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Mediapart : Sécurité sociale : les économies encore et toujours à l’ordre du jour

Octobre 2017, par infosecusanté

Sécurité sociale : les économies encore et toujours à l’ordre du jour

24 OCTOBRE 2017

PAR ROMARIC GODIN

Le projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale arrive à l’Assemblée nationale ce mardi. Il prévoit encore une forte compression des dépenses et annonce une stratégie nationale de santé qui, derrière un affichage attrayant, devrait rester dans les logiques précédentes.

Ce mardi 24 octobre, les députés commencent l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2018. Un budget social encore sous pression puisque le gouvernement affiche une volonté ambitieuse de réduire le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 5,2 milliards d’euros en 2017 à 2,2 milliards d’euros en 2018. Le tout en imposant au seul régime général de revenir à un excédent de 1,2 milliard d’euros, du jamais vu depuis 2001.

La « maîtrise des dépenses » au menu

L’objectif de cet effort est principalement de contribuer à la baisse du déficit des administrations publiques qui doit passer l’an prochain de 2,9 % du PIB à 2,6 % du PIB, avec un déficit du seul État en progression. Les comptes sociaux jouent donc le rôle d’amortisseur. En cela, la politique du nouveau gouvernement ne change guère de celle de ses prédécesseurs. En sept ans, le déficit du régime général du FSV a ainsi été divisé par 5 avec, comme on le verra, une compression des dépenses de santé.

Car le nœud de cet effort est bien le secteur de la santé. C’est la branche qui accuse le déficit le plus lourd. En 2017, il devrait être de 4,1 milliards d’euros. En 2018, le PLFSS prévoit un déficit de seulement 800 millions d’euros, soit un recul de ce déficit de 3,3 milliards d’euros, alors même que le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale prévoyait pour cette branche une tendance « naturelle » à aller vers un déficit de 7,8 milliards d’euros. Bref, le déficit de la branche santé devrait reculer de 7 milliards d’euros par rapport à sa tendance.

Certes, le dynamisme des recettes, notamment grâce à l’augmentation de la CSG, va compenser une partie de ce besoin (3,7 milliards d’euros). Mais pas l’intégralité, et il faudra bien en passer par une compression des dépenses. Le gouvernement entend ainsi maintenir à 210,9 milliards d’euros les dépenses totales de la branche maladie en 2018, soit une hausse de 1,02 %, proche de l’inflation. Par rapport à la tendance « naturelle » décrite par le rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale, il s’agit d’une baisse de 3,3 milliards d’euros, soit le niveau de la réduction du déficit de la branche. Autrement dit, ce PLFSS 2018 est encore un budget de compression des dépenses. Si ces dernières ne baissent pas en termes nominaux, elles vont néanmoins rester fortement sous pression et la branche va devoir renoncer à de nombreuses dépenses. Signe qui ne trompe pas : les promesses de remboursement intégral des lunettes et des prothèses auditives et dentaires sont renvoyées à plus tard (un an pour les lunettes, la fin du quinquennat pour les autres).

Certes, en 2018, le gouvernement prévoit une augmentation de la hausse de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) à 2,2 %. Et l’exécutif présente cette hausse comme la preuve de sa volonté de ne pas mettre en péril la santé dans sa politique de consolidation budgétaire. Le PLFSS 2018 affirme ainsi que ce sera « 4,4 milliards d’euros de dépenses nouvelles pris en charge par la collectivité ». Certes, cette hausse de 2,3 % représente la plus forte hausse de l’ONDAM depuis 2014, mais il ne faudrait pas oublier que la commission des comptes de la Sécurité sociale estimait que la croissance naturelle des dépenses concernées par l’ONDAM était deux fois plus rapide. Bref, passer d’un objectif d’ONDAM de 2,1 % à 2,3 % entre 2017 et 2018 ne peut guère être considéré comme un « cadeau » compte tenu des pressions qui pèsent sur le système de santé, notamment le vieillissement de la population. C’est le maintien d’une politique qui a maintenu la croissance de ces dépenses depuis 2012 autour de 2 %. Du reste, l’objectif du gouvernement est de maintenir à 2 % l’ONDAM sur le quinquennat en moyenne.

L’hôpital encore mis à contribution

Rien de neuf, donc. D’autant que, comme au cours des années précédentes, c’est l’hôpital qui apportera l’essentiel de l’effort. L’ONDAM hospitalier doit en effet croître de seulement 2 %, le même qu’en 2017, contre un objectif de 2,4 % pour la médecine de ville (soit une progression de 0,3 point). Dans le PLFSS, « l’amélioration de la performance interne des établissements de santé », autrement dit la coupe dans les dépenses, par rapport à leur rythme de croissance normal, s’élève à 1,2 milliard d’euros. Le gouvernement compte beaucoup sur le développement de la chirurgie ambulatoire, autrement dit sur des actes chirurgicaux n’impliquant pas d’hospitalisation. Mais il y aura aussi et encore des suppressions de lits (« inutiles », promet la ministre de la santé et des solidarités, Agnès Buzyn) et des « rationalisations » (fusions et fermetures).

Évolution prévue de l’ONDAM 2018 © gouvernement
Évolution prévue de l’ONDAM 2018 © gouvernement
Les patients apporteront également leur obole avec l’augmentation du forfait hospitalier pour un montant global de 200 millions d’euros. Le gouvernement prétend que cette hausse sera indolore pour les patients car prise en charge par les mutuelles. Mais, en partant du principe que la mutuelle est généralisée, ces dernières ont déjà prévenu qu’elles n’excluaient pas de relever les primes payées pour compenser cette nouvelle dépense. Au bout du compte, les assurés devraient bien contribuer au maintien de cet objectif.

L’effort demandé à l’hôpital n’est pas un hasard. Le secteur hospitalier est en effet celui où les « économies » sont le plus aisées à mettre en œuvre : c’est un secteur hiérarchisé, consommant beaucoup et disposant d’une capacité de regroupement importante. Autant d’éléments qui manquent en médecine de ville où les acteurs sont libéraux et atomisés. Certes, la médecine de ville est également sous contrainte, mais l’hôpital est toujours davantage mis à contribution. Du reste, ces dernières années, on constate une sous-exécution constante de l’ONDAM hospitalier (80 millions d’euros sous l’objectif en 2017 après 385 millions d’euros en 2016). Avec les désagréments que l’on connaît, sur les personnels et les patients. Le gouvernement actuel n’envisage pas réellement de modifier cette stratégie.
Or le PLFSS 2018 n’est qu’une répétition générale. Le gouvernement table sur une maîtrise à 2 % de l’ONDAM entre 2018 et 2022 avec le développement d’une stratégie nationale de santé qui a été brièvement présentée par Agnès Buzyn dans un entretien accordé dimanche 22 octobre au Journal du dimanche et qui sera précisée l’an prochain. Les axes de la politique gouvernementale entendent s’appuyer sur la « structuration de l’offre de soins », « la pertinence et l’efficience des produits de santé », « la pertinence de la qualité des actes », « la pertinence et l’efficience des prescriptions d’arrêts de travail et de transport » et « le contrôle et la lutte contre la fraude ».Quelles dépenses pertinentes ?

D’emblée, dans cet entretien, Agnès Buzyn donne le ton en déclarant que « 30 % des dépenses de l’assurance maladie ne sont pas pertinentes ». Un chiffre considérable qui concernerait pas moins de 63 milliards d’euros ! Sur quoi la ministre se fonde-t-elle pour avancer un tel propos ? Au ministère, on explique qu’il s’agit d’une enquête menée par la fédération hospitalière de France dans laquelle les médecins estimaient que seulement 72 % de leurs actes étaient justifiés, mais aussi d’une étude de l’OCDE estimant le « gâchis » des systèmes de santé de la zone à 25 %. La ministre a donc « déduit » assez hardiment (pour le moins…) de ces deux éléments que 30 % de l’ensemble des dépenses de santé n’étaient pas pertinentes !

Un chiffre très peu fiable dont le cabinet de la ministre précise qu’il n’est là pour donner qu’un ordre de grandeur et qu’il n’est pas un « objectif ». Il n’empêche, ce chiffre « choc » a été abondamment repris tel quel par de nombreux médias, et non des moindres, créant encore une impression de « dépense excessive » dans le système de santé. Et préparant les esprits à de futurs efforts supplémentaires.

Si ce chiffre de 30 % semble donc sans fondement, le gouvernement entend néanmoins mener la lutte autour de la pertinence des soins. Et il entend agir principalement sur deux axes. D’abord, la fin progressive de la tarification à l’acte à l’hôpital, qui encouragerait des actes inutiles, remplacée par des forfaits liés à un « parcours médical ». Ensuite par des incitations financières aux « bonnes pratiques », qui est un grand classique de la démarche libérale en économie de la santé. « Les établissements se verront octroyer un bonus, un intéressement, dès lors qu’ils répondront aux objectifs de qualité, de pertinence et d’efficience des soins », explique au JDD la ministre.

Cette méthode n’est douce qu’en apparence. En réalité, elle sous-tend une nouvelle réduction forte des dépenses de l’hôpital. La tarification forfaitaire et la mise en place « d’objectifs » dont l’atteinte sera rémunérée vont permettre de mieux maîtriser les plafonds de dépenses. Comme fixer des objectifs « qualitatifs » sera très délicat, il est inévitable que ces objectifs seront en réalité financiers et qu’ils s’appuieront sur des évaluations dont on a pu mesurer, avec le chiffre avancé par la ministre, la fiabilité. Les « bonus » risquent donc bien d’être pour les établissements de soins de simples bouées de sauvetage toujours remises en cause.

En attendant, dès 2018, le PLFSS prévoit déjà 250 millions d’euros d’économies sur la « structuration des parcours de soins efficients » et 320 autres millions sur « la maîtrise des volumes et de la prescription des médicaments et dispositifs médicaux ». Il faudra observer si ces objectifs sont atteints et comment. S’il y a une prime à dépenser moins, la qualité des soins pourrait s’en ressentir, surtout dans un contexte de pression sur le secteur hospitalier. La même question mérite d’être posée pour la chirurgie ambulatoire qui n’est pas un problème si elle est encadrée, mais qui peut être risquée si elle n’est qu’un objectif chiffré alimenté par des « bonus ».

Évolutions des comptes de la Sécurité sociale (régime général). © Minefi
Évolutions des comptes de la Sécurité sociale (régime général). © Minefi
L’autre point sur lequel la ministre compte beaucoup, ou du moins sur lequel elle insiste beaucoup, c’est la lutte contre la fraude et contre les arrêts de travail abusifs. La ministre rappelle dans le JDD que la fraude « détectée par les organismes de sécurité sociale (sur les cotisations et les prestations) s’est élevée à 1,2 milliard d’euros et ce chiffre ne cesse de croître ». Mais, précisément, cette fraude concerne les cotisations et les prestations. Sur les seules prestations, la fraude est estimée pour le régime d’assurance maladie à 167 millions d’euros. L’essentiel vient donc du travail non-déclaré. Or la ministre insiste dans l’interview, uniquement sur « ceux qui abusent d’un système généreux », donc précisément sur les fraudes aux prestations. C’est là moins un discours de rationalité économique qu’une classique relance de l’accusation populiste des « profiteurs » des assurances sociales qui seraient la clé du financement de la Sécurité sociale. Pourtant, le PLFSS défendu par la ministre n’attend pas plus de 90 millions d’euros du « contrôle et de la lutte contre la fraude », soit seulement 2,2 % de l’effort nécessaire l’an prochain. Un objectif qui apparaît déjà comme fort ambitieux.

La même remarque vaut pour les arrêts maladie qui apparaissent suspects à Agnès Buzyn. Et, de fait, les indemnités journalières sont en forte hausse. En 2016, selon le rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale, elles ont crû de 4,8 %, portées par les périodes courtes (+5 %), ce qui constitue 20 % de la croissance des dépenses. Comment réduire ce phénomène ? La ministre pose la bonne question dans le JDD : « Jusqu’à quand l’assurance maladie palliera-t-elle les défaillances du management au travail ? » La question de la souffrance au travail et de son coût mérite effectivement d’être posée et doit être un des facteurs de cette croissance.

Mais le gouvernement envisage-t-il sérieusement de s’emparer du problème alors que les ordonnances réformant le droit du travail donnent plus de facilité à l’employeur pour les licenciements et que les décrets d’application prévoient le vote « non secret » lors des référendums d’entreprise ? C’est peu probable et Agnès Buzyn elle-même l’a confirmé en déclarant dimanche 22 octobre sur RTL qu’il était difficile de juger ce qu’était une maladie professionnelle, et en excluant toute reconnaissance du burn-out. Dès lors, malgré les mots, l’assurance maladie va devoir prendre toujours plus en charge les « défaillances du management ».

Maintien de la logique de compression des dépenses à moyen terme

En réalité, le gouvernement demeure, en dépit de ces affichages, dans une logique proche de celles de ses prédécesseurs. Compte tenu de la croissance naturelle des dépenses, il est à craindre que les « réformes de structure » avancées par la ministre n’aient pas un effet suffisant pour permettre de sortir de la course aux économies dans laquelle le système français de santé s’est enfermé depuis plusieurs années. Elles pourraient même l’accélérer dans certains cas. Seule la pratique permettra de confirmer ce phénomène, mais le PLFSS 2018 ne se distingue guère, de ce point de vue, des précédents.

Évolution de l’ONDAM depuis 2000. © gouvernement
Évolution de l’ONDAM depuis 2000. © gouvernement
Un indice ne trompe pas, c’est le discours alarmiste du gouvernement alors même que la Sécurité sociale est plutôt un « bon élève » budgétaire, que l’ONDAM a été respecté pour la huitième année consécutive, que le déficit du régime général est le plus faible depuis 2001 (alors même que la croissance reste inférieure), que les dépenses de santé françaises progressent moins vite en France qu’ailleurs en Europe et sont inférieures à celle de l’Allemagne (9,1 % du PIB contre 9,7 % outre-Rhin) et, enfin, que la contribution du déficit et de la dette sociale aux déficits et aux dettes publiques est désormais faible. Mais le gouvernement entend maintenir la pression. Pour une raison simple : la Sécurité sociale et la santé en particulier pourraient bien devenir, par leurs efforts, un moyen de « compenser » les cadeaux fiscaux du gouvernement en contribuant à la réduction des déficits.

Car, il convient de rappeler – ce qui n’est jamais fait par l’exécutif – qu’une des raisons des problèmes de financement de la Sécurité sociale est le manque à gagner provoqué par les exonérations patronales. En 2017, selon la commission des comptes de la Sécurité sociale, les pertes de recettes de cotisations pour la Sécurité sociale liées aux allégements et exonérations de cotisations s’élevaient à 29,5 milliards d’euros. Ce montant est certes largement compensé par l’État (à l’exception de 3,8 milliards d’euros en 2016, ce qui représentait tout de même 80 % du déficit de cette année), mais en augmentant le déficit public, il oblige les assurances sociales à réduire leur déficit et, partant, leurs dépenses. Le financement par la CSG devrait certes modifier la donne et améliorer la situation. Mais la dette accumulée par les déficits faute de recettes suffisantes des années passées, l’introduction de la taxe forfaitaire unique sur les revenus du capital et la généralisation du CICE sous forme de baisse de charges pour 20 milliards d’euros en 2019 seront autant de facteurs de pression sur les recettes du régime général dans les prochaines années. Or, c’est précisément cette pression sur les recettes qui entretient celle sur les dépenses et la dégradation progressive du service rendu au public. Les « économies » restent donc à l’ordre du jour dans la santé.