Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Stéphanie Renard : « Cette crise menace l’égalité et interroge sur la solidarité »

Avril 2020, par Info santé sécu social

15 AVRIL 2020 PAR JÉRÔME HOURDEAUX

La juriste Stéphanie Renard, spécialiste de l’ordre public sanitaire, revient sur l’histoire de cette notion et analyse son application par les autorités dans le cadre de la lutte contre l’épidémie. « Nous sommes dans une logique de surenchère sécuritaire, explique-t-elle. En guise de lutte contre l’épidémie, nous n’avons qu’une seule mesure phare : le confinement. »

L’épidémie de Covid-19 a été pour beaucoup une plongée dans l’inconnu. Les juristes sont ainsi confrontés à une situation inédite. Pour la première fois depuis plus de cent ans, et la grippe espagnole de 1918, notre pays est frappé par une crise majeure autorisant l’État à prendre des mesures d’exception extrêmement liberticides.

La France s’était pourtant habituée ces dernières années aux problématiques liées aux régimes d’exception adoptés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Mais, avec cette épidémie, ce sont d’autres fondements juridiques qui s’appliquent, tirés d’un « ordre public sanitaire » qui dispose de sa propre histoire et de ses propres règles. On a ainsi découvert qu’il existait dans notre droit un article L 3131-1 du code de la santé publique (CSP) accordant des pouvoirs quasi illimités au ministre de la santé. Et ceux-ci ont été transférés au premier ministre par la loi instaurant un nouveau régime d’exception : l’« état d’urgence sanitaire ».

Maître de conférences en droit public à l’université de Bretagne-Sud, Stéphanie Renard avait consacré, en 2008, une thèse à « l’ordre public sanitaire » retraçant son histoire et son évolution, notamment depuis les grands scandales des années 1990. Et, depuis le début de l’épidémie, elle suit les dernières évolutions législatives. Avec Mediapart, elle explique les origines de cette notion juridique, ce qu’elle a changé dans notre droit et analyse son application actuelle par les autorités dans le cadre de la lutte contre l’épidémie.

Depuis quand peut-on parler d’ordre public sanitaire ? Quand et comment la santé a-t-elle intégré l’ordre public ?

Cela a toujours été plus ou moins le cas. De nombreux travaux, dont ceux de Foucault, ont montré les liens de cause à effet entre les épidémies et le renforcement du pouvoir disciplinaire. La loi municipale de 1884, qui fixe les pouvoirs de police des maires, reprend cet aspect de l’ordre public. Mais pendant longtemps cette mission était liée aux questions de sécurité. Le but était de lutter contre les effets délétères des épidémies sur la sécurité de la collectivité, sécurité à la fois matérielle et intellectuelle, car le risque épidémique est un puissant facteur de dilution des solidarités sociales en raison de la peur de la maladie et de la mort. L’ordre public sanitaire était d’ailleurs à l’époque rattaché au ministère de l’intérieur.

Au début du XXe siècle, une véritable politique de santé publique va se mettre en place. En 1902, une grande loi sur la santé est votée. Elle crée notamment les règlements sanitaires qui imposent des obligations d’action aux maires et aux autorités locales en matière de prévention de la santé et de prévention des risques. Elle rend aussi la vaccination antivariolique obligatoire.

La grippe espagnole de 1918, qui a été une catastrophe en terme sanitaire mais également de gestion par les pouvoirs publics, est un moment de bascule. C’est de cette crise que naîtra l’ancêtre du ministère de la santé, le ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociales. On commence alors à prendre en compte la santé comme une politique publique autonome, alors qu’elle n’avait jamais été pensée comme telle. Cela se fait avec beaucoup de résistance, notamment de la part des élus locaux qui, parfois pour des raisons électoralistes, ont du mal à accepter que l’on puisse réduire les droits des citoyens pour des raisons d’hygiène et de salubrité.

Cependant, l’ordre public sanitaire est une matière mouvante. C’est pour cela que dans ma thèse, écrite en 2008, je parlais de « naissance et de renaissance de l’ordre public sanitaire ». Il y a un phénomène constant de va-et-vient qui fait que la prévention est plus ou moins écartée en fonction des périodes et de l’intérêt accordé à la santé par l’opinion et les pouvoirs publics.

Il y a eu une forte résurgence de cet impératif de santé publique lors de la succession des crises sanitaires qui ont marqué les années 1990. Celles-ci avaient déclenché beaucoup d’angoisses dans la société. Il faut se souvenir de l’épidémie de Sida, qui a provoqué des demandes sécuritaires très fortes, ou de la crise de la « vache folle » et de tous ces Français qui n’osaient plus manger de viande. On parlait également beaucoup de la menace « bioterroriste », qui n’est plus guère évoquée aujourd’hui.

Tout cela a conduit à un renforcement de la dimension sécuritaire de l’ordre public sanitaire.

À la fin des années 1960, l’épidémie de la « grippe de Hong Kong » avait fait un million de morts dans le monde dont plus de 30 000 en France. Pourtant, cet événement a totalement disparu de la mémoire collective. Comment expliquez-vous que l’épidémie de Covid-19 qui, à l’heure actuelle, a fait moins de victimes a d’ores et déjà durablement traumatisé notre société ?

J’avoue que je ne sais pas. L’épidémie de Covid-19 a, dès ses débuts, été très médiatisée. Et nous sommes surtout marqués par l’ampleur des mesures prises par les gouvernements. Lors de la grippe de Hong Kong, nous n’étions pas du tout dans la même société. La maladie et la mort étaient vues comme des fatalités. On n’attendait pas la même chose de l’État. On espérait juste être soignés et guéris. Nous n’étions pas du tout dans la même approche. On peut l’illustrer par l’affaire dite du Stalinon, médicament qui, dans les années 1950, a provoqué plusieurs centaines de décès. À l’époque, les victimes ont uniquement recherché la responsabilité du laboratoire, sans jamais penser à engager celle de l’État comme dans l’affaire beaucoup plus récente du Mediator.

Dans votre thèse vous expliquez l’importance de l’explosion de l’affaire du sang contaminé, que vous qualifiez de « faillite sanitaire ». Qu’a-t-elle changé ?

L’affaire du sang contaminé a mis au jour auprès de l’opinion publique les carences et les défaillances de l’État dans sa gestion de la santé publique. Les Français avaient jusqu’alors une confiance quasi aveugle en leur système de santé. Celle-ci a été trahie par les « sachants » : responsables politiques et médicaux. Les autorités n’ont pas agi alors qu’elles connaissaient les risques et les médecins eux-mêmes n’ont pas toujours fait ce qu’il fallait pour protéger les patients.

Ce scandale a ouvert une crise de confiance sans précédent vis-à-vis du monde politique comme médical. Il est à l’origine d’une série de lois qui ont renforcé les droits des patients . Mais surtout, il a introduit une nouvelle perspective de l’ordre public sanitaire s’appuyant sur un nouveau principe, la sécurité sanitaire, lui-même assis sur le droit fondamental à la protection de la santé inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946.

Cela a réactivé les problématiques contenues dans l’ordre public sanitaire. Il y a eu notamment une inversion entre les notions de sécurité et de santé. Auparavant, la protection de la santé était un moyen de préserver la sécurité collective. Désormais, la protection de la santé est un objectif à part entière de la sécurité. On passe de la défense sanitaire de la collectivité à la recherche de sécurité pour la santé, ce qui approfondit les buts et donc l’emprise de l’ordre public sanitaire.

Parmi les lois votées après les scandales sanitaires, celle du 9 août 2004 avait introduit l’article L. 3131-1 du CSP qui offre des pouvoirs d’exception au ministre de la santé en cas de menace sanitaire grave et qui a depuis été complété par la loi sur l’état d’urgence sanitaire. Comment étaient gérées les catastrophes sanitaires avant cela ?

Par la loi du 15 février 1902 que j’évoquais précédemment. Les épidémies étaient gérées au niveau local. Si les moyens locaux étaient insuffisants, le chef de l’exécutif pouvait prendre des mesures par décret pris après avis du Conseil supérieur de l’hygiène de France.

Dans votre thèse, vous dites, à propos de cet article « que l’on peut raisonnablement douter de sa constitutionnalité ». En quoi ? Et pourquoi cela n’a-t-il pas été soulevé à l’époque ?

On peut s’interroger sur sa constitutionnalité en raison du manque de précision sur les prérogatives accordées au ministre de la santé et sur l’étendue de celles-ci.

Sur l’absence de contrôle de constitutionnalité, les travaux parlementaires montrent qu’il y avait à l’époque un consensus politique autour de ce texte ; personne n’a souhaité saisir le Conseil constitutionnel. Le texte de 1902 ne visait que les épidémies, alors que les années 1990 avaient été marquées par de nouvelles menaces comme le bioterrorisme, la catastrophe de Tchernobyl, l’émergence ou la résurgence de maladies épidémiques ou encore le scandale de l’amiante. Il était donc important d’élargir les pouvoirs de police sanitaire. De plus, l’ancien dispositif reposait sur un schéma ascendant, qui partait des autorités locales. Il était peu compatible avec la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales portée par l’acte II de la décentralisation.

Cet article est-il toujours en vigueur malgré le vote de la loi sur l’état d’urgence sanitaire ?

Il est toujours en vigueur. Mais il y a débat sur sa combinaison avec l’état d’urgence sanitaire. Pour certains juristes, la déclaration de l’état d’urgence sanitaire suspend l’article L. 3131-1 du CSP. Personnellement, je pense qu’il ne s’agit que d’une suspension partielle et que les deux dispositifs peuvent se cumuler si le ministère de la santé prend des mesures dans des domaines ne relevant pas de la compétence du premier ministre. Le ministère de la santé pourrait par exemple invoquer l’article L. 3131-3 du CSP pour ordonner des vaccinations obligatoires.

La loi sur l’état d’urgence sanitaire a fait l’objet d’analyses en apparence contradictoires. D’un côté, il s’agit d’un texte faisant entrer dans notre droit un nouveau régime d’exception extrêmement liberticide. De l’autre, il « cadre » des pouvoirs exceptionnels déjà prévus par le CSP de manière très vague. Comment analysez-vous ce texte ?

Tout d’abord, il faut souligner que voter une loi d’exception dans l’urgence est toujours dangereux. Cela dit, il me semble que l’adoption de ce nouveau régime, dans le contexte actuel, est une bonne chose, car il offre davantage de garanties et cadre un peu mieux les prérogatives accordées aux autorités. Le Sénat notamment a réussi à faire introduire dans la loi une liste des mesures que peut prendre le premier ministre. Toutefois, je regrette que le dispositif de l’article L. 3131-1 ait été à peine retouché. Les pouvoirs du ministre de la santé sont aussi importants en 2020 qu’en 2004.

Le juge administratif, qui traite déjà les contentieux liés à la santé publique, s’est vu en outre confier le contrôle des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Or, le Conseil d’État a, depuis le début de l’épidémie, pris plusieurs positions montrant sa volonté de s’impliquer dans la gestion de cette crise. De son avis sur la loi d’état d’urgence sanitaire, il avait demandé et obtenu un durcissement de certaines mesures. Le 22 mars, il avait communiqué de manière inhabituelle sur un recours déposé par un syndicat de médecins demandant un confinement total de la population. Celui-ci avait été rejeté, mais dans sa décision il demandait à l’État de prendre certaines mesures. Ne sort-il pas de son rôle en prenant position sur des décisions politiques dont il aura à juger les contentieux qu’elles provoqueront ?

La position du Conseil d’État est extrêmement critiquée par de nombreux juristes et universitaires. Dans sa première ordonnance, il s’est clairement positionné en auxiliaire de police administrative. En revanche, il est peu enclin à enjoindre au gouvernement de prendre des mesures de protection des personnes, notamment vulnérables. Les rejets sont extrêmement nombreux. Alors que les moyens mis en œuvre pour la protection de la population, dont les soignants, sont insuffisants, le Conseil d’État se satisfait des mesures prises ou annoncées par le gouvernement, renonçant ainsi à son rôle de gardien des libertés.

D’une manière générale, je fais partie de ceux qui considèrent qu’il faut totalement repenser la composition et le rôle du Conseil d’État, voire imaginer sa suppression et son remplacement par la création d’une chambre administrative au sein de la Cour de cassation.

Le gouvernement met beaucoup en avant dans sa communication l’importance des avis scientifiques dans sa prise de décisions, et notamment de ceux du comité scientifique qui a été inscrit dans la loi. Dans votre thèse, vous rappelez les faillites du monde médical à l’origine de l’affaire du sang contaminé. Vous parlez également d’un « renforcement de l’influence des experts sur la décision de police sanitaire » qui enferme les politiques dans une « liberté régulée ». Jusqu’à quel point les scientifiques doivent-ils guider la politique ?

Ce débat n’est pas nouveau. Dans la régulation d’une épidémie, on ne peut pas faire l’économie d’une expertise scientifique. Il faut que le gouvernement soit éclairé par des avis d’experts. Mais, après, le choix des politiques qui seront mises en place doit être celui des responsables politiques.

Un scientifique a par définition une approche qui vise à l’efficacité. Un responsable politique doit prendre en compte de nombreux autres aspects, et notamment les libertés publiques. Toute mesure scientifiquement efficace n’est pas forcément légitime dans un État de droit. Réciproquement, invoquer des « avis scientifiques » ne suffit pas à dégager l’État de sa responsabilité.

Plusieurs recours visant à mettre en cause la responsabilité de ministres ou des autorités ont déjà été annoncés. Pensez-vous que certains ont une chance d’aboutir ?

Je n’ai pas lu les différents recours déjà disponibles. Je ne pourrai donc pas me prononcer sur ce point. Mais d’une manière générale, je ne suis pas très optimiste sur l’accueil qui leur sera réservé.

On peut cependant considérer qu’il y a eu méconnaissance et inapplication de la règle de droit dans la préparation de notre système de santé à cette épidémie. Une loi de 2007 avait été votée justement pour faire face à ce type de situation. Elle instaurait notamment la réserve sanitaire, mais surtout l’Eprus (établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) qui était chargé de la politique d’acquisition, de fabrication, d’importation, de stockage et de distribution des produits, biens et services nécessaires à la protection de la population en cas de menace sanitaire grave. Le dispositif a été très efficace en 2009 lors de l’épidémie de grippe A/H1N1. Mais tout cela a disparu. On a coupé dans les budgets, les stocks n’ont pas été renouvelés et l’Eprus lui-même a disparu en 2016 avec l’Institut de veille sanitaire pour être fondu au sein de Santé publique France .

On pourrait également reprocher à l’État de ne pas avoir agi assez vite alors que la sonnette d’alarme avait été tirée très tôt par l’OMS. Jusqu’au 4 mars, le ministère de la santé s’est contenté d’émettre de recommandations d’hygiène et ce sont les autorités locales qui ont pris le plus souvent l’initiative. J’habite non loin d’un cluster, dans le Morbihan, et je me souviens que le 7 mars, alors qu’Emmanuel Macron conseillait encore d’aller au théâtre, nous n’avions déjà plus le droit de nous réunir, des enfants et des enseignants étaient exclus des établissements scolaires et universitaires… et les cinémas étaient fermés.

Dans une interview au Monde, l’ancien directeur général de la santé William Dab reprochait au gouvernement de faire peser la lutte contre l’épidémie principalement sur les citoyens. Partagez-vous son avis ?

Totalement. Comme je le disais, il y a un déséquilibre entre les obligations d’action et les contraintes liées à la sécurité sanitaire. Concrètement, dans cette crise, l’État a privilégié une approche disciplinaire et policière de l’épidémie, sans se voir imposer d’obligation positive de protection de la population. La contrainte et la responsabilité pèsent principalement sur les individus. Ils sont les vecteurs de transmission de la maladie et c’est leur comportement qui est mis en cause.

Je trouve que la récente proposition de la présidente de la Commission européenne, visant autoriser un déconfinement de la population à l’exception des seniors qui resteraient enfermés jusqu’à la fin de l’année, est un bon exemple de cette disproportion des responsabilités.

Nous sommes de plus dans une logique de surenchère sécuritaire. En guise de lutte contre l’épidémie, nous n’avons qu’une seule mesure phare : le confinement. Cela renforce l’idée que c’est la population qui est responsable de l’évolution de l’épidémie. D’autant plus que la loi d’urgence sanitaire et le décret de confinement prévoient des sanctions fortes allant jusqu’à l’incarcération en cas de réitération de non-respect du confinement. Nous assistons ainsi à une résurgence de la délinquance sanitaire. L’ennemi, c’est le non-observant des règles de distanciation sociale.

Il doit y avoir un équilibre entre discipline et protection et une proportionnalité dans les mesures prises. Certes, il y a un risque pour la vie de chacun. Mais pour le reste, les règles de l’État de droit demeurent. La protection de la santé n’est pas une fin en soi ; elle ne justifie pas tout.

Ce que je trouve abominable, c’est que l’on se résigne facilement à beaucoup de choses, comme l’enfermement des personnes âgées, l’isolement des malades ou la priorisation des soins. L’État a très tôt déverrouillé les possibilités d’usage de produits de sédation profonde afin d’accompagner la fin de vie des malades ne pouvant accéder à la réanimation. Ça a tout de même un sens.

Et l’on se résigne déjà pour l’avenir. On nous prévient par exemple que la relance de l’économie imposera des « efforts » aux travailleurs, qui devront renoncer à certains acquis sociaux.

Cette crise n’oppose pas seulement la sécurité à la liberté. Elle menace aussi l’égalité et interroge sur la solidarité.

N’y a-t-il pas une responsabilité des citoyens qui, en réclamant toujours plus de sécurité sanitaire, a conduit l’État à s’arroger des pouvoirs de police toujours plus importants qui aujourd’hui se retournent contre eux ?

Oui. En réclamant davantage de protection, en demandant toujours plus à l’État en termes de sécurité, nous avons aussi diminué notre liberté. Avec cette épidémie, on perçoit le risque d’un retour à une forme d’hygiénisme, avec une forme culpabilisation des individus et des mesures créatrices d’inégalités, pesant lourdement sur les plus vulnérables et les plus défavorisés.

Dans votre thèse, vous expliquez que ces évolutions de l’ordre public sanitaire, avec l’affirmation de la sécurité sanitaire et une augmentation des pouvoirs et obligations de l’État, dessinent « les contours d’une figure paternaliste de l’État, dont la logique ne relève plus ni de l’État-gendarme ni de l’État-providence ». N’est-ce pas exactement ce que nous sommes en train de vivre, notamment au travers de la communication présidentielle qui tente de mettre en scène un président « père de la Nation » ?

Oui, en effet. J’ai l’impression que ce qui se passe est une sorte d’apothéose de ce qui s’est construit depuis quelques dizaines d’années.

Cette évolution reflète l’importance prise par des droits « de sécurité » qui se sont affirmés comme droits fondamentaux depuis les années 1990 : droit à la protection de la vie, droit à la protection de l’intégrité physique, droit à la protection de la santé, etc. Leur caractéristique est qu’ils ne se déclinent pas seulement en termes de liberté mais conduisent aussi à des obligations positives de protection qui peuvent être imposées aux individus. Cela induit une sorte de paternalisme d’État.

Le discours du gouvernement est symptomatique de cette évolution. Les mesures prises ont été justifiées par la nécessité de protéger la santé des personnes les plus vulnérables (personnes âgées ou de santé fragile). Ont-elles été réellement protégées ? Et jusqu’où peut-on contraindre la liberté pour cette protection ? La santé est-elle un impératif supérieur à la liberté comme le laisse entendre la présidente de la Commission européenne ? Nous sommes progressivement passés d’un impératif de défense sanitaire de la collectivité à la recherche de la sécurité pour la santé de chacun. Et cet objectif semble suffire à justifier d’importantes restrictions de liberté, y compris pour protéger les personnes contre elles-mêmes.

Il faut réfléchir sur le lien entre ordre public et droits fondamentaux et s’interroger sur les rapports entre liberté et sécurité sanitaire.