Environnement et facteurs dégradant la santé

Reporterre - Agriculture et alimentation : un projet de loi très en deçà des espérances

Mai 2018, par Info santé sécu social

22 mai 2018 / Marie Astier (Reporterre)

Ce mardi, le projet de loi concocté par le gouvernement pour améliorer le revenu des agriculteurs et rendre notre alimentation plus « saine et durable » arrive devant les députés. Ses défenseurs annoncent un tournant pour l’agriculture, ses détracteurs un texte manquant d’ambition.

Au départ, la recette semblait appétissante, les ingrédients soigneusement choisis. Le 11 octobre 2017, dans son discours de Rungis, Emmanuel Macron annonçait vouloir « un modèle agricole qui réponde aux objectifs de santé et d’environnement » de l’agriculture française. Il avait parlé d’« accompagner la montée en qualité, la montée du bio », affirmé que le but n’était pas de « concurrencer demain la ferme des 100.000 vaches en Chine »…

Autant de mots qui avaient doucement sonné aux oreilles des défenseurs de l’environnement et de l’agriculture paysanne ou bio, réunis au sein de la plateforme pour une transition agricole et alimentaire. Alors qu’ils menaçaient de quitter le processus des états généraux de l’alimentation, ce bilan présidentiel à mi-parcours les avait convaincus de participer au deuxième round. D’autant plus qu’on leur promettait qu’il en sortirait un beau plat de résistance : une loi qui, à la fois, permettrait aux producteurs d’être plus justement rémunérés, et ferait monter en qualité la production agricole française.

Ce projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable », commence à être débattu en séance plénière ce mardi 22 mai devant l’Assemblée nationale. Mais les premiers fumets s’échappant des cuisines parlementaires inquiètent certains convives.

« La batterie de propositions n’est pas à la hauteur », constate la plateforme pour une transition agricole et alimentaire, rassemblant ONG et syndicat agricole alternatif. « Rien ne mène vers une réelle transition agricole », regrette Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne. « Le mot “climat” est absent du projet de loi, celui de “biodiversité” quasiment aussi », relève Arnaud Goffier du WWF.

Le député Nouvelle Gauche Dominique Potier, agriculteur bio, très impliqué dans les états généraux de l’alimentation insiste : « Il y a des éléments de progrès, mais on est très en deçà des espérances », dit-il à Reporterre.

« Le rapport de force restera en défaveur des paysans »
Côté revenu des producteurs, une des mesures phares du projet de loi est le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte sur les produits alimentaires. Autrement dit, « si un distributeur achète un produit 1 euro, il est obligé de le revendre au moins à 1,10 euro », explique Olivier Andrault de l’UFC Que choisir. « Cela n’aura aucun impact sur le revenu agricole, car la marge pour les fruits et légumes est déjà bien supérieure, en moyenne de 100 % », argumente-t-il. Côté producteurs, le syndicaliste-paysan Nicolas Girod est tout aussi dubitatif : « L’espoir est que cela ruisselle jusqu’aux producteurs. Mais nous, ce que l’on veut, c’est qu’il soit impossible de nous acheter un produit en dessous de son prix de revient : on souhaite un seuil de “vente” à perte. »

Autre mesure qui le laisse dubitatif, le fait que les contrats seront désormais proposés par les producteurs ou leurs organisations, plutôt que, comme auparavant, par les acheteurs. « Le rapport de force restera en notre défaveur », assure-t-il. Pour inverser la balance, le gouvernement incite les agriculteurs à se regrouper en interprofessions. « Elles ne doivent pas se défausser sur le gouvernement et aussi prendre leurs responsabilités », dit la députée LREM (La République en marche) Sandrine Le Feur à Reporterre.

Dans le volet « alimentation saine et durable », les ONG reconnaissent tout de même que certaines mesures sont à leur goût :

la séparation de la vente et du conseil pour les pesticides (la même personne ne pourra plus à la fois donner des conseils agronomiques à un agriculteur, et lui vendre les produits y correspondant) ;

l’interdiction des pesticides ayant des modes d’action identiques à ceux des néonicotinoïdes (une réponse à l’affaire du Sulfoxaflor que Reporterre vous avait contée) ;

l’expérimentation des abattoirs mobiles ; l’autorisation de l’usage des « préparations naturelles peu préoccupantes », c’est-à-dire le purin d’ortie et autres décoctions à base de plantes ;

la suspension de l’utilisation du dioxyde de titane (additif E 171) dans les denrées alimentaires, classé comme cancérigène possible pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer ;

enfin, l’obligation pour la restauration collective d’introduire 50 % de produits biologiques ou locaux, ou sous signes officiels de qualité dans la restauration collective.

Mais l’étendue des possibilités pour atteindre ces 50 % laisse les ONG environnementales perplexes. « Il n’y a plus d’ambition chiffrée de 20 % de bio dans le texte, regrette Laure Ducos, de Greenpeace. Par ailleurs, certains signes sont très peu exigeants, comme le porc label rouge qui fait très peu de différence avec le porc lambda. » Autre débat, on trouve, parmi les certifications admises, la « haute valeur environnementale » (HVE). « Mais seule la HVE de niveau 3 fait vraiment la différence, or les niveaux 1 et 2 sont admis », déplore encore la chargée de campagne agriculture de Greepeace. « Il faut absolument que la HVE 3 soit reconnue comme la norme publique de l’agroécologie », insiste Dominique Potier,, qui a déposé un amendement dans ce sens.

Mesure symbolique, l’interdiction du glyphosate ne figure pas dans le projet de loi
« On a peur qu’indiquer des pourcentages entraîne une inconstitutionnalité. Ce serait dommage. Le gouvernement s’est engagé à mettre les 20 % par décret », rassure la députée de la majorité Sandrine Le Feur. « Et la HVE niveau 3 pourrait être obligatoire à partir de 2022. »

Autre bémol, toutes ces mesures sont loin d’être acquises. « La plupart des avancées ont été adoptées contre l’avis du gouvernement », note Arnaud Goffier, du WWF. Elles pourraient donc être retirées du projet de loi lors des discussions en séance publique.

Surtout, les défenseurs de l’environnement pointent de nombreux ingrédients manquants dans la version actuelle du texte. Mesure symbolique, promise par le président de la République, l’interdiction du glyphosate n’y figure pas. Un amendement dans ce sens a même été rejeté par le ministre de l’Agriculture. Patience, disait le député LREM rapporteur du texte, Jean-Baptiste Moreau, lundi 21 mai sur Europe 1 : « Il faut entraîner nos partenaires européens, les discussions sont en cours. Il serait prématuré de le mettre dans la loi », justifiait-il.

Ce choix ne convainc pas tous les députés de la majorité. Sandrine Le Feur entend redéposer un amendement actant l’interdiction, qui serait cosigné avec d’autres députés LREM, comme Matthieu Orphelin ou Barbara Pompili. « Cela fait dix ans qu’on parle du glyphosate et qu’on sait que c’est dangereux, mais il n’y a pas de baisse de son utilisation. Dans certains cas, il faut imposer une date butoir aux agriculteurs pour qu’ils trouvent des alternatives », estime celle qui a une ferme bio dans le Finistère.

Une autre disposition sur les pesticides est considérée comme une régression par les défenseurs de l’environnement : l’autorisation de l’expérimentation de l’épandage aérien par drone. Ceci alors que l’interdiction de cet épandage par avion avait été une longue bataille…

Pulvérisation de pesticides au moyen d’un drone.
Le bien-être animal compte également parmi les grands absents du projet de loi. « Il n’y a rien sur l’évolution des pratiques d’élevage, de transport, et d’abattage des animaux. Rien non plus sur les cages », regrette Léopoldine Charbonneau, du CIWF (Compassion in World Farming). Emmanuel Macron avait pourtant annoncé que plus aucun œuf de poule en cage ne serait vendu aux consommateurs d’ici 2022.

« Ce projet de loi va à rebours de certains engagements du président »
Sur ce sujet, Sandrine Le Feur défend le gouvernement : « La filière s’est engagée à ce qu’il n’y ait plus que 50 % de poules en cage d’ici 2022. En 2028, il ne devrait quasiment plus en avoir.Les nouvelles installations en cage seront interdites, les autres se transformeront petit à petit. »

Au grand dam des défenseurs des animaux, la surveillance vidéo dans les abattoirs a également été abandonnée. Lot de consolation, le rôle du référent bien-être animal dans les abattoirs est renforcé, la peine pour maltraitance animale doublée.

Enfin, dernière pincée de sel dans ce réquisitoire des associations, « il y a un problème de cohérence », selon Karine Jacquemart, directrice de Foodwatch. L’ambition affichée par la loi lui semble contradictoire avec le Ceta (le traité de libre-échange avec le Canada) et les négociations en cours avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay). « On nous parle d’améliorer la santé, l’alimentation, l’agriculture, de réguler les relations économiques et, en parallèle, on signe et négocie des accords de commerce internationaux. On se tire une balle dans le pied sur la possibilité de réglementer tous ces secteurs », estime la militante.

Ainsi, chacun espère que cette nouvelle étape parlementaire lui permettra d’assaisonner à sa façon la marmite. « Depuis les discussions en commission des Affaires économiques, il y a eu une avancée du ministre de l’Agriculture que je salue, car j’avais des craintes », se félicite Sandrine Le Feur. Les partisans d’une transition agricole placent, eux, leur espoir dans les députés qui défendent des amendements contre l’avis du gouvernement. « Ce projet de loi va à rebours de certains engagements du président, on appelle les députés à voter en conscience », lance Arnaud Goffier, du WWF. « Il y a des choses dans ce projet de loi qui vont évoluer », rassurait sur Europe 1 Jean-Baptiste Moreau hier lundi. Le programme de l’Assemblée prévoit que les débats dureront une semaine, jusqu’au mardi 29 mai.