Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Vaccin obligatoire ou passe sanitaire XXL : à la recherche du moindre mal

Juillet 2021, par Info santé sécu social

20 JUILLET 2021 PAR ROZENN LE SAINT
Une obligation vaccinale franche – et non déguisée en élargissement du passe sanitaire – serait davantage liberticide mais moins discriminatoire. Qu’ils soient pour ou contre la contrainte vaccinale, experts en santé, en droit et en sciences sociales se penchent sur ce dilemme inédit.

Entre l’extension du passe sanitaire et l’obligation vaccinale pour tous, clairement affichée, quelle option porte le moins atteinte aux droits fondamentaux ? Les professeurs de philosophie n’auraient jamais pensé poser une telle problématique, ni au baccalauréat 2019, ni à l’édition 2020, et même pas en juin 2021.

Depuis le 12 juillet et l’allocution d’Emmanuel Macron annonçant l’élargissement du passe sanitaire, qu’ils soient pour ou contre toute forme d’obligation vaccinale, Mediapart a demandé à des juristes, sociologues, philosophes, experts en éthique médicale et immunologie, de plancher sur ce dilemme inédit.

La crise sanitaire est aussi sans précédent et la reprise épidémique, bien présente. Le variant Delta du Sars-CoV-2, davantage contagieux, exige une couverture vaccinale de plus de 90 % pour limiter la circulation du virus. Or, si le bénéfice individuel de la vaccination pour les personnes à risque de développer une forme grave de Covid-19 semble avoir été bien compris, l’intérêt collectif, lui, l’est moins.

Le passe va avoir une efficacité puisque, par essence, les gens qui ne pourront pas être vaccinés ne pourront plus aller nulle part. Cela limite les interactions et donc la circulation du virus.
Jean-Daniel Lelièvre, professeur en immunologie

« Le gouvernement agit de façon très autoritaire. Il aurait dû communiquer davantage sur l’effet des vaccins Covid-19 sur la transmissibilité du Sars-CoV-2 quand il a été prouvé », estime Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie clinique et maladies infectieuses au CHU Henri-Mondor de Créteil.

« Le risque de transmettre le virus pour les vaccinés n’est pas nul mais bien moindre. Ce n’est pas blanc ou noir. Chez les personnes vaccinées infectées, il y a une diminution de la concentration et de la durée de sécrétion des virus, ce qui limite les risques de contagiosité », assure le professeur.

Pour ce qui est de l’effet strictement sanitaire, « le passe va avoir une efficacité puisque, par essence, les gens qui ne pourront pas être vaccinés ne pourront plus aller nulle part. Cela limite les interactions et donc la circulation du virus », traduit Jean-Daniel Lelièvre.

En attendant d’approcher l’immunité collective, dans le contexte épidémiologique actuel, les personnes non vaccinées âgées ou présentant d’autres facteurs de comorbidité comme l’obésité sont celles qui risquent le plus de développer des formes graves de Covid-19 et de déferler dans les hôpitaux. Or la saturation des établissements de santé est ce qui dicte les mesures de restriction des libertés depuis le début de la crise sanitaire.

Sauf qu’à présent, les doses de vaccins sont disponibles. Un nouveau confinement pour tous les Français est écarté par l’exécutif. Alors que faire ? Dans l’un des scénarios évoqués dans son avis du 6 juillet intitulé « réagir maintenant pour limiter une nouvelle vague associée au variant Delta », le Conseil scientifique suggère de « rendre la vaccination obligatoire chez les personnes à risques, dans certaines catégories identifiées ou en population générale ».

Aller chercher les hésitants sans la contrainte reste la meilleure méthode pour convaincre les non-vaccinés, et en premier lieu les plus vulnérables face au Covid-19. Mais cela prend du temps.

Au-delà du débat éthique ou idéologique, la mise en pratique de l’obligation de se faire vacciner pour les personnes qui ont le plus de risque d’être hospitalisées semble difficile. En France, l’obligation vaccinale existe pour les bébés, avec un refus d’accès aux crèches en cas de non-vaccination, ainsi que pour le personnel soignant, avec possibilité de contrôle par l’employeur.

Or le facteur de l’âge est clairement celui qui joue le plus dans la survenue de formes graves de Covid-19. « Dans les faits, comment contraindre une personne âgée, retraitée, à se faire vacciner ? En l’empêchant d’aller faire ses courses ? Plus cela va, plus les positions se braquent. Je ne suis pas du tout à l’aise dans ces débats, même si je suis persuadé qu’il faut vacciner le plus largement possible », confie Jean-Daniel Lelièvre, expert auprès de la Haute Autorité de santé (HAS).

Il dénonce par ailleurs la difficulté à cibler les autres personnes les plus vulnérables. « D’abord, les immunodéprimés répondent moins bien à la vaccination. Ensuite, il n’est pas possible de repérer les personnes en surpoids, sauf celles en affectation de longue durée 30 [comportant un traitement prolongé – ndlr] », souligne Jean-Daniel Lelièvre.

Quelles sont les alternatives ? « Miser sur une communication bien ficelée sur les plus vulnérables. Sous prétexte que l’on ne peut pas obliger les plus vieux à se faire vacciner du fait que cela serait discriminatoire et que cela ne tiendrait pas juridiquement, on pourrit la vie de tous les non-vaccinés ? », interroge Fabrice Di Vizio, avocat en santé publique connu pour être le défenseur de Didier Raoult.

Aller chercher les hésitants sans la contrainte reste la meilleure méthode pour convaincre les non-vaccinés, et en premier lieu les plus vulnérables face au Covid-19. Mais cela prend du temps. L’exécutif, qui n’y a pas suffisamment mis les moyens, doit s’y atteler.

Le département de Seine-Saint-Denis a tenté, avec ses ressources, d’aller vers les non-vaccinés. Mais face au plafond de verre vaccinal, le président (PS) du conseil général, Stéphane Troussel, se prononce à présent pour l’obligation vaccinale pour tous.

« J’habite en Seine-Saint-Denis. Mettre en place des ambassadeurs du vaccin, c’était pas mal. Il y a eu quelques actions d’“aller-vers” mais il faut une politique davantage volontariste du gouvernement et une communication appropriée », réclame Jean-Daniel Lelièvre, membre de la HAS. Le 17 juillet, l’instance a appelé à « l’ouverture rapide d’un large débat » sur l’obligation vaccinale.

« Comme on n’a pas suffisamment fait d’aller-vers, il n’y a plus beaucoup de solutions. La vaccination obligatoire en est une, mais sa mise en application pose problème », commente le professeur en immunologie.

Je suis défavorable à l’obligation vaccinale mais ce serait moins hypocrite ; et sur le plan juridique et des libertés, ce serait plus clair, dans la mesure où l’objectif serait la protection de la santé de la population
Fabrice Di Vizio, avocat égérie des anti-passe sanitaire

Cette semaine, des parlementaires déposeront des amendements proposant l’obligation vaccinale lors de l’examen du projet de loi prévoyant la généralisation du passe sanitaire.

La question, c’est : plutôt que de mettre en place une obligation vaccinale déguisée en mettant d’un côté les vaccinés et de l’autre, les non-vaccinés, voire face à face, ne vaudrait-il pas mieux rendre clairement la vaccination obligatoire ? Entre l’obligation vaccinale camouflée et celle clairement énoncée, laquelle atteindrait le moins deux valeurs fondamentales de la République, l’égalité et la liberté ?

L’avocat favori des anti-passe sanitaire, Me Fabrice Di Vizio, en convient. « Je suis défavorable à l’obligation vaccinale mais ce serait moins hypocrite ; et sur le plan juridique et des libertés, ce serait plus clair, dans la mesure où l’objectif serait la protection de la santé de la population », estime l’avocat en santé publique.

Martine Wonner (ex-LREM), Fabrice Di Vizio (avocat en santé publique), Florian Philippot (Les Patriotes) et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), à l’avant du cortège de la manifestation anti-passe sanitaire du 17 juillet. © RLS
Martine Wonner (ex-LREM), Fabrice Di Vizio (avocat en santé publique), Florian Philippot (Les Patriotes) et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), à l’avant du cortège de la manifestation anti-passe sanitaire du 17 juillet. © RLS
« Avec l’extension du passe sanitaire, la finalité est différente. Elle est d’inciter à la vaccination en pourrissant la vie des non-vaccinés, en l’imposant sur les terrasses de restaurants, par exemple, alors que d’un point de vue sanitaire, cela n’a pas de sens », explique celui qui a défilé contre le passe sanitaire le 17 juillet aux côtés de Florian Philippot, président des Patriotes et ex-numéro 2 du Front national.

Nicolas Hervieu, juriste spécialiste en droit des libertés, considère quant à lui qu’« à condition que la mise en œuvre soit bien bornée, les deux options sont fondées, compte tenu du contexte sanitaire. Le principe de proportionnalité joue ».

Néanmoins, selon cet enseignant à Sciences-Po Paris, « l’extension du passe sanitaire est sûrement plus proportionnée que l’obligation, qui se heurte au droit à l’intégrité physique. L’avantage, c’est que l’obligation affecte tout le monde de la même façon mais le désavantage, c’est qu’elle ne laisse pas le choix, alors qu’avec un passe sanitaire étendu, ceux qui ne veulent pas se faire vacciner peuvent encore ne pas le faire. Cela permet de conserver une latitude et de ne pas porter atteinte au corps humain ».

Face à ce dilemme, Jérôme Peigne, professeur en droit de la santé à l’université de Paris, réagit : « Je ne sais pas s’il est possible de quantifier une atteinte au droit. Disons que la vaccination obligatoire est attentatoire à la liberté individuelle et à l’indisponibilité et l’inviolabilité du corps humain. De l’autre côté, la condition de passe sanitaire porte atteinte à des droits économiques et sociaux qui, en pratique, se révèlent tout aussi importants. L’atteinte est directe dans le premier cas, indirecte dans le second », expose-t-il.

Les juristes considèrent que devant le Conseil constitutionnel, qui donnera son avis après l’examen du texte généralisant l’usage du passe sanitaire par le Parlement, l’objectif de protection de la santé publique devrait quoi qu’il en soit s’imposer, comme cela a été le cas devant le Conseil d’État.

Je dénonce une certaine politique qui ne trouve rien de mieux que de culpabiliser
Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale

Les garde-fous sont surtout attendus de la part des parlementaires, pour éviter un possible embrasement du côté des anti-passe sanitaire. Dans les cortèges, le 17 juillet, beaucoup dénonçaient l’atteinte aux libertés, mais aussi la méthode autoritaire. Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à la faculté de médecine de l’université Paris-Saclay, déplore aussi la forme.

« Le vaccin est primordial pour sortir de cette crise mais je dénonce une certaine politique qui ne trouve rien de mieux que de culpabiliser avec un discours moralisateur, alors que si on en est là, c’est le résultat d’un certain échec de la politique vaccinale mise en place jusqu’à présent. Il faut créer des conditions de confiance et non de stigmatisation qui pousse à des mouvements d’hostilité et d’opposition entre vaccinés et non-vaccinés », estime-t-il.

« En environnant la décision de paroles inappropriées, on va se retrouver avec des personnes qui se sentent méprisées, déclassées, qui ont le sentiment de ne plus être société et qui vont être de plus en plus dans l’opposition et dans la défiance », craint le professeur d’éthique médicale.

Au risque que les anti-passe sanitaire se braquent. Ils pourraient alors camper sur leur position de ne pas se faire vacciner par principe. « La méthode de l’exécutif peut être contre-productive et inciter des hésitants à se positionner non pas contre le vaccin mais contre la façon de contraindre », regrette-t-il.

Si la vaccination était rendue obligatoire, certains se résoudraient-ils davantage à recevoir une injection ? « La loi a quelque chose de normatif et de rassurant pour des personnes qui hésitent. La force de la loi est une réalité qui fait qu’on adhère plus facilement, pour autant qu’elle procède d’un débat parlementaire argumenté », signale Emmanuel Hirsch.

« Quand on légifère, une très faible part de la population transige avec les règles, de l’ordre de 1 à 3 %. Si l’obligation vaccinale était ferme, avec un véritable système de vérification, ils seraient peu à transiger en cherchant des médecins pour leur demander de faux certificats de vaccination, par exemple », estime Romy Sauvayre, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Clermont-Auvergne.

Sur le plan philosophique, Frédéric Worms, membre du Comité consultatif national d’éthique, explique qu’à titre personnel, quelle que soit l’option, le plus important, selon lui, c’est « la justification sanitaire dans un cadre démocratique, en laissant le temps à l’explication de la délibération » : « Je ne suis pas contre l’obligation dans l’absolu, je la trouve plus claire en un sens. S’il fallait vraiment choisir, je préférerais cette option par rapport à l’extension du passe sanitaire, car cela donnerait une base commune », explique le professeur de philosophie à l’École normale supérieure.

D’ailleurs, la défenseure des droits a de nouveau regretté ce 20 juillet le manque de débat démocratique de fond « compte tenu de l’ampleur des atteintes aux droits et libertés fondamentales prévues par ce projet de loi ainsi que du caractère inédit de certaines dispositions qu’il comporte ».