure présentée comme une nouveauté extrêmement généreuse existe déjà (autour de 970 €) aux mêmes conditions de carrière complète : un geste aurait consisté à ne pas exiger 43 années et à le mettre en place tout de suite (alors que ce ne sera le cas qu’avec la réforme)…


Lorsqu’il a été interrogé à l’Assemblée, Laurent Pietraszewski a fait des réponses souvent incomplètes : véritable modèle du genre pour botter en touche. Comme la règle est deux minutes pour le député qui questionne, deux minutes de réponse du ministre, ce dernier fait en sorte de ne pas répondre à tout ce qui le dérange : ainsi un député demande ce qu’il en sera des agriculteurs qui ne déclarent même pas le Smic, puisque la retraite minimale se basera sur les heures travaillées payées au Smic, M. Pietraszewski ne répond pas.