Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Reporterre - Politique anti-Covid : la France impose, l’Allemagne concerte

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Sans confinement stricto sensu et en appliquant des mesures sanitaires réévaluées démocratiquement toutes les deux semaines, l’Allemagne se démarque nettement de la France dans sa politique de lutte contre l’épidémie de Covid-19. Par contraste, les mesures françaises prises en Conseil de défense sont jugées « répressives » et « inefficaces ».

Hambourg (Allemagne), correspondance

Autoritaire, la gestion française de la crise sanitaire ? Pour la presse allemande, cela
ne fait aucun doute. « Un Absurdistan autoritaire », titrait l’hebdomadaire de centre gauche Die Zeit le 12 novembre, effaré devant l’obligation, en France, de remplir une attestation pour chaque déplacement ou l’interdiction de se baigner en mer.

Non seulement les règles du confinement sont jugées « répressives » et « inefficaces » par les médias allemands, mais elles sont décidées de façon « monarchique ». Le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung pronostiquait ainsi fin septembre : « Le recours à un processus décisionnel autoritaire et unilatéral devrait s’avérer désastreux pour l’acceptation des mesures. » Le temps semble lui avoir donné raison, 60 % des Français interrogés ont enfreint les règles du deuxième confinement, commencé le 30 octobre.

« C’est normal qu’en réaction, les Français se comportent comme des enfants »
« Le gouvernement infantilise les Français, estime Leo Klimm, le correspondant à Paris de la Süddeutsche Zeitung, auteur d’un éditorial au vitriol contre la gestion de crise française. C’est normal qu’en réaction, ils se comportent comme des enfants. » Début novembre, il appelait à « enterrer l’héritage de De Gaulle » et dénonçait une « faillite de l’État » et des décisions prises en Conseil de défense, où « la transparence et la démocratie sont perçues comme gênantes ».

Si les Allemands sont autant choqués par les méthodes françaises, c’est en partie parce que leur pays a choisi une stratégie bien différente face à l’épidémie de Sars-CoV-2, et qui, jusqu’ici, porte ses fruits : 3,5 fois moins de morts qu’en France, une crise économique moins forte et une adhésion bien plus grande aux mesures de restrictions. 74 % des Allemands interrogés sont satisfaits, voire très satisfaits, du travail de la chancelière Angela Merkel. En France, Emmanuel Macron ne convainc que 43 % des sondés.

Côté français, la classe politique multiplie les approximations et les contre-vérités sur l’approche allemande. Contrairement à ce qu’affirmait sur France Inter le 29 octobre le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, l’Allemagne n’a jamais pris « les mêmes mesures » que la France. Le confinement outre-Rhin n’est même pas un confinement stricto sensu : en ce mois de novembre, comme au printemps dernier, les Allemands ont parfaitement le droit de sortir de chez eux, aussi loin et aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Ils n’ont pas non plus besoin de remplir d’attestation pour justifier leurs déplacements.

À l’assignation de la population à résidence, l’Allemagne préfère la règle de la « limitation des contacts ». Les espaces clos de rassemblements publics (bars, restaurants, équipements culturels et sportifs) sont fermés jusqu’à fin novembre, les séjours touristiques interdits. Les Allemands ne sont pas autorisés à voir plus d’un autre foyer à la fois (c’est-à-dire une autre famille ou les membres d’une autre colocation), dans la limite de dix personnes maximum. Même durant la première vague, chaque Allemand avait le droit de voir une autre personne en extérieur.

« En Allemagne, on est plus attentif aux libertés fondamentales »
Comment expliquer ces mesures plus souples ? Pour Hélène Miard-Delacroix, professeure d’histoire de l’Allemagne contemporaine à Sorbonne Université, il ne faut pas sous-estimer les conditions dans lesquelles le pays a abordé la crise sanitaire. Mieux équipée en laboratoires et en capacités hospitalières, Berlin peut aussi compter sur les meilleurs experts mondiaux des coronavirus, comme le virologue Christian Drosten. La gestion fédérale s’est révélée plutôt efficace pour isoler rapidement les personnes contagieuses avant qu’elles ne contaminent les seniors et les plus vulnérables. Ainsi, si les Allemands ne se confinent pas, c’est notamment parce qu’ils « peuvent se le permettre », dit à Reporterre Hélène Miard-Delacroix.

Mais ce n’est pas la seule raison. « En Allemagne, on est plus attentif aux libertés fondamentales », explique l’historienne. Depuis le mois de mars, la question de l’équilibre entre le respect des libertés individuelles et les mesures de restriction est au cœur du débat public. Pas un jour ne se passe sans qu’un responsable public ou la presse ne l’évoque. Avec un mot-clé : la proportionnalité. Les mesures ne doivent pas attenter aux libertés au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre le but visé. Ainsi, interdire les rassemblements semble justifié pour éviter la transmission du virus ; interdire à la population de sortir de chez elle paraît en revanche excessif.

Si la notion de proportionnalité, fondatrice de l’état de droit, existe aussi en France, elle est particulièrement « forte en Allemagne à cause des dictatures nazie et communiste qu’a connues le pays au XXe siècle », explique Klaus-Peter Sick, chercheur au centre Marc-Bloch de Berlin. Tandis que les premiers articles de la Constitution française mettent l’accent sur l’égalité entre les citoyens, son pendant allemand, la Loi fondamentale, met surtout en avant la liberté, « intangible », mentionnée pas moins de vingt-six fois dans ce texte fondateur.

« Pour prendre de bonnes décisions, on considère qu’un libre débat est nécessaire »
Et les Allemands n’hésitent pas à vérifier auprès des tribunaux que leurs libertés ne sont pas bafouées. Depuis le mois de mars, pas moins de 260 jugements ont déjà été rendus, de l’obligation du port au masque à l’école à la fermeture des salons de toilettage canin. Certaines mesures ont effectivement été retoquées, comme la fermeture de bars la nuit à Berlin ou l’obligation de quarantaine dans la région du Schleswig-Holstein pour les touristes en provenance de zones classées à risque. « Les Allemands ont une mentalité légaliste, ils sont plus à cheval sur leurs droits », confirme Leo Klimm.

Ce pouvoir judiciaire fort oblige l’exécutif et le législatif à anticiper les plaintes éventuelles, mais aussi à impliquer largement la société dans ses décisions. Toutes les deux semaines, la chancelière fédérale, Angela Merkel, réunit les seize ministres-présidents des Länder, les régions allemandes, pour négocier l’ajustement des mesures de restrictions. Ils décident collectivement après avoir consulté, dans chaque Land, les syndicats, organisations de médecins, de parents d’élèves ou corporatistes [1].

« En Allemagne, on dit : sans liberté, pas d’efficacité », dit l’historien Klaus-Peter Sick. « Pour prendre de bonnes décisions, on considère qu’un libre débat est nécessaire, qu’il faut que des intérêts divergents soient présents dans le processus d’élaboration, alors qu’en France, au contraire, les intérêts particuliers sont plutôt mal vus. »

Dans la tempête, la capitaine Merkel est perçue comme un rempart à d’éventuelles dérives. Pas de vocabulaire guerrier ni de recours à l’état d’urgence : celle qui a grandi dans l’ancienne dictature d’Allemagne de l’Est « incarne cette protection contre l’autoritarisme, cette vigilance sur les libertés », selon Klaus-Peter Sick. Pour s’aérer, la cheffe d’État fait de longues balades le week-end dans les forêts qui entourent Berlin. De quoi, sans doute, laisser rêveur du côté occidental du Rhin.