Politique santé sécu social de l’exécutif

Médiapart - Submergé par la vague, Macron reconfine

Octobre 2020, par Info santé sécu social

28 OCTOBRE 2020 PAR ELLEN SALVI

Après avoir longtemps assuré que la situation était sous contrôle et que tout était prêt en cas de recrudescence de l’épidémie, l’exécutif a finalement choisi de reconfiner l’ensemble du territoire à compter de vendredi et pour un mois. Une mesure qui signe l’échec de sa stratégie initiale.

« La décision a été prise » dans la matinée, comme l’a confirmé en milieu de journée le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, mais il a fallu attendre 20 heures pour qu’Emmanuel Macron informe les Français de ses décisions. Mercredi 28 octobre, le président de la République a annoncé la mise en place d’un nouveau confinement sur l’ensemble du territoire – avec des adaptations en outre-mer – à compter de vendredi et jusqu’au 1er décembre minimum. « Nous sommes submergés par l’accélération soudaine de l’épidémie », a-t-il affirmé, en soulignant que le virus « semblait gagner en force » à l’approche de l’hiver et de la baisse des températures.

Le chef de l’État a insisté sur ce qui allait se passer au cours des prochaines semaines : quoi qu’il arrive, « 9 000 patients seront en réanimation mi-novembre », a-t-il dit, et le pays comptera « au moins 400 000 morts supplémentaires » d’ici quelques mois si rien n’est fait. « Nous avons pris des mesures déjà difficiles », a-t-il rappelé, mais elles « se révèlent insuffisantes pour endiguer une vague qui aujourd’hui touche toute l’Europe ». « Le virus circule en France à une vitesse que même les prévisions les plus pessimistes n’avaient pas anticipée. [...] À la différence de la première vague, l’ensemble des régions se trouve aujourd’hui au seuil d’alerte. »

Ce nouveau confinement est calqué sur celui instauré au printemps dernier à quelques exceptions près : les crèches, les écoles, les collèges et les lycées demeureront ouverts avec « des protocoles sanitaires renforcés » ; le travail « pourra continuer », mais « partout où c’est possible, le télétravail sera à nouveau généralisé » ; et « les visites en maison de retraite ou en Ehpad seront cette fois autorisées dans le strict respect des règles sanitaires ». « Comme au printemps, vous pourrez sortir de chez vous pour aller travailler, vous rendre à un rendez-vous médical, pour porter assistance à un proche, pour faire vos courses ou prendre l’air à proximité de votre domicile. C’est donc le retour de l’attestation », a précisé Emmanuel Macron.

En revanche, « les facultés et établissements d’enseignement supérieur assureront des cours en ligne ». Et les « commerces qui ont été définis au printemps comme non essentiels, les établissements recevant du public », notamment les bars, les restaurants, les musées, les cinémas et les salles de spectacle, devront baisser de nouveau leur rideau. Ce sont les grands perdants de ce reconfinement.

« Comme au printemps, le “quoi qu’il en coûte”, cette réponse économique parmi les plus protectrices du monde se poursuivra », a assuré le président de la République, en annonçant la prise en charge « jusqu’à 10 000 euros par mois » des pertes en chiffres d’affaires des petites entreprises fermées administrativement. « Les salariés et les employeurs qui ne peuvent pas travailler continueront quant à eux à bénéficier du chômage partiel, a-t-il ajouté. Et nous compléterons par des mesures de trésorerie pour les charges et les loyers des prochaines semaines et un plan spécial sera fait pour les indépendants, les commerçants, les très petites et moyennes entreprises qui, je sais, redoutent plus que tout la crise. » Le dispositif sera réévalué « tous les quinze jours ».

Les guichets de services publics, les usines, les exploitations agricoles, les bâtiments et les travaux publics continueront quant à eux à fonctionner, a poursuivi le chef de l’État, qui entend ainsi « protéger notre économie ». « Il n’y a pas de système de santé qui tient s’il n’y a pas une économie forte pour le financer », a-t-il souligné. L’activité sera donc maintenue « avec plus d’intensité » qu’au printemps, car « l’économie ne doit ni s’arrêter ni s’effondrer ». Emmanuel Macron a d’ailleurs appelé chacun à « participer de cet effort en travaillant ». « Je ne crois pas en l’opposition entre santé et économie », a-t-il dit, alors même qu’une fois la première vague apaisée, son gouvernement n’a plus évoqué que relance, reprise et baisses des impôts.

Depuis cet été, le message de l’exécutif était en effet très clair : il fallait à tout prix « revenir à la normale » et « vivre avec le virus ». Alors que le reconfinement était écrit dans les courbes épidémiques et que les professionnels de santé tiraient la sonnette d’alarme depuis fin août, le pouvoir ne cessait d’opter pour des mesures trop faibles et trop tardives. « On a perdu le contrôle. Nous n’avons plus qu’à subir », déplorait l’ex-directeur général de la santé William Dab, début octobre. Le chef de l’État a beau se retrancher derrière les autres pays européens, en insistant sur le fait qu’eux aussi sont fortement touchés par la deuxième vague, la situation de ces pays n’est en rien comparable à celle de la France. Eux n’ont pas attendu d’être au pied du mur pour agir.

Le président de la République l’assurait encore lors de son interview télévisée du 14 octobre, en annonçant la mise en place d’un couvre-feu pour 20 millions de Français : « Nous n’avons pas perdu le contrôle. » L’instauration, quinze jours plus tard, d’un nouveau confinement prouve qu’il n’en était rien. « Avons-nous tout bien fait ? Non, et je l’ai dit il y a quinze jours, on peut toujours s’améliorer, mais nous avons fait tout notre possible et je crois profondément que notre stratégie était, compte tenu des informations qui étaient les nôtres, la bonne », a toutefois assuré le chef de l’État mercredi soir, en rappelant qu’« il faut avoir beaucoup d’humilité » face à cette crise sanitaire qui donne l’« impression “d’un jour sans fin” ».

Avant d’annoncer sa décision, Emmanuel Macron a écarté toutes les autres options : la recherche de l’immunité collective – « jamais nous ne laisserons mourir des centaines de milliers de nos citoyens, ce ne sont pas nos valeurs, ça n’est pas non plus notre intérêt » ; le confinement des seules personnes à risque, option « pertinente », mais « pas suffisante » ; la stratégie du « tester, alerter, protéger », système qui « n’est plus efficace » ; et l’augmentation de nos capacités de réanimation. « Là non plus ce n’est pas une bonne réponse », a-t-il affirmé, car « quand bien même nous pourrions ouvrir beaucoup plus de lits et malgré l’effort de doublement que nous avons réussi, qui peut sérieusement vouloir que des milliers de nos compatriotes passent des semaines en réanimation avec les séquelles que cela implique sur le plan médical ? »

Ce retour au confinement pose évidemment la question de l’acceptabilité d’une telle mesure. Le président de la République le sait pertinemment, c’est pourquoi il a insisté, en fin d’allocution, sur la nécessité de « rester unis et solidaires, et de ne pas céder au poison de la division ». « J’ai confiance en vous, a-t-il asséné. Nous devons tenir, chacun à notre place, dans la transparence, le débat, dans la détermination pour appliquer les règles que nous nous fixons et en nous serrant les coudes. [...] Nous avons besoin des uns des autres, nous sommes une nation unie et solidaire et c’est à cette condition que nous y arriverons. Nous sommes la France. » Les mots « transparence » et « débat » résonnent étrangement dans un contexte où, depuis le début de la crise, toutes les décisions sont prises en conseil de défense par un noyau resserré autour du chef de l’État.

Un débat, suivi d’un vote non contraignant, sera organisé au Parlement jeudi, sur la base de l’article 50-1 de la Constitution. Une nouvelle fois, les députés et les sénateurs seront donc contraints de légiférer dans l’urgence et sans que cela n’ait réellement de conséquences sur les choix gouvernementaux. Le même jour, en toute fin d’après-midi, le premier ministre, entouré des ministres de l’éducation nationale (Jean-Michel Blanquer), du travail (Élisabeth Borne), de l’intérieur (Gérald Darmanin), de l’économie (Bruno Le Maire), et de la santé (Olivier Véran), donnera une conférence de presse pour préciser la façon dont les mesures annoncées mercredi soir seront appliquées. Sous couvert de « transparence » et de « débat », chacun est donc placé, encore et toujours, devant le fait accompli.

Les forces politiques, reçues la veille à Matignon par Jean Castex, ne s’y sont d’ailleurs pas trompées. « Nous avons malheureusement assisté à une sorte de café du commerce », expliquait le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure en sortant de la réunion, tandis que le patron de Les Républicains (LR), Christian Jacob, évoquait « un sentiment d’improvisation, de panique, de manque d’anticipation ». « On a perdu un mois et demi dans des mesures de protection qui auraient pu endiguer l’avancée du virus », a également regretté le député LR Éric Ciotti. « La rentrée de septembre a été sûrement organisée de manière trop optimiste », a aussi souligné François Hollande.

Plusieurs responsables politiques ont en effet pointé l’échec de la stratégie adoptée par l’exécutif après la première vague. « Le déconfinement est un échec, a tweeté le chef de file de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, après l’allocution. L’épidémie est hors de contrôle. Le président aussi. Aucune leçon tirée. Tous les foyers de contamination restent ouverts. Mais que reste-t-il de nos vies  ? Nous respecterons la discipline sanitaire. Mais sans cautionner ce pilotage incohérent. » « Le gouvernement a tardé à prendre des mesures qui, si elles avaient été prises plus tôt, auraient permis peut-être ce freinage et éviter ce mur du confinement, a commenté de son côté le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Julien Bayou. À privilégier l’économie, on se retrouve à perdre, et sur la santé, et à perdre sur l’économie. »

Autant de réactions qui font écho à tous les messages qu’affichaient les membres de l’exécutif depuis le début de l’été, Emmanuel Macron le premier. Interrogé le 14 juillet sur une éventuelle deuxième vague de l’épidémie, le président de la République avait promis que « nous serions prêts » si un tel scénario venait à se produire. « Nous avons à la fois les stocks et les approvisionnements qui sont sécurisés, avait-il dit. Et nous avons l’organisation, au plus près du terrain, qui permettrait de faire face à une recrudescence si elle était là. […]. Tout ce que nous avons appris, tout ce que nous avons projeté, modélisé, nous a permis de nous organiser. » Pour un nouveau confinement.