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Orange Healthcare - Big Data et santé : la révolution inéluctable

Septembre 2016, par Info santé sécu social

Gilles-Babinet

Révolution marketing, industrielle, mais aussi scientifique… Le monde de la santé n’échappe pas à la déferlante Big Data : entre 2012 et 2050, le volume de données de santé devrait être multiplié par 50 (1).

Une croissance exponentielle « organique », selon Thierry Zylberberg, directeur d’Orange Healthcare, puisqu’elle provient en grande partie de nos pratiques médicales et des patients eux-mêmes, grâce aux objets connectés et l’informatisation des dossiers médicaux. En 2015, on recense déjà 5 milliards d’objets connectés dans le monde (montre, balance, podomètre, tensiomètre, etc.), il seront 25 milliards en 2020 (2).

Le Big Data en 3V

Volume, Vitesse et Variété (les 3V) sont les trois caractéristiques qu’on attribue au Big Data.

Dans la masse des données de santé, on distingue deux générations :
Celles qui préexistent à la technologie : les informations du « dossier patient » détenues par les médecins, laboratoires, pharmacies et hôpitaux, les données issues de la recherche et de l’administration.
Et les données nouvelles issues des objets connectés, de la conversation sur les réseaux sociaux et de l’environnement (météo, allergies, pollinisation, etc).

Ajoutez à cela les données issues du séquençage du génome (l’analyse complète de l’ADN des individus), vous obtenez un volume de données considérable et hétérogène, qu’il s’agit désormais d’analyser, tant il représente un gisement formidable pour la médecine, la recherche et la survie de notre système de santé.


Proposer une médecine sur-mesure

« Le Big Data, c’est la promesse d’une médecine plus performante car personnalisée. En fonction d’une pathologie et des données dont on dispose sur le patient, il est possible de se faire une idée plus précise du médicament adapté à cet individu », explique T. Zylberberg.

Ainsi, la personnalisation des soins grâce à la donnée est en passe de devenir une priorité.

C’est déjà le cas au sein du groupe d’hôpitaux privés Vitalia, comme l’explique son directeur général, Xavier Boutin : « Nous possédons de nombreuses informations sur nos patients que nous cherchons à utiliser afin de répondre à leurs besoins spécifiques, notamment pour la préparation de l’hospitalisation et la convalescence ». Relancer un patient pour un examen périodique, proposer un suivi personnalisé et connecté à domicile, choisir le bon prestataire pour la rééducation… Autant de services qui pourraient voir le jour dans les prochaines années au sein des 45 établissements hospitaliers que compte le groupe.

Même ambition pour la fédération Unicancer, qui a mis en place avec les ingénieurs de la société Temis une solution d’analyse sémantique des dossiers de ses patients. La finalité ? Selon Charles Huot, Directeur général de Temis, il s’agit d’aider les médecins dans le choix du traitement le plus adapté à chaque cas : « ce projet baptisé ConSoRe , pour continuum soi-recherche, nous permet d’exclure certains traitements pour certains types de patients, en fonction des résultats observés chez d’autres, car en oncologie, certaines thérapies peuvent faire plus de mal que de bien. »


Traiter plus de données pour accélérer la R&D

Avant le Big Data, recruter une série de patients pour un essai clinique revenait à éplucher des centaines de dossiers médicaux pour trier les candidats en fonction de critères très précis.
« En recoupant et analysant un grand nombre de données numérisées, on peut extraire rapidement le bon patient pour la bonne étude », se félicite T. Zylberberg. Ce dernier souligne également les avancées permises par le Big Data dans la recherche pharmaceutique : « en enregistrant et analysant toutes les données connues sur une molécule ou un médicament, il est possible de déterminer si ceux-ci peuvent agir sur d’autres pathologies, ou de simuler leur action dans un contexte donné ».

Cette accélération de la R&D grâce au Big Data fait naître des promesses intéressantes en matière de prévention, faisant émerger une nouvelle discipline : la « médecine prédictive ».

Le groupe Temis, en collaboration avec l’Inserm, mène par exemple une étude clinique pour prévenir les risques de suicide chez les dépressifs, en compilant des données sur les traitements médicamenteux, les habitudes de déplacement des patients et leurs conversations sur les réseaux sociaux.
« Ces données vont nous permettre d’identifier les personnes les plus fragiles », précise C. Huot.


Réduire les dépenses de santé

Selon une étude du cabinet Mc Kinsey, le Big Data pourrait rapporter plus de 300 milliards de dollars par an au système de santé américain.

Pour les experts français, le bénéfice économique du Big Data est indiscutable.
Le traitement massif de données permettant de supprimer des dépenses inutiles ; en faisant baisser les taux de réadmission à l’hôpital par exemple.

Xavier Boutin évoque le cas des patients qui ont subi une opération en chirurgie de l’obésité, soit 5000 interventions par an : « après l’opération, nous n’avons fait que 30% du travail, le reste dépend du suivi du patient, de son comportement et de son hygiène de vie. Les tests montrent que l’accompagnement grâce à des objets connectés qui font remonter les données aux médecins s’avère très efficace pour éviter la reprise de poids et une nouvelle intervention. »


Ouvrir ou protéger la donnée ?

Opportunité clinique, scientifique, et économique, le Big Data a vite fait d’apparaître comme le nouvel or noir pour tous les acteurs de la santé, et ce malgré des applications encore timides, des réticences culturelles et un flou législatif.

Premier blocage : la disponibilité des ces données.

Hébergées par les différents acteurs du système de santé (médecins, laboratoires, hôpitaux), et protégées par le secret médical, les données ne peuvent en aucun cas être utilisées sans l’accord du patient, et ce seulement après avoir été « anonymisées ». D’où l’insoluble paradoxe : le volume de données de santé augmente de façon exponentielle, mais la protection de la vie privée des patients implique d’accroître la protection de celles-ci, les rendant indisponibles ou inutilisables…

Les « nouvelles » données issues des objets connectés sont tout aussi éparpillées, puisque stockées par des sociétés privées, tout en demeurant, pour l’instant, la propriété de l’utilisateur…

Comment interconnecter les données entre une application mobile et un dossier stocké à l’hôpital ? Comment faire le tri entre une donnée de bien-être et une donnée médicale ? Et comment s’assurer que l’utilisation des données de santé ne viole pas l’intimité des patients à des fins commerciales ? Autant de questions qui freinent les projets Big Data à petite ou grande échelle.

Ouvrir une « zone de flexibilité »

« Nous devons prendre toutes les précautions, car il est hors de question que des données de santé se retrouvent à la portée de n’importe qui, commente Xavier Boutin. Mais plus de flexibilité dans la règlementation nous permettrait de répondre à de vrais besoins des patients ».

Pour Thierry Zylberberg, il y a également blocage au niveau des compétences : « la France peine à former et recruter des médecins mathématiciens, qui maîtrisent les outils statistiques et la biologie par exemple ». Reste que le directeur d’Orange Healthcare veut aussi mettre en garde contre le fantasme alléchant du Big Data : « mon expérience m’amène à penser que c’est un domaine dans lequel on est en sur-promesse, comme souvent dans toutes les nouvelles technologies… Par exemple, on fantasme beaucoup sur le séquençage du génome, mais plus on avance, plus on sait que la causalité directe entre tel gène et telle maladie n’est pas évidente. »

La promesse du Big Data est colossale pour le futur de la santé, et le chemin encore long pour trouver les outils et le cadre règlementaire aussi ouvert et sécurisé que possible. D’ici là, gare aux promesses du marketing et aux fantasmes scientistes…

(1) Source : American Medical Informatics Association.
(2) Estimations du cabinet d’analyse Gartner en 2014. http://www.solutions-numeriques.com/arrivee-massive-des-objets-connectes-en-2015/