Segur de la santé (Mai Juillet 2020)

Mediapart : Ségur de la santé : un petit accord sur les salaires contre une plus grande flexibilité

Juillet 2020, par infosecusanté

Mediapart : Ségur de la santé : un petit accord sur les salaires contre une plus grande flexibilité

13 JUILLET 2020
PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Le gouvernement a signé un accord majoritaire sur les rémunérations à l’hôpital, pour plus de 8 milliards d’euros. Mais ceux qui ne signent pas rejettent vivement l’accord, qui introduit une plus grande flexibilité encore des conditions de travail.

« Un effort historique. » C’est ainsi que Jean Castex fait le récit de son premier acte en tant que premier ministre : la signature, lundi 13 juillet, d’un accord sur les rémunérations et les carrières dans la fonction publique hospitalière. Il joue sa réputation d’excellent connaisseur de la santé, en tant qu’ancien directeur de l’hospitalisation et de l’offre de soins (2005-2006), et de fin négociateur puisqu’il a été conseiller social de Nicolas Sarkozy (2010-2011). « Il entretient des relations sincères et correctes avec les partenaires sociaux. Cela nous change », loue Didier Birig, secrétaire général de FO Santé.

Le gouvernement remporte indéniablement une victoire politique : l’accord a obtenu la signature de 3 syndicats (CFDT, FO, UNSA) du côté des personnels non médicaux, et celle de 3 autres (INPH, CMH et SNAM) pour les médecins.

Olivier Véran, le ministre de la santé, à Matignon, le 13 juillet 2020. © AFP
Olivier Véran, le ministre de la santé, à Matignon, le 13 juillet 2020. © AFP
Les syndicats signataires défendent avec vigueur l’accord, comme Didier Birig : « C’est un protocole historique ! », se réjouit-il. Difficile en effet de trouver dans l’histoire récente un tel engagement financier en faveur de l’hôpital public : 8,25 milliards d’euros. Cette somme est cependant à rapporter au nombre de salariés concernés : 1,8 million de professionnels de la fonction publique hospitalière, mais aussi du secteur de la santé privé et privé non lucratif.

Cet accord représente une augmentation de salaire de 183 euros nets par mois pour tous les personnels de l’hôpital public ou des Ehpad, mais aussi du privé non lucratif. L’augmentation sera accordée en deux temps : 90 euros en janvier 2021, auxquels s’ajouteront 93 euros en mars de la même année. Le personnel du privé lucratif sera lui augmenté de 160 euros nets par mois. Les médecins ont de leur côté obtenu, in extremis, une enveloppe de 450 millions d’euros qui permet d’augmenter de plus de 1 000 euros par mois les jeunes médecins, et de près de 1 000 euros par mois les médecins en fin de carrière.

Il y a un gros bémol cependant : cet accord fait bien plus de mécontents que de satisfaits. La CGT Santé a refusé de signer, au moins pour l’instant. Mais sa secrétaire générale Mireille Stivala n’est pas très optimiste : « On prend le temps de consulter notre base, d’expliquer cet accord, et on sent que les remontées sont de plus en plus négatives. Ils pensaient que les 300 euros étaient atteignables. Les infirmières françaises gagnent 600 à 800 euros de moins que leurs homologues d’autres pays européens. Et eux aussi négocient des augmentations de salaire en ce moment. » La CGT Santé ne digère pas non plus l’enveloppe budgétaire allouée au privé : « 1,6 milliard d’euros sont accordés aux employeurs privés, dont une partie paie des actionnaires et ils pourraient assumer seuls ces augmentations ! »

Le Collectif inter-urgences, qui a imposé dans le débat public l’augmentation de 300 euros par mois au fil de mois de mobilisation depuis le printemps 2020, a réagi très vivement à cet accord, fustigeant les syndicats signataires, accusés d’« achever » les professionnels de terrain. « On ne peut pas laisser passer cette communication positive autour de cet accord. Et on lance ainsi une discussion sur la représentativité réelle des syndicats », analyse le président du Collectif, Hugo Huon. Pour le Collectif inter-hôpitaux (CIH), le neurologue François Salachas est sur la même ligne : « Il n’y a dans cet accord rien d’historique par rapport à la dégradation antérieure. » Du côté des paramédicaux, Céline Laville, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI), confie des « sentiments partagés. On méritait mieux que ça, vu les efforts qu’on fait depuis 20 ans. On obtient des choses que l’on réclamait depuis 10 ans. Et en même temps, nous sommes conscients de la crise sociale. 183 euros, ce n’est pas rien ».

De nombreux observateurs considèrent aussi que ce seul accord sur les carrières ne réglera en rien la question des conditions de travail à l’hôpital, en raison des sous-effectifs qui aggravent la pénibilité, donc l’absentéisme, et qui font fuir de nombreux personnels hospitaliers. L’accord prend d’ailleurs acte des nombreux « départs du service public », des « forts turn-over » qui ne favorisent pas les « recrutements ». Sur les conditions de travail, le principal signal donné par l’exécutif est la promesse de l’embauche de 15 000 personnes à l’hôpital : « Mais 7 500 postes sont en réalité des postes non pourvus. Le gouvernement s’engage seulement à créer 7 500 vrais postes. Pour 2 000 établissements, c’est une goutte d’eau. Nos membres ont le sentiment que cela ne va rien changer à nos conditions de travail », explique Mireille Stivala pour la CGT Santé.

La syndicaliste insiste aussi sur le « donnant-donnant » que contient l’accord. L’augmentation de salaire a été obtenue contre un coup de canif dans les 35 heures : « individuellement », en dehors de toute négociation collective, les agents hospitaliers pourront contractualiser avec leur hiérarchie pour travailler plus, jusqu’à 40 heures, les 5 heures supplémentaires étant payées + 50 %. Cette mesure est cependant une amélioration par rapport à la situation actuelle, délétère, dont l’accord fait le triste bilan : l’augmentation des heures supplémentaires « non récupérées et non indemnisées », « les comptes épargne-temps » qui ont gonflé sans aucune possibilité de récupération pour le personnel, « les rappels pendant les jours de congé, repos, récupération, devenus fréquents », « les effectifs en permanence en tension », etc.

Une autre ficelle managériale déplaît vivement aux syndicats : le gouvernement a créé une « prime d’engagement collectif » : les membres d’une équipe peuvent percevoir 100 euros nets par mois s’ils s’engagent dans un « projet d’équipe d’amélioration de la qualité des soins ».

Didier Birig, pour FO Santé, défend le travail accompli : « Au départ, le gouvernement n’était prêt à faire un effort que pour les blouses blanches – les infirmières, les aides-soignants et les médecins – mais nous avons bataillé et obtenu 183 euros pour tous. Et nous avons aussi obtenu le passage en catégorie B des aides-soignants et la revalorisation de la catégorie A des infirmières, à la hauteur de l’Éducation nationale. » Le gouvernement estime que cela devrait représenter 35 euros nets par mois.

Cet accord ne clôt pas le sujet de l’hôpital, loin de là. Le Ségur de la santé comprenait trois autres piliers, sur le financement de l’hôpital, la simplification des organisations et l’organisation des territoires de santé. « Ils sont au moins aussi importants, confirme Céline Laville, pour la CNI. » « L’argent ne fait pas tout, même si c’était un préalable », confirme Didier Birig. Le Collectif inter-hôpitaux attend que le gouvernement « renverse la vapeur sur la gouvernance de l’hôpital, en impliquant les médecins et les paramédicaux, et en adoptant un financement majoritaire au projet de soin de santé publique. Sinon, rien ne changera. » Ces trois volets du Ségur ne sont pas l’objet d’une négociation, mais d’une consultation, restituée de manière confidentielle par Nicole Notat au gouvernement. Le président de la République devrait s’en saisir demain dans son discours du 14 Juillet, après avoir reçu des personnels soignants et des familles de victimes du Covid-19. Jean Castex puis le ministre de la santé Olivier Véran devraient donner plus de détails en fin de semaine. L’essentiel est là : une nouvelle réforme de l’hôpital s’engage.