Le droit à la santé et à la vie

Reporterre - Le combat des proches de Zineb Redouane pour que justice soit faite

Avril 2019, par Info santé sécu social

Marseille le 24 avril 2019 / Pierre Isnard-Dupuy et Marion Esnault (Reporterre)

Zineb Redouane, 80 ans, est morte après avoir été frappée à son domicile marseillais par une grenade lacrymogène. Ses proches ont porté plainte pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Leur combat judiciaire pour la vérité s’annonce long.

C’est une mort sous les coups de la répression policière que le Comité vérité, justice et dignité pour Zineb Redouane ne compte pas laisser passer sous silence. « Elle a été tuée, on ne peut pas ignorer cette vérité. Il faut que la lumière soit faite », dit sa fille et fondatrice du comité, Milfet Redouane. Ce dimanche 14 avril, nous la rencontrons en compagnie de deux amies de sa mère, Imen Souames et Khedidja, dans une pâtisserie turque du cours Belsunce, à quelques pas de l’appartement de Zineb. Les trois amies marseillaises y avaient leurs habitudes.

Zineb Redouane, 80 ans, est morte le 2 décembre dernier d’un arrêt cardiaque au bloc opératoire de l’hôpital de la Conception, à Marseille. La veille, elle avait reçu une grenade lacrymogène en plein visage alors qu’elle fermait la fenêtre de son domicile, au quatrième étage. L’objet était vraisemblablement une grenade MP7, tirée par un lance-grenades. Le dispositif permet une propulsion de 50 à 200 mètres selon le lanceur utilisé. Puis le conteneur de la grenade libère sept palets de gaz lacrymogène. Celui-ci se serait ouvert au contact de Zineb Redouane. L’impact a provoqué de multiples fractures au visage et un énorme hématome à la poitrine. Xavier Tarabeux, le procureur de la République, avait alors considéré que, à « ce stade, on ne peut pas établir de lien de cause à effet entre la blessure et le décès ».

Après avoir constamment nié la responsabilité des forces de l’ordre, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a eu ces quelques mots le 8 mars, dans les colonnes de La Provence, lors d’une visite à Marseille : « Elle est décédée d’un choc opératoire mais c’est lié aussi à cette manifestation. » Le cortège ministériel s’est rendu de la boutique de l’OM au commissariat Noailles, passant sous les fenêtres de Zineb Redouane.

« Attends, il y a trop de gaz, je vais fermer les fenêtres »
« C’est une personne étrangère qui est décédée ici, la moindre des choses, c’est de présenter des condoléances », dit amèrement Milfet Redouane. « Et pour ça, je remercie toutes les personnes qui compatissent avec moi, qui m’envoient beaucoup de messages », ajoute celle qui revient tout juste de Paris, où elle a trouvé un accueil chaleureux, à l’invitation du Gilet jaune éborgné par un tir de lanceur de balle de défense (LBD) Jérôme Rodrigues, dans une Bourse du travail pleine à craquer.

Ce voyage à Paris avait pour but d’amplifier l’écho de l’affaire, pour qu’elle ne soit pas oubliée. Les proches de Zineb viennent de confier le dossier à Me Yassine Bouzrou, qui est aussi l’avocat de la famille d’Adama Traoré. Depuis l’été 2016, il montre de la pugnacité pour faire éclaircir les circonstances de la mort du jeune homme tué par les gendarmes après avoir été interpellé à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise).

Concernant Zineb Redouane, l’avocat a déposé une plainte le vendredi 12 avril pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

Le 1er décembre, quand la vieille dame algérienne a été frappée par le projectile, elle était au téléphone avec Milfet, sa plus jeune fille, âgée de 42 ans. En tout, elle a eu trois garçons et quatre filles, puis neuf petits-enfants et trois arrière-petits-enfants. « On rigolait, et à un moment donné elle m’a dit “attends, il y a trop de gaz, je vais fermer les fenêtres” », se souvient Milfet, qui vit au sud d’Alger. L’appartement où habitait Zineb, au quatrième étage du 12 rue des Feuillants, donne directement sur La Canebière. Ce samedi soir, la fin de manifestation tournait à l’émeute sur l’avenue.

Près d’un mois plus tôt, le 5 novembre, deux immeubles de la rue d’Aubagne s’étaient effondrés, en haut de ce même quartier populaire, écrasant la vie de huit habitants. La catastrophe a levé le voile sur l’indignité de beaucoup de logements de la cité phocéenne et soulevé la colère d’une partie de ses habitants. Le 1er décembre fût le troisième rendez-vous de grande ampleur, rassemblant plus de 10.000 personnes venues dénoncer le mal-logement et « l’incurie de la mairie ».

En fin de manifestation, des Gilets jaunes et rouges (de la CGT), se sont joints au cortège. Une fois qu’il fût arrivé devant la mairie, situé sur le Vieux-Port, il a suffi de deux pétards et un fumigène jetés en direction des policiers en faction pour que les manifestants soient arrosés de lacrymogènes. Ils ont alors reflué vers La Canebière, où certains ont monté et enflammé des barricades. Les forces de l’ordre se tenaient à bonne distance, engageant des tirs nourris de grenades lacrymogènes et de grenades de désencerclement. Reporterre était à la manifestation et a constaté que les palets de lacrymogènes étaient tirés à travers le feuillage des platanes. Certains montaient plus haut que les immeubles, d’autres ricochaient sur les façades.

Entre 18h55 et 19h, Milfet Redouane entend un choc, puis sa mère crier au téléphone. La vieille dame parvient à reprendre la conversation. « Il m’a visé, il m’a visé », affirme-t-elle à sa fille. « Elle a vu deux CRS en face de son immeuble avec l’arme à la main. Elle a vu l’un tirer. Elle disait que si on lui avait présenté, elle aurait pu le reconnaître », raconte Milfet. Selon Imen Souames, les pompiers, dont la caserne est pourtant toute proche, ont mis plus d’une heure à venir. En attendant, Zineb Redouane épongeait son sang avec des serviettes de toilette. Des voisines sont venues à son secours.

Imen est parvenue à rendre visite à Zineb à l’hôpital à 23 heures passées. « J’étais choquée. Je m’y attendais pas. Elle était défigurée. Mais elle parlait normalement. Elle m’a tenu la main en me disant qu’elle voulait comprendre qui lui avait tiré dessus et pourquoi. » Dans la nuit, Zineb Redouane a était transférée de l’hôpital de la Timone à celui de la Conception. « Si elle n’était pas opérée d’urgence, son palais serait descendu et elle se serait étouffée, nous a dit le chirurgien », se souvient Khedidja. Dimanche 2 décembre, l’opération a mal tourné, Zineb a fait plusieurs arrêts cardiaques au bloc avant d’être admise en réanimation. « Du milieu de l’après-midi jusqu’à 22 heures passées, on l’a vue partir. On était dans la chambre quand elle est décédée. On l’a voilée avec le drap et on lui a fait la chahada, [la profession de foi musulmane] », poursuit Khedidja. La famille a dû ensuite attendre 22 jours avant de pouvoir récupérer le corps. Zineb a été inhumée selon son souhait, dans la banlieue d’Alger dans la même tombe qu’un de ses fils mort des années plus tôt.

« La vraie sagesse, c’est d’interdire ces armes qui mettent la vie des autres en danger »
La route est encore longue pour que toute la lumière soit faite. Pour Me Yassine Bouzrou, que Reporterre a joint au téléphone, « à partir du moment ou Mme Redouane s’est confiée à ses proches en affirmant qu’elle a été visée, et que les conclusions de l’autopsie font état de fractures sévères au visage, l’infraction me semble constituée. Le procureur affirme qu’il n’y a pas de lien de cause à effet alors qu’il avait le rapport d’autopsie en main. C’est faux. » Doutant de l’impartialité de la juridiction, il a demandé le dépaysement du traitement de l’affaire. Lundi 15 avril, Xavier Tarabeux, le procureur de Marseille, a fait une nouvelle déclaration, après l’annonce du dépôt de plainte. « L’enquête menée par un juge d’instruction permettra de déterminer l’origine du décès. Les antécédents médicaux vont être analysés », rapporte l’AFP.

Milfet Redouane vit les négations des violences policières de la part de l’exécutif comme de nouvelles blessures. « L’autre jour, quand j’ai entendu M. Macron dire à Mme Legay blessée par une charge de la police à Nice fin mars que, quand on a la santé fragile, il faut faire attention, c’était pour moi une provocation », dit-elle. Milfet a alors adressé une lettre de soutien à Geneviève Legay, la militante d’Attac de 73 ans. Elle y affirme que « la vraie sagesse, c’est d’interdire ces armes qui mettent la vie des autres en danger ».

Le médaillon que porte Milfet Redouane à l’effigie de sa mère depuis sa mort.
Depuis l’étage de la pâtisserie où sa mère se rendait souvent, Milfet Redouane « souhaite que [ce drame] ne se répète pas avec d’autres personnes. Ces armes que je viens de découvrir sont très dangereuses. La France est le seul pays qui les utilise. Quand les politiciens parlent, c’est comme si ma mère n’existait pas. Mais on ne peut pas cacher cette vérité et personnellement, je serai toujours là pour la rappeler », affirme-t-elle, les joues rougies par l’émotion, mais d’une voix calme et déterminée.