Les mobilisations sur les retraites

Sud Rail Pse - Témoignage d’un cheminot gréviste

Décembre 2019, par Info santé sécu social

Lec28/12/19

Bonjour à tous,
Je suis cheminot ; conducteur de trains (CRML) pour être plus précis et j’entame aujourd’hui mon 22e jour de grève. Je me bats avec mes collègues et mon syndicat – Sud-Rail – contre ce projet de réforme des retraites, qui profitera aux plus riches en favorisant la capitalisation et frappera de plein fouet toutes les autres catégories de la société.

Vous croyez peut-être que je fais grève par gaieté de cœur ? Par goût prononcé pour « la gréviculture », comme disent certains éditorialistes ? Laissez-moi vous rappeler certaines choses que l’on ne lit ou n’entend pas souvent dans les médias.
C’est ma deuxième grève longue en l’espace de quelques mois. En 2018, les gouvernants ont attaqué les métiers de cheminot avec le « Pacte ferroviaire » qui marquait l’ouverture à la concurrence et l’abandon de notre statut. Cette lutte m’a beaucoup coûté – plus de 2000 euros. Il m’a fallu plusieurs mois à m’en remettre financièrement. A cela s’ajoute aussi mes absences répétées au foyer, dues à ma présence sur les piquets de grève dès 5h du matin jusque tard le soir parfois. Je n’ai pas vu mon fils (en bas âge) pendant ces trois mois et n’ai que très peu vu mon épouse.

A peine nous sommes-nous remis financièrement de la grève de l’an dernier que me voici de nouveau engagé dans une nouvelle grève, plus dure encore que la précédente. Cette grève, nous la faisons pour défendre nos droits de cheminots mais aussi – et surtout – pour défendre les droits de ceux qui ne peuvent pas se défendre.

Souvent, j’entends dire que nous sommes privilégiés. Comment pouvons-nous être considérés comme des privilégiés avec de telles conditions de travail ? Parlons d’abord des horaires atypiques et de leurs impacts sur ma vie de famille : se lever à 3h du matin pour une prise de service à 4h12 ; finir à midi ; retour à la maison pour manger un morceau et tenter de se reposer un peu ; récupérer son fils à 16h30 de l’école (« Papa, tu as l’air fatigué », me répète-t-il souvent…) ; lui faire faire ses devoirs en attendant que sa mère rentre ; se coucher à 19h pour recommencer le lendemain… Et je ne parle ici que d’une prise de service en début de matinée. Dans d’autres cas, les horaires peuvent être plus durs à vivre pour ma famille, lorsque je finis mon travail à 2h du matin… Et sans compter non plus les week-ends et les jours fériés que je passe dans ma cabine de conducteur. Ma vie de famille pâtit le plus de mon travail. Mes vacances me sont imposées par l’entreprise, si bien qu’il m’arrive d’être en congés en septembre. Allez expliquer à mon fils que son père ne partira pas cet été en vacances avec lui…

Quant au salaire, je gagne moins de 2000 euros par mois malgré mon ancienneté, le travail en 3×8 et la pénibilité du métier. Malgré cela, politiques et journalistes osent parler de « privilégiés. »

Depuis plusieurs jours, le gouvernement joue la stratégie de pourrissement en espérant que la galère des usagers – qui voyagent actuellement dans des conditions lamentables, voire même dangereuses – finisse par rendre la grève impopulaire. Souvent, j’entends des proches me demander quand les grèves s’arrêteront. Il me faut leur répéter que c’est le gouvernement qui a les cartes en main pour retirer son projet.
Nous sommes conscients que tout le monde ne peut faire grève, surtout au regard des difficultés matérielles des plus modestes et des reculs sans précédent des droits sociaux et syndicaux dans notre pays.

On ne va pas se mentir : la fatigue gagne aussi les grévistes. Contre la stratégie du pourrissement, certains veulent en découdre, conscients des limites des manif « bastille-nation ». Etant quelqu’un de profondément non-violent, j’opterai plutôt pour la « grève de la gratuité », mais ce serait l’assurance de perdre mon travail….
une chose est certaine : demain, je serai de nouveau sur les piquets de grève. Et je la continuerai jusqu’au bout, quitte à perdre 2000 euros une fois de plus, et peut être même plus encore. Car, comme on se le dit entre nous, mieux vaut perdre 2000 euros une fois et que de perdre des milliers et des milliers d’euros pour ma retraite.

La fatigue et la divergence de vues entre grévistes ne nous feront pas craquer. Cette grève, j’ai le sentiment que nous la mènerons jusqu’au bout, avec nos collègues de la RATP mais aussi des personnels hospitaliers, des enseignants, des routiers sans oublier les gilets jaunes et je l’espère, de l’ensemble du monde du travail.
Nous ne devons pas céder. Il en va de l’avenir de nos enfants.
Sebastien H.