Les deserts médicaux

Olivier Lacoste : « Depuis dix ans, l’Etat n’a rien obtenu de tangible contre les déserts médicaux »

Février 2019, par infosecusanté

Olivier Lacoste : « Depuis dix ans, l’Etat n’a rien obtenu de tangible contre les déserts médicaux »

Le géographe Olivier Lacoste estime que le regroupement de professionnels de santé au sein de communautés va permettre de réduire les difficultés d’accès aux soins dans certains territoires.

Propos recueillis par François Béguin•

Publié le 27/02/19

Olivier Lacoste est géographe de la santé. Après avoir dirigé l’Observatoire régional de la santé Nord-Pas-de-Calais pendant vingt-huit ans, il est aujourd’hui expert auprès de la Haute Autorité de santé et du Haut Conseil de la santé publique.

La France des « gilets jaunes » est-elle celle des difficultés d’accès aux soins ?

Les deux cartes tendraient en effet à se recouper, à l’exception des zones de grande précarité, comme par exemple le bassin minier dans la région de Lens, où la mobilisation des « gilets jaunes » a été plutôt faible. Parmi la mosaïque de territoires confrontés à des difficultés d’accès à la santé, et où existe un sentiment de relégation, on trouve des zones rurales, des zones périurbaines, des petites et moyennes villes. Dans ces territoires délaissés au profit des métropoles, on a compté sur la mobilité des habitants pour accéder aux soins courants. Mais l’augmentation des coûts liés à l’usage de la voiture remet en cause ce schéma.

Comment expliquer cette « métropolisation » de la santé ?

Certaines agglomérations ont agi comme de véritables « trous noirs » sur leurs périphéries. Il est plus confortable pour un professionnel de santé de travailler dans un environnement déjà bien doté en spécialistes, infirmières, dentistes, kinésithérapeute, etc. qu’en plein désert médical. Résultat : en Normandie, par exemple, de plus en plus de professionnels sont venus s’installer à Caen, où se trouve le centre hospitalier universitaire, ce qui a vidé le reste de la région, même si le Havre a résisté à cela. On retrouve le même phénomène en Midi-Pyrénées, où beaucoup de villes moyennes comme Montauban ont perdu des professionnels et des équipements au profit de Toulouse. La métropolisation de la santé a eu lieu, et si on ne fait rien, on ne reviendra pas en arrière.
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La crise actuelle est-elle d’abord celle de la médecine de proximité ?

Exactement. Et la prise de conscience est relativement récente car les indicateurs moyens par région ou par département ont longtemps masqué ce phénomène. D’abord parce que ces moyennes ne permettaient pas de mesurer des évolutions fines, comme les transferts au sein d’une même région, mais aussi parce qu’elles étaient trop statiques, trop figées.

La mortalité est-elle plus importante dans les secteurs qui subissent la désertification médicale ?

Il est difficile d’établir un lien direct mais on constate des oscillations d’évolution de la mortalité par rapport à la moyenne nationale. Celle-ci s’est par exemple dégradée dans la Thiérache picarde, où il y a d’importants phénomènes d’isolement et de désertification. Au contraire, à Creil et ses alentours, dans la basse vallée de la Somme, où des initiatives ont été prises, comme la création d’une maison pluridisciplinaire qui a permis d’attirer et de fixer de nouveaux professionnels de santé, la baisse de la mortalité s’est accélérée.

Qu’a fait l’Etat depuis dix ans pour lutter contre les déserts médicaux ?

Les politiques de santé visant à réduire les inégalités d’accès aux soins courants (médecin généraliste, dentiste, etc.) ont toutes échoué. Depuis dix ans, même s’il a parfois donné l’illusion du contraire, l’Etat n’a rien obtenu de tangible contre les déserts médicaux. Il y a eu beaucoup d’espoir autour des maisons de santé pluridisciplinaires, qui ont tenu lieu de lutte contre les déserts médicaux, mais cela n’a pas été suffisant.

Les Français se plaignent de ne pas trouver de médecin traitant mais ils constatent aussi des fermetures de services hospitaliers ou de maternité de proximité. L’Etat est alors à la manœuvre…

C’est vrai. Par manque de médecins, l’hôpital de Lens vient par exemple de fermer son service de pneumologie alors que c’est l’endroit de France où il y a le plus de silicosés [maladie des poumons due à une inhalation prolongée de poussière de silice]. C’est une aberration car beaucoup de ces malades iront difficilement consulter à Lille. On est face à un dysfonctionnement : on ne forme pas assez de médecins et ceux-ci ne s’installent pas là où on a besoin d’eux.

Les populations du Blanc (Indre), de Die (Drôme) ou de Saint-Claude (Jura) estiment que c’est d’abord pour des raisons budgétaires que l’Etat impose la fermeture de leur maternité…

Si pendant dix ou quinze ans, ces maternités ne sont pas parvenues à trouver les gynécologues et les anesthésistes nécessaires à la sécurité des parturientes, il faut les fermer et améliorer l’accessibilité des sites les plus proches. La géographie n’est pas un motif suffisant pour faire prendre des risques aux gens. Les laisser ouvertes est une solution facile et complaisante.
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Aucun ministre de la santé n’a osé contraindre les médecins à s’installer là où l’on avait besoin d’eux…

On ne peut pas faire de la santé contre les professionnels de santé. Il faut qu’ils aient envie de s’investir auprès de la population et ce n’est pas en les assignant à résidence qu’on y arrivera. Il faut leur donner l’occasion de s’organiser entre eux. La santé, ça ne relève pas de la planification d’Etat mais de la régulation.

La réforme du système de santé proposée par Agnès Buzyn peut-elle résoudre les difficultés d’accès aux soins ?

Cette réforme, c’est enfin autre chose. C’est un tournant énorme. Elle marque la fin de l’hospitalo-centrisme et pense la proximité grâce à la mise en place de communautés professionnelles territoriales de santé. Pour la première fois, les médecins libéraux se verront confier la responsabilité populationnelle d’un territoire. Ils auront par exemple la possibilité d’assurer eux-mêmes l’hospitalisation de patients au sein des « hôpitaux de proximité » et de faire de la prévention. On aura enfin les outils pour améliorer l’état de santé partout.