Europe

Medscape - Malaise des professionnels de santé : au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne et en Italie aussi

Janvier 2023, par Info santé sécu social

Vincent Richeux
AUTEURS ET DÉCLARATIONS 
27 décembre 2022

Europe — Dans un contexte d’inflation record qui survient après deux années d’efforts fournis sur le front de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, la colère gronde chez les professionnels de santé européens confrontés à des difficultés croissantes liées à la baisse des effectifs, une charge de travail devenue insoutenable et des rémunérations jugées insuffisantes.

Alors que les systèmes de santé semblent plus que jamais à bout de souffle, des mouvements de contestation inédits s’observent dans plusieurs pays chez le personnel médical et paramédical.

Pour comprendre les revendications, Medscape dresse dans cet article un état des lieux à partir des publications issues de ses éditions internationales en se focalisant, outre la France, sur quatre pays européens : le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie.

100 000 infirmier.es dans les rues au Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, la colère des professionnels de santé s’illustre de manière exceptionnelle par une grève historique des infirmier.es. Pour la première fois en plus d’un siècle d’existence, leur syndicat, le Royal College of Nursing (RCN), a appelé en novembre dernier à une grève nationale pour réclamer une hausse des salaires de 5% au-dessus de l’inflation, alors que le salaire réel des infirmier.es a chuté de 20% depuis 2010, selon les estimations, après des années d’austérité et en raison d’une inflation record qui dépasse actuellement les 11%.
Le 15 décembre, premier jour de grève, près de 100 000 infirmières du service public ont cessé le travail. Si le RCN a garanti le maintien des soins d’urgence, le mouvement de grève pourrait conduire à l’annulation de plusieurs milliers de rendez-vous médicaux et opérations.

Pour le moment, le gouvernement conservateur reste inflexible et menace même de légiférer pour réduire le pouvoir des syndicats. Le ministère de la Santé et des Affaires sociales (DHSC) a déclaré que la demande du RCN représenterait une hausse des salaires de 17,6%, une fois l’inflation prise en compte, et couterait environ 9 milliards de livres sterling (9,15 milliards d’euros).
Impensable pour le gouvernement, qui souligne avoir déjà accordé en 2021 une hausse du salaire annuel des infirmier.es de 1400 livres sterling, soit une augmentation moyenne de 4 à 5%. Si un accord n’est pas trouvé, le syndicat prévoit de prolonger le mouvement jusqu’à mai 2023.

Selon une analyse du Trades Union Congress (TUC), une fédération de syndicats britanniques, le salaire réel annuel des infirmier.es a été réduit de 1800 livres sterling au cours de l’année 2022 en raison de la hausse du coût de la vie.
Si le gouvernement accepte une augmentation des salaires de 2%, les revenus annuels resteraient encore abaissés de 1 500 livres sterling pour les infirmières et de 1 900 livres sterling pour les ambulanciers, qui se sont eux aussi mis en grève.

« Une nouvelle augmentation en dessous du seuil de l’inflation mettrait le moral du personnel à bas, alors que les départs se multiplient et que la pénurie de main d’œuvre paralyse des services essentiels » du système de santé public (NHS), a commenté la secrétaire générale du TUC.

Situation de précarité pour les paramédicaux
Cette grève des infirmier.es s’inscrit dans une série exceptionnelle de mouvements sociaux qui touche les secteurs public et privé du Royaume-Uni en raison de la hausse des coûts de la vie. Pour les infirmier.es et les paramédicaux britanniques en général, la situation devient dramatique. D’après un récent sondage, près de deux tiers d’entre eux ont déclaré qu’ils doivent faire un choix entre acheter de la nourriture ou économiser pour pouvoir régler les factures énergétiques. Ils sont également 14% à s’être tournés vers les banques alimentaires pour subvenir à leurs besoins. Plus d’un quart envisagent de quitter leur poste pour rechercher un emploi mieux rémunéré.

Vendredi 23 décembre, le syndicat des infirmier.es a annoncé que des milliers d’infirmier.es britanniques se mettront à nouveau en grève les 18 et 19 janvier, et que d’autres dates seront confirmées au début de l’année 2023.

Situation insoutenable pour les médecins généralistes
Le Royal College of General Practicioners (RCCP) a alerté sur la situation « vraiment difficile » des médecins généralistes, qui peuvent recevoir en consultation jusqu’à 50 à 60 patients par jour, au détriment de la qualité des soins, pour 12 à 13 heures de travail quotidien. Selon une enquête menée par le syndicat, 68% des médecins généralistes estiment qu’il est de plus en plus difficile d’exercer dans des conditions de sécurité optimale, le risque étant de multiplier les erreurs de diagnostic ou de prescriptions.
La RCCP appelle à des mesures notamment pour augmenter les effectifs des praticiens, réduire la charge administrative et investir dans les nouvelles technologies afin de soulager la profession et éviter de voir le NHS s’effondrer.
Près de deux tiers des infirmier.es et paramédicaux interrogés ont déclaré qu’ils doivent faire un choix entre acheter de la nourriture ou économiser pour pouvoir régler les factures énergétiques.

200 000 manifestants à Madrid
En Espagne, le système de santé publique traverse également une grave crise depuis plusieurs années.
En cette fin d’année, pour protester contre le manque de ressources et les mauvaises conditions de travail, les professionnels de santé se mettent en grève dans les différentes régions autonomes. Les praticiens se mobilisent notamment contre la privatisation du système de santé.
Dans la région de Madrid, les médecins généralistes et les pédiatres ont lancé un mouvement de grève début novembre. Et, dans la capitale, au moins 200 000 manifestants se sont rassemblés le 13 novembre pour défendre le système public de santé dans la région. Les grévistes accusent la région de Madrid de donner beaucoup d’argent au secteur privé, mais pas assez au secteur publique. 
Quelques jours plus tard, le 21 novembre, 5 000 médecins de la région, notamment des pédiatres, ont protesté contre leur surcharge de travail. Ces médecins dénoncent des carnets de rendez-vous "sans fin", et manque de temps passé avec leurs patients. Médecins généralistes et pédiatres madrilains étaient à nouveau dans la rue le 17 décembre.

En Espagne, les praticiens se mobilisent notamment contre la privatisation du système de santé.
Un accord a été trouvé avec la Communauté de Madrid qui s’est engagée à ouvrir 49 centres d’urgences extrahospitaliers, dont 10 dédiés aux soins primaires et disposant d’un effectif fixe de quatre médecins. Même si la Communauté prévoit d’augmenter les dépenses de 22% en 2023 en faveur des soins primaires, la région reste celle qui consacre le plus faible budget à ce secteur. En plus d’un meilleur investissement financier, les syndicats réclament un maximum de 35 patients par jour en consultation en médecine générale, au lieu de 50 à 60 actuellement.

Conséquence de cette crise qui affecte les soins primaires du système de santé espagnol : les urgence hospitalières se retrouvent saturées. Elles accueillent actuellement 20 à 30 % de patients de plus, comparativement à 2019, accentuant ainsi l’épuisement des professionnel de santé.

Dans le reste de l’Espagne, la situation est également tendue. Les médecins de Cantabrie ont fait grève ces dernières semaines, et ceux de Catalogne, d’Andalousie et du Pays basque pourraient bientôt rejoindre le mouvement.

Allemagne : une grève au sein du plus grand hôpital européen
En Allemagne, où une épidémie de bronchiolite touche fortement les services de soins intensifs pédiatriques, la situation est aussi très tendue.
Cet automne, pour la première fois en 15 ans, 2700 médecins du plus grand hôpital universitaire d’Europe, l’hôpital de la Charité de Berlin, se sont mis en grève en raison de négociations salariales insatisfaisantes.
Cette grève est intervenue au moment où les médecins généralistes du Brandebourg protestaient contre les plans de financement du gouvernement fédéral envisageant de limiter leurs heures d’ouverture. 
Dernièrement, ce sont les professionnels de santé dans la région du Bade-Wurtemberg qui étaient en grève du 28 novembre au 1er décembre, en raison, là-encore, de discussions salariales. L’action s’est déroulée dans les hôpitaux universitaires de Heidelberg, Tubingen, Ulm et Freiburg.
Selon la Société hospitalière allemande (DGK), un déploiement de moyens financiers est nécessaire pour maintenir le secteur hospitalier à flot, afin d’aider à renforcer les équipes, mais aussi à faire face à une hausse des dépenses énergétiques liée à l’inflation, la grande majorité des hôpitaux allemands étant chauffés au gaz.

Italie : une bombe à retardement
En Italie, pas de manifestation ou de grève annoncées mais les professionnels de santé en activité souffrent également des conséquences du manque d’effectif et d’une organisation des soins devenue inadaptée.
Selon un récent sondage, 65% des praticiens rapportent un épuisement professionnel, qui poussent de nombreux professionnels de santé à tourner le dos au service public. « Chaque jour, sept médecins quittent le service national de santé », a déclaré le secrétaire général du principal syndicat des hôpitaux publics ANAAO-ASSOMED.
La situation devrait rapidement s’aggraver avec les prochains départs en retraites. Dans les cinq prochaines années, on s’attend en Italie au départ de 40 000 médecins hospitaliers.

Multiplication des grèves en France
En France, les professionnels de santé sont toujours plus « fatigués, stressés et insatisfaits », selon une récente enquête, qui souligne à nouveau les difficultés physiques et psychologiques liées aux métiers du soin. Parmi les professionnels de santé interrogés, dont une majorité infirmier.es, un quart jugent leur état de santé altéré, soit presque deux fois plus que les Français en activité professionnelle.
Conséquence : les menaces de grèves se multiplient. En octobre dernier, les personnels soignants des services de pédiatre et urgences pédiatriques ont alerté à travers une tribune au journal Sud-Ouest sur le manque de moyens et de personnel dans les services hospitaliers alors saturés face à une épidémie de bronchiolite, qui a mis en évidence un système à bout de souffle.

Malgré les enveloppes budgétaires et les mesures annoncées par le gouvernement pour aider le secteur de la pédiatrie, les professionnels de santé ont à nouveau mis en garde en rapportant une dégradation des soins jamais observée auparavant, dans un contexte de hausse historique de la mortalité infantile en France. Ils réclament des « mesures structurelles et pérennes », notamment pour sécuriser le travail des soignants à l’hôpital (plafond du nombre de patients par infirmier.es, respect des temps de repos…).

Mi-novembre, exaspérés par le coup de rabot de 250 millions d’euros sur les dépenses de biologie médicale que le gouvernement veut imposer en 2023 dans le budget de la sécurité sociale, ce sont les médecins biologistes qui ont lancé une grève qui s’est traduite par la fermeture des laboratoires de ville pendant plusieurs jours.
Fin novembre, les psychiatres ont également manifesté contre « l’abandon de la psychiatrie publique », avec un « manque criant de lits d’hospitalisation complète et des fermetures régulières de centres médico-psychologiques », dû à la pénurie de professionnels. Quelques mois plus tôt, les syndicats de psychiatres avaient déjà alerté sur la dégradation des conditions de travail et le risque de fermeture d’unités de prise en charge, faute de professionnels de santé.

Demande de revalorisation des consultations
En décembre, dans un mouvement là aussi inédit, les médecins libéraux se sont mis en grève deux jours consécutifs en début de mois à l’appel de leurs syndicats, après des négociations non satisfaisantes avec l’assurance maladie. La principale revendication porte sur une revalorisation du prix des consultations, qui passerait de 25 à 50 euros. L’impatience des médecins est d’autant plus grande que la profession voit ses charges augmenter du fait de l’inflation et de la crise énergétique qui fait flamber les prix.

« Le gouvernement est en train d’organiser une médecine de ville a deux vitesses : une médecine publique low cost d’une part, et d’autre part des médecins qui devront se déconventionner, partir à l’étranger ou changer de métier », a déclaré la porte-parole régionale Île-de-France de « Médecins pour demain ».
Fatiguée de négociations salariales qui trainent avec la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) a récemment appelé les médecins libéraux à la grève le samedi matin, après avoir soutenu la fermeture des cabinets 1er et 2 décembre derniers. Aussi ; les 15 000 médecins réunis autour du collectif « Médecins pour demain » ont décidé de faire à nouveau grève entre les 26 décembre et 1er janvier.
 
Rédaction : Vincent Richeux (Medscape édition française). Ont contribué à cet article : Aude Lecrubier (Medscape édition française), Nathalie Barres (Univadis France), Claudia Bravo (Medscape Espagne), Vanessa Sibbald (Medscape Royaume-Uni), Maria Baena (Univadis Espagne), Daniela Ovadia (Univadis Italie).