Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Tribune : Sortons du « pass » et de l’impasse sanitaire

Août 2021, par infosecusanté

Tribune : Sortons du « pass » et de l’impasse sanitaire

Le 09/08/2021

Dépassé, le gouvernement choisit d’imposer une vaccination tous azimuts qui laisse de côté les éternels oubliés. Une autre approche est possible : une politique de santé de proximité qui vise prioritairement les publics vulnérables, estiment la philosophe Barbara Stiegler, les députés François-Xavier Bellamy (LR) et François Ruffin (LFI) et des soignants.

Les signataires de la tribune appellent au retrait du pass sanitaire, à une approche proportionnée des besoins pour la vaccination et à une levée des brevets. (Sameer Al Doumy/AFP)
par Un collectif de chercheurs, de personnalités du monde médical, et d’élus.
publié le 6 août 2021 à 18h00
Nous, soignants, acteurs et chercheurs en santé, nous, parlementaires et élus, nous, citoyens, appelons au retrait du « pass sanitaire » car il transgresse les principes fondamentaux de l’éthique biomédicale et du droit des personnes. Il fracture en outre le corps social en deux camps qu’il rend ennemis. En cela, il ignore les principes de santé publique. En cela, il n’a rien de « sanitaire » puisqu’il risque plutôt de nous conduire à une impasse en creusant encore davantage les inégalités et laissant les personnes les plus vulnérables à la fois sans protection face au virus et sans voix pour exprimer leurs doutes ou leurs inquiétudes. En réalité, il existe une autre option qui, jusqu’ici, n’a pas été prise : déployer une véritable politique de santé de proximité, dont la vaccination est un des outils indispensables, mais qui ne peut en aucun cas être présentée comme la panacée qu’il faudrait imposer à toutes et tous.
Les vaccins contre le Covid-19 ont fait la preuve de leur efficacité pour la plupart des personnes vulnérables – âgées ou avec des comorbidités. Mais en laissant chaque individu face à des applications numériques improvisées, en retirant l’acte de la vaccination aux médecins et professionnels de proximité, en évinçant l’expertise de santé publique dès le début de la crise (1), on ne s’est pas suffisamment donné les moyens d’« aller vers » les plus concernés. On ne s’est pas plus donné les moyens d’entendre les questions et les doutes des personnes, comme l’exige le « consentement libre et éclairé » inhérent à tout acte de soin, accroissant sans doute la méfiance actuelle des hésitants vaccinaux. Résultat : la France est la lanterne rouge de l’Europe de l’Ouest pour la vaccination des plus âgés (2).
Dépassé, le gouvernement choisit d’imposer une vaccination tous azimuts en faisant montre d’autorité, qui laisse de côté les éternels oubliés et arrose le reste de la population. Ainsi, le vaccin est érigé en remède miracle pour pallier l’absence de stratégie de santé publique. Celle-ci appellerait au contraire une priorisation, un accompagnement et l’association des populations aux décisions qui les concernent.
Raisonnement de classe favorisée
On se retrouve ainsi avec des millions de personnes à faible risque vaccinées et des millions de personnes fragilisées sans protection vaccinale. Or, sur ces derniers, le chantage au QR code est souvent inopérant : brandir la carotte du TGV, du théâtre ou du restaurant est un raisonnement de classe favorisée, inadapté pour beaucoup de publics âgés, précaires, marginalisés.
Toucher ces populations suppose de formuler et déployer une vaccination sans barrière d’accessibilité et dont les enjeux sont compris. Bref, c’est faire tout le contraire de ce que propose le gouvernement, un cocktail de technologisme, de répression et d’abandon des publics qui sont à la fois les plus fragiles face au virus et les moins vaccinés. Au lieu de cela, le « pass sanitaire » soumet, sans sommation, ces publics ainsi que les enfants et les jeunes, déjà durement éprouvés par les confinements successifs, à une logique de chantage et de punition, les obligeant à trouver « vite leur dose » – souvent introuvable – s’ils veulent avoir le droit de continuer à vivre normalement, voire de garder leur emploi ou d’accéder à l’éducation. Ceci est d’autant plus déroutant qu’il n’est à ce jour pas prouvé que la vaccination massive des populations jeunes en bonne santé soit une bonne stratégie. Il s’agit plutôt d’un pari (3) : celui de faire baisser la circulation virale pour protéger les non-vaccinés et éviter la multiplication des variants, pari que les dernières données israéliennes et américaines sur la contagiosité des vaccinés sont en train de remettre en cause.
Par ailleurs, les vaccins n’ont pas, au vu des données disponibles à ce jour, démontré une balance bénéfice-risque favorable en termes individuels chez les adolescents en bonne santé. Des effets indésirables ont été déclarés dans plusieurs pays, notamment des myocardites, inflammations du muscle cardiaque, dont l’incidence et les effets à long terme restent à déterminer. Or, du point de vue de l’éthique, un bénéfice collectif, lui-même hypothétique, ne constitue pas à lui seul un motif suffisant. Enfin, rappelons de plus que, parce que les vaccins ne bénéficient pour l’heure que d’une autorisation de mise sur le marché temporaire, aucun gouvernement ne peut prendre le risque juridique de rendre ces nouveaux vaccins obligatoires. Par le « pass sanitaire », qui conduit à une obligation déguisée, le gouvernement français déplace en réalité une responsabilité qu’il se garde bien d’assurer lui-même, en particulier sur les parents.
Levée des brevets
Une vraie stratégie de santé publique serait de laisser vivre les jeunes et de mobiliser tous les moyens en direction des publics vulnérables. C’est ce que l’on appelle une approche proportionnée aux besoins. Il faut associer à cela des mesures de réduction des risques, en particulier pour limiter les contaminations en lieu clos. Le tout-vaccination oublie en effet toutes ces stratégies qui permettent de vivre en diminuant le risque pour soi et pour les autres.
La réponse ne peut enfin pas être exclusivement nationale. Nous affrontons une pandémie qui nécessite une réponse mondiale. Les inégalités dans l’accès aux vaccins aboutissent à ce que moins de 2% des personnes en Afrique soient aujourd’hui vaccinées. Refuser l’accès d’une immense partie de la population mondiale à toutes les armes pour lutter contre cette pandémie est non seulement non éthique, mais c’est une ineptie d’un point de vue sanitaire. Pour répondre à cette crise, il faut notamment renforcer les capacités de production au niveau mondial, lever les barrières associées aux brevets et favoriser les transferts de technologies.
En conclusion, ce « pass sanitaire » crée un précédent qui pourra être invoqué à chaque crise écologique ou sanitaire. Des milliers de manifestants se dressent contre ces mesures. Ces protestations sont trop souvent réduites dans les médias au seul discours d’antivax, de complotistes ou d’extrême droite, qui n’ont jamais été du côté des libertés ni de la santé publique. Veillons à ce que l’arbre ne cache pas la forêt. Nous appelons tous les médias éclairés et les mouvements collectifs – partis, syndicats, ligues, associations – à s’opposer au « pass sanitaire » et à demander de toute urgence la mise en œuvre d’une autre option : au lieu de l’autoritarisme et de la panique, le déploiement d’une véritable politique de santé qui mobilise les données scientifiques et qui favorise l’implication des citoyennes et citoyens.
Parmi les signataires de la pétition : Sabrina Ali Benali, médecin urgentiste, Paris ; François Alla, professeur de santé publique à l’Université de Bordeaux, chef du service de prévention au CHU de Bordeaux ; Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre et Miquelon, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer ; Gaëlle Baudin, éducatrice spécialisée, Gironde ; François-Xavier Bellamy, député européen (LR) et professeur de philosophie ; Henri Bergeron, sociologue, directeur de recherche CNRS, centre de sociologie des organisations, Sciences Po, Paris ; Anne Bernard, psychologue clinicienne, secteur médico-social, Gironde ; Olivier Borraz, sociologue, directeur de recherche CNRS, directeur du Centre de sociologie des organisations, Sciences Po Paris ; Linda Cambon, enseignante-chercheuse en santé publique, Université de Bordeaux ; Patrick Castel, sociologue, directeur de recherche de la Fondation nationale des sciences politiques, Centre de sociologie des organisations, Sciences Po, Paris ; Marie-Claude Decouard, infirmière anesthésiste, cadre de santé formatrice, membre du comité d’éthique du CHU de Bordeaux ; Stéphane Gomot, juriste, conseiller municipal et métropolitain de Bordeaux, membre de Génération·s ; Sébastien Jumel, député, groupe parlementaire Parti communiste français ; Loïc Hervé, sénateur de la Haute-Savoie (Union centriste), secrétaire du Sénat ; Harmonie Lecerf, juriste, conseillère municipale de la mairie de Bordeaux, Europe-Ecologie-Les-Verts ; Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament ; Jérôme Martin, cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament ; Patricia Martin, infirmière coordinatrice de soins, Gironde ; Olivier Mollier, neurochirurgien, praticien hospitalier, CHU de Bordeaux, membre du Comité d’éthique du CHU ; Etienne Nouguez, sociologue, chargé de recherche CNRS, Centre de sociologie des organisations, Sciences Po, Paris ; Valéry Ridde, directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement, Centre population et développement, Paris et Dakar ; Céline Robert, psychomotricienne, formatrice conférencière enfance et parentalités, Bordeaux ; François Ruffin, député, groupe parlementaire La France insoumise ; Barbara Stiegler, professeur de philosophie politique et d’éthique médicale, Université de Bordeaux Montaigne, membre du conseil de surveillance de l’Agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine ; Cyril Tarquinio, professeur de psychologie clinique, directeur du centre Pierre Janet, Université de Lorraine ; Stéphane Velut, chef du service de neurochirurgie, CHU de Tours.
(1) Voir Bergeron H., Borraz O., Castel P., Dedieu F., « Covid-19 : une crise organisationnelle », Presses de Sciences-Po, Paris, 2020 ; et Cambon L., Bergeron H., Castel P., Ridde V., Alla F., « When the worldwide response to the Covid-19 pandemic is done without health promotion », Global Health Promot, 2021.
(2) Seulement 82 % de personnes de plus de 80 ans ont reçu au moins une dose vaccinale en France au 28 juillet 2021, contre 100 % au Danemark, en Irlande, au Portugal, en Espagne.
(3) Voir Paul E, Brown G.W., Kalk A, Ridde V., « Playing vaccine roulette. Why the current strategy of staking everything on Covid-19 vaccines is a high-stakes wager », PMC