Les retraites

Médiapart - Retraites : un caporal de la macronie pour accompagner la réforme

Décembre 2019, par Info santé sécu social

19 DÉCEMBRE 2019 PAR MANUEL JARDINAUD ET DAN ISRAEL

Laurent Pietraszewski a donc remplacé Jean-Paul Delevoye le 18 décembre pour seconder le premier ministre sur le brûlant dossier de la réforme des retraites. L’ancien DRH d’Auchan a été, comme député, un zélé soutien à la politique de détricotage des protections sociales entamée depuis deux ans et demi.

Pour mener à terme sa réforme, et notamment la défendre à l’Assemblée nationale, l’exécutif a besoin d’un responsable politique identifiable, Jean-Paul Delevoye ayant été mis hors-jeu par ses multiples oublis dans sa déclaration d’intérêts à la HATVP (Haute Autorité pour la transparence de la vie publique). Mercredi 18 décembre, c’est Laurent Pietraszewski qui a été choisi pour le remplacer (le poste se transforme : exit le haut-commissaire aux retraites, au profit d’un plus banal secrétariat d’État).

À 53 ans, Laurent Pietraszewski est un choix logique. Il incarne la macronie dans sa pure expression. Ce député du Nord, marcheur de la première heure mais sans expérience politique préalable, était pressenti pour devenir le rapporteur du projet de loi de réforme des retraites, lors de son examen à l’Assemblée, qui est toujours prévu pour la fin février. Il était aussi à la tête des trente-huit députés LREM choisis pour être les « ambassadeurs » de la réforme sur le terrain et, depuis juillet, l’un des porte-parole du groupe au Palais-Bourbon. À ce titre, il avait été l’invité du « Live » de Mediapart le 4 décembre, juste avant le déclenchement du mouvement social contre la réforme.

L’homme a réalisé toute sa carrière dans le groupe de grande distribution Auchan, occupant durant les huit dernières années divers postes aux ressources humaines, d’abord dans différents magasins, puis à la « gestion des carrières », c’est-à-dire principalement le suivi des formations et des promotions. Cette identification très forte avec Auchan a déjà valu à Laurent Pietraszewski des attaques sur deux éléments gênants.

D’abord, les observateurs ayant lu sa seconde déclaration à la HATVP, datant du 6 octobre 2019, ont découvert une étrange rémunération provenant du groupe nordiste : il a touché la coquette somme de 71 872 euros, officiellement pour la période août-septembre 2019, alors que le député était élu depuis déjà deux ans.

Devant l’émotion soulevée, le cabinet de Laurent Pietraszewski a publié un communiqué expliquant que « cette somme correspond à une indemnité de licenciement versée en août 2019 et qui fait suite à son licenciement économique intervenu alors qu’il était en suspension de contrat depuis juin 2017 ». Il bénéficiait d’un congé lié à son statut d’élu, lui permettant de suspendre son contrat de travail le temps de son mandat.

« Pour rappel, cette indemnité résulte de la stricte application du code du travail et de la convention collective et a été calculée au regard de l’ancienne rémunération du secrétaire d’État et de ses vingt-sept ans d’ancienneté », insiste le cabinet. Sur le papier, et selon des avocats en droit du travail consultés par Mediapart, rien ne faisait obstacle à un tel licenciement, et donc à la transaction financière de plus de 70 000 euros.

L’ombre d’un autre événement plane sur le nouveau secrétaire d’État, vieux de dix-sept ans. Il a été déterré par Le Monde et L’Humanité, quand le député entrait en fonction à l’été 2017. « On va dire qu’il y a prescription, qu’il s’agissait d’une erreur de jeunesse », glisse Guy Laplatine, le délégué syndical central CFDT du groupe Auchan, contacté par Mediapart. Le syndicaliste était responsable régional CFDT dans le Nord, et il avait dû batailler contre Laurent Pietraszewski, qui était alors directeur des ressources humaines d’un hypermarché de Béthune.

« À l’époque, le contexte était à la chasse aux sorcières contre tout ce qui était syndical, en dehors de la CFTC, qui avait les faveurs de la direction », contextualise Guy Laplatine. « Je n’ai jamais su s’il s’agissait de consignes venant de la direction ou d’un excès de zèle de ce DRH qui occupait son premier poste, mais une salariée de la galerie commerciale, par ailleurs représentante CFDT, a eu de sérieux problèmes pour une erreur de commande de 80 centimes, et surtout pour avoir donné à une cliente un petit pain brûlé », explique-t-il.

La vidéosurveillance venait d’être installée à l’époque, « officiellement pour surveiller les clients », et l’entreprise a lancé une procédure pour vol. La jeune femme a été mise à pied à titre conservatoire, et s’est retrouvée en garde à vue toute une nuit. « On avait dû faire monter tous les camarades de la région et manifester devant le magasin pour se faire entendre, raconte le syndicaliste. Finalement, la procédure n’avait rien donné du tout, la jeune femme avait été réintégrée. »

Sur cet épisode « chaud, très chaud », selon les mots de Guy Laplatine, Laurent Pietraszewski s’était expliqué auprès du Monde, indiquant avoir « eu à traiter les éléments objectifs de ce dossier » et assurant que « la sanction prononcée, quelques jours de mise à pied, était mesurée et adaptée », et non attaquée aux prud’hommes. « Dans le reste de sa carrière à Auchan, de ce que j’ai pu juger, le comportement de M. Pietraszewski a été tout à fait normal, juge aujourd’hui le responsable CFDT. Mais je note quand même qu’il est cocasse qu’il soit aujourd’hui en position de négocier avec notre syndicat sur la question des retraites. »

Dix-sept ans plus tard, Laurent Pietraszewski peut s’honorer d’être un bon caporal de la majorité dans sa politique qui attaque depuis un demi-mandat présidentiel les protections sociales. Du fait de son passé de DRH, il a tout de suite eu un rôle pivot au sein de la commission des affaires sociales de l’Assemblée après les législatives de 2017. Dès le 5 juillet, nommé rapporteur de la loi sur le « renforcement du dialogue social », il présente en son propre nom un amendement permettant, par ordonnance, de modifier « les règles de prise en compte de la pénibilité au travail ».

Alors que c’est aujourd’hui un point d’achoppement avec les syndicats réformistes, la CFDT en tête qui souhaite une meilleure prise en compte de ladite pénibilité dans la réforme du système de retraite, le nouveau secrétaire d’État a été, comme député, moteur dans le détricotage du dispositif de réparation.

L’ordonnance du 22 septembre 2017, suite du travail législatif mené par Laurent Pietraszewski, a ainsi écarté quatre facteurs de pénibilité qui permettait à certains salariés d’être formés pour changer de métier ou de partir plus tôt à la retraite : les postures pénibles, les manutentions manuelles de charges, ainsi que l’exposition aux vibrations mécaniques et aux agents chimiques dangereux. Drôle de paradoxe pour ce nouveau membre du gouvernement qui doit désormais convaincre que, oui, il est important de regarder au plus près les métiers pénibles pour mettre en œuvre une « réforme juste ».

Pour Laurent Pietraszewski, l’été 2017 aura été un vrai tremplin. Rapporteur de la première grande loi du champ social – les ordonnances Pénicaud –, il a participé donc activement à, pêle-mêle, l’instauration du plafonnement des indemnités de licenciement, de la fin des CHSCT, de la création du CDI de chantier qui augmente la précarité dans certains secteurs… Un texte largement inspiré des propositions du Medef et qui gravent dans le marbre la flexibilité comme esprit premier de la politique sociale du gouvernement.

Depuis lors, il a soutenu et travaillé à construire la réforme de l’assurance-chômage, qualifiée de « tuerie » par Laurent Berger, qui va faire passer « d’un système d’indemnisation chômage à un système d’accroissement de la pauvreté », toujours selon la CFDT.

À pied d’œuvre aujourd’hui face aux syndicats, le secrétaire d’État aux retraites doit désormais s’adapter à l’air du temps, et aux injonctions de son nouveau patron, Édouard Philipe, qui insiste coûte que coûte pour instituer un « âge pivot » à 64 ans. Dans le droit fil de son engagement chez LREM, le nouveau membre du gouvernement doit trouver cet équilibre qui consiste à porter des propositions auxquelles il s’opposait autrefois sous prétexte de réalisme et de pragmatisme.

Ainsi, il interpellait à Agnès Buzyn, la ministre de la santé et des solidarités, lors des questions au gouvernement du 18 octobre 2018, contredisant la doctrine actuelle du gouvernement. Ce jour-là, Laurent Pietraszewski avait affirmé, dans l’hémicycle : « Nous ne sommes certes pas encore à l’équilibre, mais nous n’en sommes plus très loin puisque, sur un volume de retraites de 308 milliards d’euros, notre déficit est proche de 7 milliards d’euros. Il ne s’agit donc plus de mettre en œuvre une réforme paramétrique, comme cela a été fait précédemment, en décalant l’âge légal de départ à la retraite ou en allongeant la durée de cotisation. »

Depuis, le vent a tourné, Laurent Pietraszewski a pu s’adapter à la nouvelle donne politique. En revanche, le secrétaire d’État est en ligne avec la stratégie de l’exécutif consistant à consulter sans négocier, comme c’est le cas depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Sur le plateau de Mediapart Live, le 4 décembre 2019, il assumait le fait de ne pas chercher le consensus absolu : « Le gouvernement concerte. Il se fait son idée, et il va prendre sa responsabilité. [...] Tous les sujets ne sont pas des sujets de concertation, tous les sujets ne sont pas des sujets de négociation. [...] Lorsque celui ou celle qui doit décider in fine donne la couleur et dit c’est moi qui vais porter la décision, et donc c’est une concertation parce que je veux m’enrichir de vos avis, mais j’assumerai la décision. C’est ça la concertation. »

Laurent Pietraszewski doit aujourd’hui convaincre de sa solidité, même si sa place protocolaire donne à voir peu de marges de manœuvre confiées, et qu’il n’a pas choisi son équipe, puisque celle de Jean-Paul Delevoye a été maintenue. Toujours est-il qu’il est sans doute celui des députés LREM qui maîtrise le mieux la question. Depuis plusieurs mois, il multiplie d’ailleurs les rendez-vous informels, notamment avec des journalistes, pour plaider en faveur de la réforme.

Cet automne, il expliquait par exemple à Mediapart que « bien sûr, ce n’est pas le boulot de la CFDT de porter les mesures d’équilibres budgétaires » que le gouvernement juge nécessaires. Mais il estimait « que si nous arrivons à leur faire comprendre que la réforme apportera plus de redistribution pour les plus pauvres ou les plus précaires, ils entreront dans la négociation ».

Aujourd’hui, rien n’est moins sûr. D’autant qu’il y a plusieurs mois déjà, celui qui était encore député reconnaissait qu’au fond, il est difficile de trancher et de savoir finalement « si cette réforme réduira fortement les inégalités ».