Les retraites

Regards - 2 ou 3 choses que je crois comprendre de la réforme des retraites

Septembre 2019, par Info santé sécu social

La réforme des retraites, préfigurée par les préconisations de Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la susdite réforme, publiées en juillet, va faire l’objet d’une nouvelle « concertation » préalable au dépôt d’un projet de loi. Les délais sont incertains. Cela se fera dans les prochains mois, affirme Edouard Philippe. Mais, selon le ministre Darmanin, la concertation va prendre presqu’un an, et le projet de loi viendra après les prochaines élections municipales. C’est évidemment le signe que la réforme voulue par le gouvernement ferait beaucoup de dégâts sociaux et sociétaux. Mais l’avantage est que cela donne aussi des marges pour continuer de clarifier les enjeux et pour agir.

Une note de l’économiste atterré Henri Sterdyniak sur le rapport Delevoye, les blogs de Michael Zemmour ou de Jean-Michel Harribey fournissent à cet égard d’utiles contributions. J’en ai, pour ma part, retenu sept points principaux.

1. On ne finance jamais directement sa propre retraite

Comme le souligne Jean Michel Harribey, « la doxa libérale promeut l’idée que chacun doit "récupérer sa mise" au moment de sa pension comme s’il s’agissait d’une épargne. On ne finance jamais directement sa propre retraite. Les retraites versées à l’année t sont toujours une part de la richesse créée à l’année t ».

Dans les systèmes par répartition, comme c’est le cas en France, ce sont les cotisations versées par les travailleurs actifs qui financent les pensions des retraités. Le système établit une solidarité intergénérationnelle entre les actifs et les retraités. Le pacte est évidemment menacé lorsque les jeunes croient de moins en moins, qu’ils bénéficieront, à leur tour, de retraites convenables.

Dans les systèmes par capitalisation prédominants aux USA, au Royaume-Uni ou au Japon, chaque individu cotise pour lui-même, ou chaque entreprise pour ses salariés. Ces cotisations sont placées (collectivement ou individuellement) par des fonds de pension. Le capital ainsi constitué est transformé au moment de la retraite en une rente viagère constituant la pension de l’individu. La solidarité intergénérationnelle saute. Les retraites dépendent des rendements financiers de l’épargne et de l’accumulation financière. Les actifs cotisants deviennent, d’une certaine façon, solidaires de la financiarisation et de la gouvernance actionnariale des entreprises.

2. Limiter la part des retraites
Depuis des décennies, un objectif majeur des gouvernements de droite et de gauche est de limiter la part des retraites par répartition dans le PIB, malgré le vieillissement de la population et l’allongement de la durée de vie et malgré la tendance au ralentissement de la croissance. Au nom, bien entendu, de la compétitivité de l’excès de la part des salaires et de l’insuffisance de celle des profits. Il y a eu la réforme Balladur 1993, la réforme Fillon de 2003, la réforme Woerth de 2010, la réforme Touraine de 2014, et la réforme des régimes complémentaires actée par le patronat et la CFDT en 2015.

Globalement, souligne Henri Sterdyniak, le système de retraites français fournit encore « un niveau de pension parmi les plus élevés des pays de l’OCDE… Il assure aux retraités un niveau de vie équivalent à celui des personnes d’âge actif, cela à un âge satisfaisant ». Mais les réformes ont aggravé les inégalités et les injustices. Et selon le rapport officiel du Conseil d’orientation des retraites, publié en juin dernier, si elles assureront durablement une stabilité de la part des retraites dans le PIB, (sauf effondrement structurel de la croissance), elles entraîneront une détérioration progressive du niveau de vie relatif des retraités : en 2012, la pension nette moyenne représentait 62% du salaire net moyen. En 2040 selon les projections du Conseil d’orientation des retraites, elle serait inférieure à 50%.

3. Pas d’urgence
Même si l’on se place du point de vue de la doxa économique dominante, une réforme d’autant moins urgente que les deux objectifs d’un équilibre financier des comptes et d’un maximum de 14% du PIB pour les retraites seraient durablement obtenu dans le cadre des règles actuelles.

4. Ni simple, ni juste, ni unifié
Le gouvernement affirme viser des objectifs d’unification de simplification et de plus grande justice. Grâce à un système universel, par répartition, en points qui réaliserait la promesse qu’un euro cotisé donnera droit à la même pension.

En réalité avec la réforme qu’il veut mettre en place faisant passer à un régime unique à points le système ne sera pas ni unifié ni plus simple ni plus juste que le système actuel. Il n’y a en réalité nulle part de système unifié et simple. Comme l’analyse le Conseil d’orientation des retraites lui-même, dans les pays développés, « un système de retraite est comme une maison à quatre niveaux…

le rez-de-chaussée : les minimas de retraite ou "retraites planchers" - tous les pays en ont au moins un visant à assurer un socle de solidarité commun à tous les retraités ;

le 1er niveau : les retraites de base - par répartition (voir encadré) dans tous les pays, sauf aux Pays-Bas qui ne disposent pas de 1er niveau collectif obligatoire ;

le 2ème niveau : les retraites professionnelles - en capitalisation (voir encadré), sauf en France où les régimes complémentaires professionnels obligatoires sont en répartition et sont généralisés aux salariés et aux indépendants (il existe aussi des régimes supplémentaires professionnels en capitalisation mais qui restent assez marginaux). Les dispositifs professionnels en capitalisation ne sont pas explicitement obligatoires (ils le sont souvent à l’échelle de certaines branches d’activité) – avec des différences de couverture selon les catégories socio-professionnelles, même si aux Pays-Bas et en Suède plus de 90% de la population active est couverte par ce type de plan ;

enfin, le 3ème niveau : les retraites individuelles, facultatives, en capitalisation uniquement, qui dépendent de la capacité d’épargne des individus ».

Avec la réforme visée par le gouvernement l’unification ne serait que de façade. Les taux de cotisation seront différents selon que l’on sera salarié, artisan, profession libérale, autoentrepreneur, cadre supérieur. La baisse des pensions ouvrira, forcément, la porte à des systèmes de retraite complémentaires par capitalisation. Des règles de redistribution devront corriger les injustices les plus criantes d’un système qui ne saurait être seulement contributif. Elles devraient concerner notamment, comme aujourd’hui, les plus petites retraites, les inégalités entre les hommes et les femmes, les inégalités sociales d’espérance de vie et d’espérance de vie en bonne santé et la pénibilité. Et il faudra aussi corriger les injustices criantes de la mise au régime unique par points de certaines catégories de fonctionnaires, comme les enseignants.

Le diable sera à chaque fois dans les détails. Mais, analyse Henri Sterdyniak, dans l’état actuel des préconisations du gouvernement, « le système sera moins redistributif ».

5. Mieux garantir la baisse
Sous couvert du rideau de fumée de la justice et de la simplification, l’objectif central de la réforme semble être en réalité de mieux garantir la stagnation voire le recul de la part des retraites dans le PIB (en dehors des systèmes individuels de retraites par capitalisation). Et de mettre la réalisation de ces objectifs en pilotage automatique. Comme le diagnostique Henri Sterdyniak, « l’objectif réel de la réforme des retraites, qu’Emmanuel Macron et son gouvernement veulent imposer, est de garantir la stabilité (voire la baisse) de la part des retraites publiques dans le PIB, de passer du système actuel fournissant certaines garanties aux salariés en termes de taux de remplacement et d’âge de départ à la retraite à un système flexible permettant d’utiliser les retraites comme variable d’ajustement des finances publiques. Comme pour l’allocation chômage, le système est étatisé, le rôle des syndicats est réduit. C’est le rôle du rapport Delevoye de masquer cet objectif par un tour de bonneteau, en détournant l’attention vers l’universalité et la contributivité du nouveau système ».

6. Age pivot ou durée de cotisations, cela ne change pas vraiment le problème. Ce qui compte c’est la décote.
Dans le projet de réforme annoncé en juillet, un point clé du pilotage automatique était constitué par la mise en place d’un âge pivot fixé à 64 ans en 2025. Officiellement il n’y aurait pas de report de l’âge légal ouvrant le doit à la retraite (62 ans). Mais un départ avant 64 ans serait accompagné d’une diminution de la retraite (décote) quel que soit le nombre d’années cotisées et de points accumulés. Cet âge serait de plus augmenté automatiquement (environ 65 pour les personnes nées au milieu des année 1970, 66 pour les personnes nées à la fin des années 1980). Dans le système actuel il y a également un pivot et un système de décote en plus de l’âge légal. Il est fixé par la durée de cotisations : il faut soit avoir validé 42 années de cotisations (43 pour les personnes nées après 73) ou avoir atteint l’âge de 67 ans pour ne pas subir la décote.

Les protestations ont été vives notamment de la part de la CFDT et Emmanuel Macron tout à sa communication « d’apaisement » a affirmé, fin août, sa préférence pour revenir au critère de la durée de cotisation plutôt que de l’âge. Le problème c’est la décote et ses effets pervers analyse Michael Zemmour plus encore que ses modalités. Certes, explique-t-il, « la logique de durée permet de mieux prendre en compte les inégalités sociales que la logique d’âge : les ouvriers et employés commençant en principe à travailler plus tôt que les cadres, fixer une durée comme objectif permet de faire partir les ouvriers plus tôt et les cadres plus tard ». Mais ce raisonnement ne vaut que « pour les personnes à carrière complète (particulièrement les hommes). Au contraire, les personnes non diplômées qui ont connu une longue période de chômage étant jeunes, les personnes à carrière hachée, et notamment les femmes qui ont passé une partie de leur vie adulte en dehors de l’emploi, ou dans des travaux non rémunérés (conjointes de travailleurs indépendants), sont particulièrement pénalisées par la logique de durée. Aujourd’hui il faut attendre 67 ans pour bénéficier d’une retraite à taux complet si l’on n’a pas rempli les conditions de durée. Les effets pervers et les injustices des décotes (et des surcotes) sont donc nombreux. Le système conduit notamment « à allonger la période de précarité entre la fin de la carrière et la retraite : plus de la moitié des personnes qui liquident leur retraite n’ont pas travaillé dans les mois précédents ».

« Il est peu étonnant, conclut sur ce point Michael Zemmour, que le président de la République se montre ouvert à une logique de durée plutôt qu’à la fixation d’un âge d’équilibre : c’est le seul point de la réforme qui peut être modifié sans dépenser un centime de plus pour les retraites. Logique d’âge ou logique de durée, le fonctionnement est le même : on fixe un objectif et on pénalise lourdement celles et ceux qui ne l’atteignent pas. Ce qui change entre les deux ce sont les personnes qui seront pénalisées. » Un objectif d’une réforme de justice sociale et de genre devrait être au contraire de diminuer les décotes, de supprimer la règle des 67 ans pour bénéficier du taux plein et d’améliorer la situation de travail des salariés de plus de 55 ans.

7. Augmenter les cotisations

Pour sortir du piège de la réforme gouvernementale ainsi cadrée tout en refusant également le système tel qu’il est encadré par les réformes, il faut avoir l’audace de proposer et de se battre pour une augmentation raisonnable des cotisations. Jean-Michel Harribey, Henri Sterdyniak, Michael Zemmour l’ont, à juste titre, récemment préconisé avec Eric Heyer, Christiane Marty et Dominique Méda.

« Si l’on ne se résout pas à cette baisse, écrivent-ils, il est nécessaire de mobiliser des financements supplémentaires. Les pistes sont nombreuses : taxer le capital, lutter contre l’évasion fiscale ou réduire les niches fiscales. Ces pistes seraient utiles pour financer l’éducation, la dépendance ou la transition écologique, mais elles ne correspondent pas à la logique de répartition propre aux retraites. La piste correspondant à cette logique n’est, elle, plus jamais évoquée en raison du véritable "tabou" qui pèse sur elle : l’augmentation du taux de cotisation, qui permettrait de partager les hausses futures de revenus entre actifs et retraités… Depuis les années 1980, un discours idéologique a désigné les cotisations sociales comme responsables de tous les maux. Certes, dans certaines conditions, la hausse des cotisations employeurs peut être défavorable à l’emploi. Notamment lorsque les employeurs répercutent la hausse sur les prix, entraînant ainsi une moindre compétitivité des produits français. Ou encore si les employeurs intensifient le travail et ralentissent les embauches. En revanche, une hausse des cotisations salariés ne se traduirait pas par une baisse de salaire net, mais par des hausses de salaire légèrement plus faibles (de l’ordre de 0,2 % par an). Evidemment, cela sera d’autant plus facilement accepté que les salaires seront dynamiques. Les retraites ne valent-elles pas cela, notamment si l’on veut garantir aux jeunes générations la sécurité qu’a offerte le système de retraites aux générations précédentes ? Exclure a priori, comme le fait le gouvernement, tout relèvement des cotisations aujourd’hui et dans le futur est une position extrême, qui condamne les générations d’actifs à avoir des pensions dégradées. Ce débat n’a pour l’instant pas lieu. Pourtant, des études permettent de penser que les salariés ne seraient pas opposés à une augmentation raisonnée des cotisations. »

Bernard Marx