Le droit à la santé et à la vie

Public Sénat - Asile : le Sénat adopte la restriction de l’aide médicale d’État

Juillet 2018, par Info santé sécu social

Jeudi 21 Juin 2018

En adoptant, à une courte majorité, un article introduit par la droite, le Sénat est revenu sur le dispositif qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Il le remplace par une « aide médicale d’urgence », concentrée sur les maladies graves.

Par Guillaume Jacquot

ébat sur l’aide médicale d’urgence (AME) s’est invité dans les débats sur le projet de loi asile et immigration du Sénat. Ce dispositif, qui permet aux étrangers en situation irrégulière, qui en font la demande, d’accéder à des soins (à condition de résider en France depuis plus de 3 mois et de ne pas dépasser un certain niveau de revenus), est dans le viseur de la droite depuis plusieurs années, qui veut le recentrer uniquement sur les soins d’urgence.

Au troisième jour de l’examen du texte, les sénateurs ont adopté ce jeudi soir l’article 10AA, transformant l’aide médicale d’État en une « aide médicale d’urgence ». Avec une courte majorité. 144 sénateurs ont voté en faveur de la mesure, 137 contre, et 62 se sont abstenus. La mesure n’a pas fait l’unanimité, puisque par exemple le président (LR) de la commission des Affaires sociales Alain Milon s’est prononcé contre. Le groupe LR s’est surtout retrouvé isolé, lâché par ses alliés de l’Union centriste mais des Indépendants – l’équivalent des « constructifs » au Sénat – qui ont préféré s’abstenir.

La nouvelle aide serait prévue dans quatre situations
La modification avait été introduite en commission des Lois par le sénateur Roger Karoutchi. Cette nouvelle aide offrirait une prise en charge uniquement dans le traitement des « maladies graves et des douleurs aiguës », les vaccinations réglementaires, les soins liés à la grossesse ou encore la médecine préventive.

Les deux groupes de gauche, le RDSE (à majorité radicale) et le groupe La République en marche, de même que le gouvernement, ont tenté de faire adopter chacun, en vain, un amendement supprimant l’article. La sénatrice communiste Laurence Cohen a dénoncé une mesure « extrêmement grave » et une « atteinte aux acquis sociaux et aux droits des étrangers malades ».

« Une vieille lune » de la droite
Le sénateur LREM Richard Yung a, lui, parlé d’un article d’ « injuste » et « presque cynique ». « C’est une vieille lune, une sorte de marotte » de la droite, s’est-il exclamé, faisant référence aux débats budgétaires chaque année, au cours desquels la droite sénatoriale tente de réduire les crédits de l’AME.

Quant à l’instauration d’une « aide médicale d’urgence », elle avait déjà été amenée en 2015 par les sénateurs LR, à l’occasion des débats sur le projet de loi relatif au droit des étrangers.

Citant des rapports de l’inspection générale des finances, et de l’IGAS, l’ancien socialiste Richard Yung a également souligné que l’instauration d’un droit annuel de 30 euros, sous le gouvernement Fillon, pour pouvoir prétendre à l’AME, s’était soldée par un « surenchérissement » du dispositif.

« Tout le monde sait qu’il y a un problème »
« On dit qu’il y a un rapport de l’IGAS. Il y a aussi des rapports de la Cour des comptes, qui dénoncent un certain nombre de dérives de l’AME », a répliqué Roger Karoutchi, affirmant que les socialistes n’avaient pas une position aussi tranchée une fois au pouvoir. Pour que le système soit « perpétué », « il vaut mieux rationaliser, que l’on revienne un peu à une réforme du système », a-t-il plaidé.

« Il vaut mieux rationaliser », résume Roger Karoutchi (LR)
« Tout le monde sait qu’il y a un problème », a appuyé le rapporteur (LR) du texte, François-Noël Buffet (vidéo de tête), citant la « hausse sensible » du nombre de bénéficiaires de l’AME. Depuis la création de l’AME en 2001, leur nombre est passé de 100.000 à 311.000. Le sénateur du Rhône a également souligné que le budget annuel de cette aide avait augmenté de 13%, pour atteindre 923 millions d’euros, à l’issue de la dernière loi de finances. Le parti Les Républicains en avait d’ailleurs fait un élément de sa communication.

« Sur le plan de la santé, ça n’intéresse pas les auteurs ! »
Le sénateur de Paris Bernard Jomier (apparenté PS) a déclaré que, sur l’AME, on ne pouvait avoir « ni une lecture financière, ni une lecture purement juridique, mais d’abord une lecture de santé ». « Sur le plan de la santé, ça n’intéresse pas les auteurs ! On va entrer sur des discussions sur le type de douleur, ça n’a aucun sens », s’est offusqué ce médecin de profession. Et de rappeler que le budget de l’AME représente 0,4% du budget de la santé en France. « Trois fois rien », selon lui :

« On va entrer sur des discussions sur le type de douleur, ça n’a aucun sens », déplore Bernard Jomier (apparenté PS)
Lors de son intervention, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a mis en avant les effets contre-productifs que créerait un amoindrissement de l’AME, et de réduction des soins. « J’ai peur que vous n’alliez vers les conséquences contraires à ce que vous souhaitez », a expliqué le ministre, citant les risques d’ « embouteillage » dans les urgences, du développement de maladies contagieuses ou encore des hospitalisations, plus coûteuses que la médecine de ville.

Plus tôt, la sénatrice communiste Christine Prunaud a rappelé que Gérald Darmanin plaidait pour la suppression de l’AME, lors d’un conseil interministériel consacré à l’intégration des étrangers, le 5 juin. Jugeant l’aide « trop coûteuse », le ministre de l’Action et des Comptes publics a été rejoint par Gérard Collomb, selon Le Point. « Le Premier ministre aurait pour le moment renoncé à supprimer l’AME. Mais pour combien de temps encore ? Telle est notre inquiétude », a conclu la sénatrice des Côtes-d’Armor. « Il n’y a pas de tourisme médical, les gens qui migrent ne le font pas pour l’AME. »