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Politis - Les partenariats public-privé s’attaquent à l’action sociale

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Le gouvernement relance les « contrats à impact », un montage financier qui permet à des banques ou des fonds d’investissements de dégager une rente en s’immisçant dans des programmes sociaux ou environnementaux.

Le gouvernement vient de mettre sur orbite un ovni financier et juridique d’un genre nouveau, redouté par tout un pan du monde associatif. Le « contrat à impact », est le nom barbare d’une forme de partenariat public-privé des politiques sociales ou environnementales.

Le montage est complexe, mais le principe est d’une cruelle simplicité : un « investisseur » – en l’occurrence une banque, une fondation ou un fonds d’investissements – avance l’argent dont une association à besoin pour conduire un programme. Si les objectifs fixés par la puissance publique au démarrage du projet sont atteints, « l’investisseur » est remboursé par des deniers publics, avec des intérêts qui peuvent s’avérer confortables. Armé de ses « indicateurs de performance », le secteur privé parvient ainsi à s’immiscer entre la puissance publique et les acteurs de terrain. Jean-Claude Boual, du Collectif des associations citoyennes, dénonce :

Du point de vue de l’intérêt général, c’est une escroquerie. Cela permet de faire payer aux autorités publiques des opérations financières dans le domaine du social.

Ce type de montage importé de Grande-Bretagne, expérimenté depuis 2016 en France, a été (re)lancé le 23 septembre dans une version simplifiée par la secrétaire d’État à l’Économie sociale solidaire et responsable, Olivia Grégoire. Cette « nouvelle contractualisation public-privé » permet selon elle de combler les « failles de politiques publiques », lorsque « l’État est trop gros et les acteurs associatifs locaux trop petits ». Les contrats à impact sont censés faciliter le financement de projets innovants, pour lesquels des associations auront plus de facilité à convaincre un investisseur privé – attiré par l’appât du gain – que la puissance publique. On s’en remet donc à des banques et cabinets de conseils, chargés d’évaluer « l’impact » du projet au regard notamment d’une recherche constante d’économies budgétaires. « Nous créons la première passerelle tangible entre une économie sociale et solidaire qui souhaite changer d’échelle et des investisseurs qui font le choix de la responsabilité », se félicite Olivia Grégoire dans le communiqué de lancement de l’opération.

Pour vendre son montage, le gouvernement assure que la version française est mieux encadrée et moins rémunératrice que ses cousins anglo-saxons. Après avoir décortiqué les cinq contrats qui préfiguraient le modèle en France (1), La Gazette des communes estimait pourtant en mai 2019 que les « primes à la performance » rémunérant le porteur du capital pouvaient atteindre 6 à 13 %. C’est nettement plus que beaucoup d’investissements sur les marchés. La transparence est néanmoins difficile à faire sur ces retours d’expérience, indique le média des collectivités, compte tenu de « l’opacité qui entoure la rémunération des intermédiaires et des investisseurs ».

Des nombreux effets pervers

Le premier appel à projet, ouvert aux candidatures jusqu’au 23 décembre par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), vise à améliorer le réemploi et la lutte contre le gaspillage. D’autres projets sont annoncés sur le terrain de l’aide aux sans-abris et de l’inclusion par l’emploi, moyennent chacun une enveloppe de 10 millions d’euros.

Coincées entre une baisse continue des soutiens publics et une mise en concurrence de plus en plus oppressante par le recours systématique aux appels d’offres, les associations craignent de pâtir de cette nouvelle offensive libérale. Tout ce que l’action sociale compte d’inquantifiable, tout ce que l’activité quotidienne des associations a de totalement antinomique avec la notion de « performance » n’auront pas leur place dans ce type de montages financiers.

C’est notamment l’interrogation exprimée par Nicolas Chochoy, directeur de l’institut Godin, un cabinet d’étude de l’économie sociale et solidaire, dans une longue enquête que consacrait en 2019 le Monde diplomatique à cette « solidarité à but hautement lucratif » :

On prône l’innovation et l’expérimentation, mais en réalité on veut tout mesurer pour réduire l’incertitude inhérente à toute expérimentation. Dans un monde complexe, il est déjà compliqué d’isoler la variable qui permet de prouver le lien entre une action et un impact. Pour nous, il y a un paradoxe encore plus grand dans le fait d’allier innovation et impact social.

Cette « quantophrénie » présente de nombreux effets pervers, prévenait dès 2016 l’OCDE, dans le cadre d’une étude assez critique sur les contrats à impact. L’institution identifiait notamment un risque « d’écrémage [du public visé par le programme], d’effet “parking” ou de “sélection des clients” », orchestré par l’opérateur du projet afin d’atteindre ses objectifs de performance et assurer une rémunération à son financeur.

Ce système porte en lui une contradiction fondamentale, pointe également Jean-Claude Boual : « Au Royaume-Uni [où ces contrats sont apparus en 2010 sur fond de politiques d’austérité], nous nous sommes aperçus que c’est en s’appuyant sur du travail bénévole que les projets permettaient de dégager la marge nécessaire à la rémunération des détenteurs du capital et des évaluateurs. » Pour le militant associatif, l’instrument n’est en réalité qu’une forme, encore balbutiante, d’entrée de la finance dans l’action sociale. « Le système financier cherche une martingale pour s’accaparer complètement le secteur social, en privatisant la sécurité sociale. Cela représente des sommes bien supérieures au budget de l’État. »

(1) Les projets portés par l’ADIE, Impact Académie, Wimoov, La cravate solidaire, Article 1.