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Médiapart - Un syndicaliste éborgné jeudi lors de la manifestation à Paris

Septembre 2016, par Info santé sécu social

Les manifestations contre la loi sur le travail ont repris jeudi 15 septembre. Les violences policières aussi. Dans un communiqué diffusé à la suite du défilé parisien, la préfecture de police établit un sobre bilan : « 8 policiers et gendarmes ont été blessés dont 2 présentant des brûlures suite aux jets de cocktails Molotov. 4 manifestants ont été blessés. » Si le bilan des blessés parmi les forces de l’ordre est incontestable, celui des manifestants blessés laisse perplexe. Dès la fin de la manifestation, des « street medics » croisés place de la République parlaient déjà d’au moins une dizaine de blessés. Parmi ceux-ci, un homme avait dû être pris en charge sur le parcours, grièvement blessé à la tête.

Mais le cas le plus grave n’est intervenu qu’une fois le cortège arrivé place de la République. Laurent Theron, un syndicaliste de Sud Santé Sociaux de l’AP-HP, âgé de 43 ans et père de deux enfants, a été touché à l’œil par un projectile apparemment lancé par les forces de l’ordre. Opéré à l’hôpital Cochin, son œil n’a pu être sauvé.

Il est environ 16 h 45 jeudi. La tête de cortège est parvenue depuis environ 16 heures jusqu’à la place de la République, après avoir défilé depuis Bastille. Des groupes syndicaux arrivent encore. Des échanges de projectiles lancés par certains manifestants et de gaz lacrymogènes par la police ont lieu à quelques minutes d’intervalle, de façon sporadique, mais dans l’ensemble la situation est assez calme sur la place, qui baigne dans un léger nuage.

Laurent Theron se trouve derrière la rampe de skateboard, sur le terre-plein central. Il n’est pas cagoulé, n’a pas de casque, pas même de lunettes de plongée qui pourraient le protéger des gaz lacrymogènes. Il est seul et a même « les mains dans les poches », selon un témoin. Survient alors, selon la quinzaine de témoignages recueillis par le syndicat Solidaires, un mouvement de foule, suivi d’une charge de policiers en tenue. Des grenades lacrymogènes sont lancées. Selon quatre témoignages, il y a aussi au moins un tir de grenade de désencerclement. Selon un témoin qui se trouve à ce moment-là juste à côté du syndicaliste, une grenade de désencerclement est lancée en cloche sur ce groupe. Un autre témoignage fait état d’une explosion assourdissante. Un autre témoin placé un peu plus loin confirme un tir en cloche.

Laurent Theron est blessé à l’œil. Un manifestant présent à ses côtés est blessé à la jambe. Le syndicaliste est évacué de la place par deux CRS tout en étant pris en charge par des « street medics ». Un médecin qui a vu la scène arrive également. Il faudra cependant 55 minutes avant que Laurent Theron ne soit pris en charge par les pompiers, puis évacué vers l’hôpital Cochin.Selon Solidaires, des photographies récupérées par la suite montrent une mare de sang dans laquelle se trouve une goupille, ce qui attesterait d’un lancer de grenade de désencerclement.

Introduite en 2004, cette grenade émet 160 décibels, et propulse des projectiles en caoutchouc – 18 au total – alentour, mais aussi les débris parfois coupants et plus ou moins gros de son emballage. Fabriquée notamment par la société SAPL, sous la dénomination commerciale DBD 95 (pour « dispositif balistique de dispersion », on l’appelle aussi « dispositif manuel de protection », DMP), elle a été conservée dans l’arsenal des forces de l’ordre malgré des incidents mentionnés en novembre 2014 dans le rapport d’inspection sur « l’emploi des munitions en opérations de maintien de l’ordre ».

Dans un communiqué diffusé vendredi après-midi, Solidaires dénonce « avec force l’usage disproportionné des grenades de désencerclement, lacrymogènes et des tirs de flash ball qui ont fait des centaines de blessé-e-s, parfois très graves ». « Plus largement, l’Union syndicale Solidaires, avec la CGT, la FSU, le SAF, la LDH, la FIDL et l’UNL, demande l’ouverture d’une enquête parlementaire sur les choix opérés par le ministère de l’Intérieur depuis le début de la mobilisation contre la “loi travail” et que les responsables de la mutilation de Laurent Théron répondent de leurs actes », conclut le communiqué.

Un appel à témoignages a également été lancé via l’adresse mail temoignage-repu@laposte.net.

Transporté à l’hôpital Cochin, Laurent Theron a été opéré mais son œil n’a pu être sauvé, nous confirme un proche. « Le chirurgien n’a pas pu déterminer avec certitude la nature de l’impact », précise ce proche. Selon Éric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, le chirurgien a tout de même estimé qu’il pouvait bien s’agir d’un « élément de grenade ».

Solidaires est à présent en train de préparer un dossier en vue de déposer une plainte à l’IGPN, la police des polices, sans doute en début de semaine prochaine.

Si la piste d’une grenade de désencerclement se confirme, ce sera la seconde fois que l’usage de cette arme fait un blessé grave lors d’une manifestation parisienne. Le 26 mai dernier, une grenade lancée devant une foule pourtant calme près du cours de Vincennes, à Paris, à l’issue d’une manifestation, avait touché à la tête Romain D., un jeune homme de 28 ans (lire notre article). Lors de ce précédent, la grenade avait été lancée « de manière conventionnelle », en la faisant rouler sur le sol. Il semblerait que ce ne soit pas le cas pour Laurent Theron jeudi.

La veille de la manifestation, un collectif rendait par ailleurs publique une série de témoignages de violences policières qui ont fait l’objet, pendant l’été, d’une saisine du Défenseur des droits – nous y reviendrons ces prochains jours. Depuis le début des manifestations contre la loi sur le travail, de nombreux manifestants ont été blessés, et pas seulement à Paris. Mediapart avait publié une page entière d’extraits vidéo de ces violences fin mai (à voir ici). Le site Buzzfeed News a pour sa part recensé certaines de ces violences dans un tableau régulièrement mis à jour (à voir ici). Selon le site, « le ministère de l’intérieur déclare qu’il y a actuellement 92 enquêtes judiciaires en cours et 7 enquêtes administratives ». Le site précise que le ministère lui a assuré qu’aucune sanction n’a encore été prise « puisque les enquêtes sont en cours ».