Environnement et facteurs dégradant la santé

Reporterre - Le cocktail explosif du Covid et de la pollution de l’air

Mars 2021, par Info santé sécu social

Dès le début de la pandémie, des études scientifiques ont constaté des mortalités plus fortes dans les zones plus polluées. « La pollution de l’air est responsable d’environ 15 % de la mortalité du Covid », a même récemment calculé une équipe de chercheurs. Et pourtant, réduire le nombre de particules fines est un levier d’action contre la pandémie négligé par les autorités.

Les habituels pics de pollution printaniers sont de retour et devraient se multiplier dans les semaines à venir — notamment à la faveur des épandages agricoles. Or, de plus en plus de scientifiques pensent que cette dégradation « ordinaire » de la qualité de l’air accélère puissamment la pandémie de Covid. Et ce, dans l’indifférence totale des politiques.

« Il y a cinq ans, Santé publique France estimait à 48.000 morts par an l’effet de la pollution atmosphérique ; aujourd’hui, l’estimation s’approche de cent mille pour un pays comme la France », alerte Olivier Blond, directeur exécutif de l’association Respire, qui défend depuis deux décennies la qualité de l’air. En mars 2019, avant le début de la pandémie, une étude avait estimé à 67.000 le nombre de morts induits par la pollution pour la France. « C’est l’équivalent d’une ville française qui disparaîtrait chaque année, et avec le Covid, ce sera bien pire ! » s’indigne Olivier Blond.

À l’échelon mondial, le chiffre serait de 8,8 millions de morts annuels, selon une autre étude parue en mars 2020. Jos Lelieveld — premier auteur de l’étude et membre du prestigieux Institut Max Planck, en Allemagne — notait que cette pollution cause des ravages supérieurs à ceux du tabac, pourtant depuis longtemps qualifié « d’empereur de la mort » dans les milieux de la santé publique.

Le Covid entre manifestement en résonance avec cette hécatombe chronique. Dès les premières semaines de la pandémie, des études chinoises ont constaté des mortalités plus fortes dans les zones plus polluées, tandis que des chercheurs italiens documentaient le même phénomène, notamment dans la très industrielle Lombardie, la région transalpine qui a payé le plus lourd tribut au coronavirus.

Plus récemment, une étude de l’école de santé publique étasunienne de Harvard, réputée pour être la meilleure du monde, a établi une corrélation épidémiologique forte entre l’exposition chronique aux particules très fines (dites PM2,5, pour « Particulate Matter » au diamètre inférieur à 2,5 micromètres [µm]) et la mortalité au Covid aux États-Unis. « Nous avons constaté qu’une augmentation d’un microgramme par mètre cube d’air (1 µg/m3) [1] dans la moyenne de long terme de l’exposition aux PM2,5 se traduisait par une augmentation du taux de mortalité statistiquement significative de 11% », écrivent les chercheurs. Ils ont pris soin de prendre en compte dans leur estimation une vingtaine de « facteurs de confusion » [2] tels que l’obésité et le tabagisme, produisant une étude d’une très haute qualité.

Ce chiffre de 11 % de mortalité supplémentaire à chaque microgramme par mètre cube d’air (µg/m3) de pollution supplémentaire semble donc solide, d’autant plus qu’il est resté stable mois après mois durant l’évolution de la pandémie. Il est en outre cohérent avec des observations chinoises indépendantes. Or, c’est un chiffre extrêmement élevé : ainsi en France, l’exposition moyenne (dite IEM) est de 12 µg/m3, alors que les premiers effets de la pollution s’observent dès 2,4 µg/m3.

À l’échelon mondial, la pollution est responsable d’environ 15 % de la mortalité du Covid
En utilisant des modélisations (qui prennent également en compte ces résultats spécifiquement américains), dans un article publié en octobre 2020 dans Cardiovascular Research, l’équipe de Jos Lelieveld de l’institut allemand Max Planck estime qu’à l’échelon mondial, la pollution est responsable d’environ 15 % de la mortalité du Covid. Le chiffre atteint même 19 % en Europe et 27 % en Asie orientale. « Beaucoup de ces morts auraient pu être évités, note l’article, si par exemple en Europe la législation avait fixé comme en Australie un seuil légal pour les PM2,5 à 8 µg/m3. Les recommandations européennes varient selon les pays et sont de 14,7 µg/m3 pour la France.

L’ensemble des infections respiratoires sont amplifiées par la pollution, à la fois en matière d’hospitalisations et de mortalité.
Par quel mécanisme la pollution chimique pourrait-elle aggraver une infection causée par un agent biologique ? Notons d’emblée que le phénomène n’a rien de spécifique au Covid-19. L’ensemble des infections respiratoires, virales et bactériennes sont amplifiées par la pollution, à la fois en matière d’hospitalisations et de mortalité, comme le montrent de nombreuses études réalisées pour certaines il y a plus de quinze ans. Ce phénomène s’observe même pour des expositions courtes — les pics de pollution —, dès une semaine à une concentration supérieure à 10 µg/m3 au-dessus de la normale, indique un article étasunien de 2018. Une étude suisse de novembre 2020 relevait d’ailleurs plusieurs « accélérations explosives des hospitalisations et des décès » dus au Covid concomitantes à des pics de pollution aux particules fines, aussi bien dans le Tessin helvétique que dans le Grand Paris et à Londres. Elle recommandait de prendre en compte la situation météorologique (poussières du Sahara [3], inversions de températures favorisant la pollution…) dans la gestion de l’épidémie.

Les mécanismes par lesquels les particules fines aggravent le Covid sont en réalité bien compris. Primo, les comorbidités désormais connues pour dégrader le pronostic du Covid sont presque toutes des maladies aggravées voire causées par la pollution atmosphérique : l’hypertension artérielle, le diabète, l’obésité, les maladies coronariennes, et bien sûr les troubles respiratoires tels que l’asthme ou la bronchopneumopathie chronique obstructive.

« La pollution rend plus perméable la membrane par laquelle s’effectuent les échanges, ce qui facilite l’entrée des virus dans l’organisme »
« Si les plus grosses particules, dites PM10, sont en général arrêtées par le nez, les plus fines, les fameuses PM2,5, descendent jusqu’au fond des alvéoles pulmonaires, qui sont la zone d’échange entre le sang et l’air », précise à Reporterre Isabella Annesi-Maesano, spécialiste de la pollution atmosphérique à l’Inserm. « Les plus petites de ces particules entrent alors dans la circulation sanguine, et elles causent des inflammations et des dégâts à l’intérieur des vaisseaux, et de certains organes comme le cerveau. D’où, par exemple, le lien entre pollution atmosphérique et certaines maladies neurodégénératives qui a été bien documenté », explique la chercheuse.

Deuxio, indique-t-elle, « en provoquant de l’inflammation dans les alvéoles pulmonaires, la pollution rend plus perméable la membrane par laquelle s’effectuent les échanges, ce qui facilite l’entrée des virus dans l’organisme ». La pollution a donc un double effet, avec d’une part une aggravation des comorbidités, et d’autres part une facilitation de l’infection par le virus.

Un troisième mécanisme a été proposé par des chercheurs italiens, notamment, mais il est encore débattu par les scientifiques, même si Isabelle Annesi-Maesano le juge « plausible ». Il est possible que les virus puissent se fixer sur les particules les plus petites, dont le diamètre est de l’ordre de 0,3µ, ou s’y combiner. Ces minuscules particules flottantes dans l’air permettraient alors au virus de rester en suspension beaucoup plus longtemps, jusqu’à sept heures selon la chercheuse, ce qui leur donnerait un potentiel d’infection bien plus élevé, notamment en accroissant la distance sur laquelle ils se propagent.

Même si la recherche se poursuit sur le détail des mécanismes à l’œuvre (il est par exemple possible que la composition des particules, et pas seulement leur diamètre, jouent un rôle), il est d’ores et déjà évident que réduire la pollution permettrait de réduire sensiblement la mortalité du Covid — et d’une série d’autres pathologies graves. « C’est d’autant plus incompréhensible que la pollution de l’air en France soit aussi peu prise au sérieux, et qu’elle relève encore du ministère de l’Environnement et non de celui de la Santé », s’étonne Olivier Blond.

Commentant l’idée que les vaccins finiront sans doute par nous débarrasser du Covid, l’article de Cardiovascular Research notait : « Il n’y a cependant pas de vaccins contre la mauvaise qualité de l’air et le changement climatique. Le remède est de limiter les émissions. »

C’est maintenant que tout se joue…

La communauté scientifique ne cesse d’alerter sur le désastre environnemental qui s’accélère et s’aggrave, la population est de plus en plus préoccupée, et pourtant, le sujet reste secondaire dans le paysage médiatique. Ce bouleversement étant le problème fondamental de ce siècle, nous estimons qu’il doit occuper une place centrale dans le traitement de l’actualité.

[1] µg/m3 correspond à la masse de particules par unité de volume d’air

[2] En épidémiologie, un facteur de confusion apparaît lorsque par exemple les populations exposées à la pollution atmosphérique sont aussi celles qui sont en moyenne plus obèses, ou dans des zones avec moins de lits d’hôpitaux disponibles, ce qui nécessite de corriger la corrélation.

[3] Ces nuages sont le résultat de la coïncidence de deux phénomènes naturels : la production de poussières de sable au-dessus du désert du Sahara et leur transport jusqu’à nos régions. « Il s’agit de particules plus fines que le sable, des poussières produites en surface lorsque le vent souffle fort au-dessus du désert », précise Vincent Guidard, chercheur au Centre national de recherches météorologiques de Météo France, à Futura Sciences.