Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Reporterre - Le coronavirus fait la grève générale

Mars 2020, par Info santé sécu social

Nous vivons un moment fascinant. Et il y a tant d’aspects éberluants dans le bouleversement causé par l’irruption du coronavirus sur la scène humaine que le phénomène échappe pour l’instant à toute interprétation globale. Même pour des écologistes réfléchissant de longue date aux perspectives de catastrophe, d’effondrement, d’extinction, la soudaineté de l’événement surprend autant que le surgissement des envahisseurs dans Le Désert des Tartares, le chef d’œuvre de Dino Buzatti : comme le réveil brutal d’un songe d’attente incertaine, un réveil si longtemps attendu qu’il est devenu inexplicable. Car bien sûr, rien ne se passe comme on l’imaginait.

Tentons cependant de semer quelques cailloux sur le chemin menant à la compréhension de ce qui se passe.

La vengeance de la biodiversité

Est-ce un pangolin, un serpent, une chauve-souris ? On ne sait pas bien qui est le transmetteur à l’humain du virus épouvantable (c’est-à-dire qui répand l’épouvante). Les scientifiques en débattent à coup d’analyse de génomes, de récepteurs de protéines, d’acide aminé, et à vrai dire, le mystère reste épais. Mais un point semble quasiment certain : le virus s’est « échappé » d’un marché d’animaux sauvages de Wuhan, en Chine, marché comme il en existe de nombreux en Asie : ils sont alimentés en partie par le trafic d’animaux, qui est une des causes majeures de l’érosion de la diversité faunistique. Certes, ces marchés, où l’on trouve aussi beaucoup d’animaux vivants élevés, découlent d’une évolution particulière à l’agriculture chinoise, mais ils sont bien l’expression de la pression que l’activité humaine exerce sur les écosystèmes, surtout forestiers, peu ou pas anthropisés. L’érosion globale des espèces est en route, on le sait, et la récurrence des pandémies du type de celle d’aujourd’hui est un effet de cette extinction massive. Et si le Covid-19 suscite une réaction aussi impressionnante, c’est sans doute à cause de la terreur des épidémiologistes de voir surgir des virus encore plus inconnus et destructeurs. Tout ceci rappelle que la question de la biodiversité est tout aussi importante que celle du changement climatique, sur lequel l’attention écologiste a tendance à se focaliser. En fait, il ne faut pas les traiter indépendamment l’une de l’autre.

La Chine moteur de la mondialisation

Dans un monde en proie au risque devenu permanent de dislocation, la vraie puissance ne réside plus dans le fait de pouvoir conquérir et imposer, mais dans la capacité de tout détruire. Voilà que le balancier des empires nuisants a déplacé son centre de gravité : alors qu’en 2008, la folie spéculative du système états-unien avait placé le monde au bord du précipice, ce sont maintenant les hoquets de la Chine qui empêchent le monde de respirer. Elle génère le poison qui menace le monde. Quand elle s’arrête pour le neutraliser, tout s’arrête. Quand elle choisit la méthode pour le contrôler, tous l’imitent. La maîtresse du jeu, maintenant, c’est elle. Et tandis que la Chine manœuvre à bords comptés comme un immense croiseur sorti d’un détroit difficile, les États-Unis s’agitent sous la houppette d’un bateleur braillard, valdinguant du déni à l’état d’urgence, sur fond de système public de santé en perdition. Si un maître est quelqu’un dont on veut suivre l’exemple, les États-Unis ne sont plus le maître du monde.

Mais ce n’est pas une bonne nouvelle, car le nouveau souverain n’est pas plus recommandable que le précédent. Le Covid-19 est un symptôme du saccage écologique que le développement industriel ahurissant de la Chine a causé en quelques décennies. Un saccage qu’elle a choisi de ralentir, pas de stopper, continuant à se fixer des objectifs de croissance de plus de 5 % par an, qui sont délirants compte tenu de la taille de son économie et de l’état de la biosphère.

De surcroît, la façon dont elle a contrôlé l’épidémie, par un contrôle social généralisé où la notion de liberté individuelle disparaît purement et simplement, présage d’un avenir sombre si la Chine devient le modèle que nombre de capitalistes occidentaux sont de fait prêts à adopter.

Internet, l’univers parallèle

Le virus s’est propagé à une vitesse extraordinaire, qui témoigne de l’intensité de la mondialisation, entendue comme la transmission des flux biologiques tout autant que marchands de tout point de la planète vers tout autre. En 1968-1969, il avait fallu plus d’un an au virus de la grippe de Hong Kong pour faire le tour de la planète et atteindre la France (où il a tué plus de 30.000 personnes…). Il a fallu moins de trois mois au Covid-19 pour s’inviter en Europe occidentale.

Tout aussi prodigieuse est la vitesse de l’information, et la rapidité avec laquelle des dizaines de pays se sont imprégnés de cette nouvelle culture du virus, sachant ce qui se passait en Chine, en Iran, en Italie, où en étaient les recherches, débattant des mesures, des méthodes, des solutions… Au 10 mars, 68.000 articles à propos du coronavirus étaient publiés tous les jours dans le monde sur le net. La mondialisation peut ainsi s’entendre comme la transmission des flux intellectuels tout autant que biologiques de tout point de la planète vers tout autre.

Internet en est bien sûr le vecteur privilégié. Il crée une sorte d’univers parallèle à l’univers physique dans lequel les êtres humains marchent, se rencontrent, se serrent la main, se parlent, bref, inscrivent corporellement leur existence dans les relations sociales. Nous sommes devenus, si nous en doutions encore, une culture mondiale homogène.

Par ailleurs, l’intensité des échanges dans l’univers parallèle pourrait expliquer la facilité avec laquelle, dans de nombreux pays et maintenant en France, on accepte d’être physiquement enfermés chez soi. Puisqu’au fond, c’est bien ce dont il s’agit avec l’interdiction des déplacements qui a été décrété en France : un emprisonnement volontaire. Nous n’accepterions sans doute pas cette réclusion domestique si nous n’avions pas l’idée que nous pouvons vivre en parallèle sur Internet. Il reste à savoir ce que devient la liberté dans un tel cloisonnement des univers – alors que la domination s’exerce toujours, elle, par le contrôle physique des êtres de chair et de sens que nous sommes fondamentalement.

L’Etat pompier de l’incapacité néo-libérale
Un des aspects les plus ahurissants de ce qui se passe est que, alors que le Covid-19 a pour l’instant un impact sanitaire en fait limité (6.600 morts dans le monde au 16 mars selon le relevé de l’Organisation mondiale de la santé), son impact économique est immense : l’économie mondiale subit un coup de frein d’une violence jamais vue. Le spectre de la faillite surgit déjà pour nombre de compagnies importantes, à commencer par le transport aérien, et les marchés financiers ont commencé à s’écrouler sans que les banques centrales paraissent encore capables d’enrayer la chute.

Ce traumatisme économique, dont nous ne vivons encore que les prémisses, révèle déjà deux choses :

. l’effet écologique de ce ralentissement brutal est déjà très perceptible, et souligne, s’il en était encore besoin, que le fonctionnement du système économique actuel est radicalement incompatible avec l’équilibre de la biosphère. Autrement dit, la crise indique de la pire des manières que pour faire face à la catastrophe écologique, il faut bouleverser le capitalisme.

. l’ébranlement actuel révèle aussi l’impéritie du dogme néolibéral – laisser les marchés agir et affaiblir le rôle économique de l’État – face aux crises. En Italie, en France, et bientôt sans doute aux États-Unis, la difficulté de gestion de la pandémie découle largement de l’affaiblissement du service public hospitalier poursuivi depuis des décennies. Quant à la crise financière qui s’amorce, elle découle largement du fait que le capitalisme n’a pas sérieusement régulé les fonds spéculatifs après la crise de 2008 ; de même, le choix des banques centrales a été depuis des années de soutenir, par le quantitative easing, les banques et les marchés financiers plutôt que l’économie réelle. Enfin, face à l’urgence, c’est à nouveau l’État qui est appelé à la rescousse des entreprises, en lâchant les vannes de la dette, du déficit public, allant même jusqu’à envisager les nationalisations de grandes entreprises en difficulté.

La grève générale est arrivée !

Il est encore bien trop tôt pour dire comment les événements vont se dérouler – mais il faut s’y préparer ! Le point de focalisation va rapidement devenir la question économique : le capitalisme va vivre sa plus grande crise depuis 2008, et encore moins armé, puisque les dettes publiques et privées ont atteint des niveaux bien plus importants qu’alors. Le pire, en tout cas, serait qu’il veuille se remettre en marche sans rien changer de ses principes, par le biais d’une relance massive au nom du salut de la nation (les termes grandiloquents de M. Macron dans ses deux discours du 12 et du 16 mars, et l’emploi répété du mot « guerre » indiquent assez les ressorts unanimistes que les dirigeants vont vouloir actionner).

En fait, puisque la table est renversée, il faut saisir le choc du coronavirus comme une chance. Il a déjà permis deux victoires inattendues, certes partielles : la suspension de la privatisation d’Aéroports de Paris et le report de la réforme des retraites. Et plus généralement, on peut voir le confinement actuel comme la mise en œuvre de la grève générale rêvée par tant de militants ! Le système économique est à genoux, et c’est maintenant qu’il faut réfléchir activement pour préparer la relève. Le principe en sera d’imposer la refonte écologique et sociale profonde que le mouvement alternatif revendique depuis des années : une régulation réelle des marchés financiers, une ré-évaluation des missions de l’État, notamment à l’égard des biens collectifs tels que la santé, une économie fondée sur le respect des limites de la biosphère, la réduction des inégalités.

Le coronavirus rebat les cartes. Très bien. Usons le confinement pour préparer le nouveau jeu.