Luttes et mobilisations

Médiapart - Variant Omicron : l’urgence de lever les brevets sur les vaccins

Décembre 2021, par Info santé sécu social

VACCINS : UNE COURSE SANS FIN ENQUÊTE

L’émergence du variant Omicron devrait réveiller les pays riches : sans un accès aux vaccins contre le Covid-19 dans le monde entier, la pandémie est amenée à durer. Or Omicron a au contraire servi d’excuse pour repousser la discussion à l’OMC sur la levée temporaire des droits de propriété intellectuelle.

Rozenn Le Saint
1 décembre 2021

Sauver des vies au lieu de préserver des profits. C’est le message porté lors des rassemblements du collectif Brevets sur les vaccins anti-Covid, stop. Réquisition ! À Paris, il s’est symboliquement tenu place de la Bourse, le 30 novembre, autour de bougies en référence aux vies qui auraient pu être épargnées si les brevets des vaccins avaient été levés. À la base, il devait avoir lieu en même temps que la réunion ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prévue à Genève.

À l’ordre du jour, la demande de l’Inde et de l’Afrique du Sud, soutenue par plus d’une centaine de pays, de lever les droits de propriété intellectuelle et de permettre le transfert de technologies sur les vaccins, traitements et tests anti-Covid, en attente depuis le 2 octobre 2020. L’accord fondateur de l’OMC prévoit pourtant cette possibilité… À condition que la décision soit prise à l’unanimité.

Le 26 novembre, Joe Biden, le président des États-Unis, avait réitéré sa volonté de lever les « protections de la propriété intellectuelle pour les vaccins Covid, afin que ces vaccins puissent être fabriqués à l’échelle mondiale ». Il avait appelé à agir « rapidement » en ce sens.

Sauf que des représentants d’États et des activistes en faveur d’un accès équitable aux produits de santé sur la planète étaient empêchés de faire entendre leur voix à Genève pour cause de fermeture des frontières et de quarantaines imposées… Dont ceux en provenance d’Afrique du Sud, où seulement 29 % de la population est vaccinée, selon Our World in Data ; parmi lesquels, beaucoup avec le vaccin Johnson&Johnson, moins efficace que ceux à ARN-messager. Le terrain était donc favorable à l’émergence d’un nouveau variant comme l’Omicron.

C’est un pur scandale de pénurie organisée, de hold-up sur les doses !
Franck Prouhet, médecin et membre du collectif Brevets sur les vaccins anti-Covid, stop. Réquisition !

Finalement, la réunion de l’OMC a été reportée et la discussion autour de la brûlante question de la suspension des droits de propriété intellectuelle reportée sine die. « On se retrouve dans une situation absurde. L’émergence d’un variant qui s’est développé du fait de l’inégal accès aux vaccins empêche la tenue d’un événement prévu pour discuter de la solution, la levée des brevets », peste Jérôme Martin, cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.

Et ce, alors même que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reproché aux pays les fermetures des frontières « qui peuvent avoir un impact négatif sur les efforts de santé mondiale pendant une pandémie en dissuadant les pays de déclarer et de partager des données épidémiologiques et de séquençage. »

Le militant de l’accès aux médicaments a regretté cette annulation d’autant plus que « d’autres événements internationaux sont maintenus ». En l’occurrence, l’OMS, elle, tient son assemblée mondiale de la santé depuis le 29 novembre. Elle a abouti le 1er décembre au lancement d’un processus pour élaborer un accord mondial sur la prévention, la préparation et la riposte aux pandémies.

Cela a été l’occasion pour son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, de rappeler que « plus de 80 % des vaccins contre le Covid-19 dans le monde sont allés aux pays du G20 » alors que « les pays à faible revenu, pour la plupart en Afrique, n’ont reçu que 0,6 % de tous les vaccins » et de dénoncer « les approches “moi d’abord” ». Un soignant africain sur quatre seulement est vacciné. « C’est un pur scandale de pénurie organisée, de hold-up sur les doses ! », dénonce aussi Franck Prouhet, médecin et membre du collectif Brevets sur les vaccins anti-Covid, stop. Réquisition !

Alors que de premiers éléments sur l’efficacité des vaccins actuels sur le variant Omicron devraient être connus d’ici à deux semaines, les producteurs de vaccins à ARN-messager se préparent déjà à tester puis à fabriquer des produits sur mesure. Stéphane Bancel, le PDG de Moderna a indiqué au Financial Times craindre « une baisse significative » de l’efficacité des vaccins utilisés aujourd’hui face au variant Omicron.

Le ministère de la santé précise que « dans les contrats signés, des clauses relatives à l’apparition de variants nous permettront, en lien avec la Commission européenne, de les enclencher si nécessaire ». Et ainsi d’obtenir des vaccins spécifiquement conçus pour lutter contre le variant Omicron qui seraient disponibles « dans les six à sept mois », comme l’a estimé Dan Staner, vice-président de Moderna, sur France Info.

Les États riches seraient alors, de nouveau, les premiers servis ; et les pays pauvres, où les variants émergent, encore les derniers à obtenir des vaccins qui y soient adaptés. L’histoire se répète ainsi inlassablement en l’absence de levée des brevets. « La demande est repoussée par les représentants de l’Union européenne, de la Suisse et d’autres pays qui ont une forte industrie pharmaceutique », dénonce le médecin Franck Prouhet.

Après avoir tergiversé, le président français avait fini par se déclarer favorable à la levée des brevets le 10 juin, plus d’un mois après son homologue américain. L’Allemagne, elle, s’y est opposée. La Commission européenne aussi. « Avec le changement à la tête de l’État allemand, le rapport de force pourrait évoluer. Pour l’heure, Emmanuel Macron se réfugie derrière la Commission européenne. Or ce refus est injustifiable », estime Jérôme Martin.

Cela fait déjà quatorze mois que l’Inde et l’Afrique du Sud ont demandé à suspendre les brevets, censés récompenser la recherche des firmes pharmaceutiques.

Les représentants de la Commission européenne mettent en avant les outils déjà existants, comme la licence d’office. Cette solution très peu utilisée par les États, et jamais s’agissant des vaccins contre le Covid-19, permet de suspendre un brevet quand les conditions sanitaires l’exigent : l’initiative devrait venir de chaque pays, alors qu’une levée globale des droits de propriété intellectuelle simplifierait le processus.

Les opposants à la levée des brevets prétextent que ça n’est pas la solution face à l’urgence de la situation compte tenu du temps nécessaire pour transférer les technologies afin de permettre aux pays à bas revenus de produire des vaccins. Pourtant, les chaînes du sous-traitant de Moderna installé en Suisse, Lonza, ont permis d’alimenter le marché en seulement huit mois.

Or cela fait déjà 14 mois que l’Inde et l’Afrique du Sud ont demandé à suspendre les brevets, censés récompenser la recherche des firmes pharmaceutiques. Et ce, alors qu’elle a été largement assumée par les pouvoirs publics s’agissant des vaccins contre le Covid-19.

Pfizer-BioNTech a aussi annoncé en juillet avoir signé un accord de sous-traitance avec le laboratoire sud-africain Biovac afin qu’il fabrique des vaccins à ARN-messager qui devraient être disponibles l’an prochain pour le continent africain. C’est bien la préservation des bénéfices engendrés par les brevets, permettant de maintenir des prix élevés en l’absence de concurrence, qui dicte le refus de les lever.

Ce n’est pas un hasard si la demande émane de l’Inde et de l’Afrique du Sud, deux pays ayant déployé de fortes capacités de production pharmaceutique. L’Afrique du Sud s’était déjà attiré les foudres de 39 laboratoires qui l’avaient attaquée pour avoir voté en 1997 une loi favorisant la production de médicaments génériques, des copies à bas prix, pour lutter contre le Sida.

Le pays africain a ainsi développé des compétences pointues pour lutter contre les virus, d’où son réflexe de les séquencer, contrairement à d’autres pays où le Sars-CoV-2 circule fortement, sans que l’on en cherche les variants.

Pour se dédouaner, les pays riches comme ceux membres de l’Union européenne mettent en avant leurs actions de charité via le mécanisme Covax, créé par l’OMS et l’Alliance du vaccin (Gavi). Il vise à distribuer solidairement des doses à 92 pays aux plus faibles revenus.

Sauf que « la majorité des dons ont été ponctuels, fournis avec peu de préavis et de courte durée de conservation », ont dénoncé le dispositif Covax et l’Union africaine le 29 novembre. Seulement 14 % des doses de vaccins promises par les pays riches à Covax ont été effectivement livrées, selon les derniers chiffres du Fonds monétaire international.

Le fait de donner les vaccins dont les populations riches ne veulent pas alourdit la défiance vaccinale en Afrique.
Jérôme Martin, cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament

Par ailleurs, les États riches ont tendance à conserver pour leur propre population les vaccins les plus efficaces, ceux à ARN-messager. La France a longtemps uniquement donné de l’impopulaire AstraZeneca, boudé par les Français et réservé aux plus de 55 ans. Les autorités sanitaires estiment que pour les plus jeunes, compte tenu du risque rare d’effets indésirables, le rapport bénéfice-risque ne leur est pas favorable.

Or les doses Covax partent majoritairement en Afrique, « le continent le plus jeune du monde, 70 % de sa population a moins de 25 ans », comme l’a rappelé Emmanuel Macron le 10 juin. « Le fait de donner les vaccins dont les populations riches ne veulent pas alourdit la défiance vaccinale en Afrique », regrette l’activiste Jérôme Martin, rappelant que « la santé est un droit qui ne doit pas être simplement permis par des mesures de générosité » et que « la levée des brevets n’est pas incompatible avec les dons ».

Le 30 novembre, le ministère de la Santé a prévenu que « sur les doses de vaccins attendues durant les six premiers mois de 2022, une partie sera fléchée pour des dons. Mais en janvier et février, en pleine campagne de rappel vaccinal, il n’est pas question d’envoyer des vaccins Pfizer-BioNTech ni Moderna. Les dons d’AstraZeneca et de Johnson&Johnson, en revanche, continueront. »

En tout, la France a promis d’offrir 120 millions de vaccins d’ici à la mi-2022. À la mi-novembre, 25,9 millions de doses d’AstraZeneca avaient été données par la France, 12,2 millions de Johnson&Johnson, seulement 8,2 millions de Pfizer-BioNTech et encore moins de Moderna.

Rozenn Le Saint