Politique santé sécu social de l’exécutif

Un collectif de juristes et d’universitaires - L’urgence des libertés

Avril 2020, par Info santé sécu social

Publié par Libération, le 13 avril 2020

L’état d’urgence ne peut être un état vide de droit où s’exercerait seule la violence pure du souverain. Protéger le corps social n’est pas seulement une question sanitaire.

Le passage de l’état ordinaire des choses à l’état d’urgence s’est fait « à côté » du droit. La meilleure preuve en est le vote de la loi d’urgence sanitaire le 23 mars 2020 pour valider rétroactivement les décisions prises depuis le 12 mars et fonder légalement celles à venir. Sans doute, le Président et le Premier ministre s’appuient sur les avis d’un comité de scientifiques. Mais ce comité n’avait aucune base légale alors que des comités scientifiques légalement constitués existaient : Santé publique France, la Haute Autorité de santé, le Haut Conseil de la santé publique…

Au demeurant, cette loi soulève trois questions constitutionnelles. La première est celle de la durée de mise à l’écart du Parlement ; la deuxième est l’étendue des compétences transférées à l’exécutif : exercice des libertés, enseignement, régime de propriété, procédure pénale, droit du travail, régime électoral, c’est tout le domaine législatif posé à l’article 34 de la Constitution qui est « donné » au Premier ministre ; la troisième question est celle de la place extra-ordinaire accordée au comité de scientifiques : alors que les mesures prises et à prendre sont de nature à porter atteinte aux libertés, il aurait été logique de prévoir la consultation préalable du Conseil constitutionnel (comme le prévoit le pourtant très critiqué article 16 !) ou de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, institution créée en 1947 à l’initiative de René Cassin et placée auprès du Premier ministre.

L’état d’urgence ne peut être un état vide de droit où s’exercerait seule la violence pure du souverain. En France comme à l’étranger. Protéger le corps social n’est pas seulement une question sanitaire. C’est aussi une question juridique car ce qui fait un corps social c’est l’adhésion des individus à un même patrimoine de droits et libertés. En 2015, après Charlie, les citoyens ont fait corps en se rassemblant sur la liberté d’expression. En 2020, chaque soir à 20 heures, ils font corps en reconnaissant et exprimant par leurs applaudissements le principe de fraternité. Oublier ces droits ou y porter atteinte, c’est dissoudre le corps social en une simple juxtaposition d’individus : « Il n’y pas de société, il n’y a que des individus », disait Margaret Thatcher, ouvrant ainsi le cycle du néolibéralisme.

La santé du corps social impose que toutes les mesures attentatoires aux droits et libertés garantis par la Constitution soient abolies à la fin de l’état d’urgence. Et peut-être aussi, comme après chaque grand choc existentiel, de reconstituer le corps social sur la base d’un principe oublié et pourtant inscrit à l’article 1er de la Déclaration de 1789 : celui de l’utilité commune – et non comme aujourd’hui des intérêts privés ou des héritages – pour fonder les distinctions sociales.

Dominique Rousseau, professeur de droit public émérite, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public, université Paris-Nanterre

Fulco Lanchester, professeur de droit constitutionnel italien et comparé, université Sapienza di Roma

Marc Verdussen, professeur de droit public, université de Louvain,

Dominique Méda, professeure de sociologie, université Paris Dauphine, directrice de l’Irisso

Anderson Vichinkeski Teixeira, professeur de droit constitutionnel, Unisinos, Brésil

Marc Carrillo, professeur de droit public, université Pompeu Fabra Barcelone

David Mendieta, Professeur de droit constitutionnel, université de Medellin, Colombie

Henri Leclerc, avocat, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme

Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public, université Paris-Diderot

Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature

Estallia Araez, avocate, présidente du Syndicat des avocats de France

Lauréline Fontaine, professeure de droit public, université Paris-III-Sorbonne Nouvelle

Daniel Ludet, magistrat honoraire

Jean-Jacques Gandini, ancien président du Syndicat des avocats de France

Serge Slama, professeur de droit public, université Grenoble-Alpes

Diane Roman, professeure de droit public, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Simone Gaboriau, magistrat honoraire, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature

Eleonora Bottini, professeure de droit public, université de Caen-Normandie

François-Victor Colcombet, magistrat honoraire

Claire Chatelain, chargée de recherches en histoire moderne, CNRS, Centre R. Mousnier-Sorbonne Université

Maurice Zavaro, magistrat honoraire

Xavier Arbós, professeur de droit constitutionnel, université de Barcelone

Paulo Trindade Dos Santos, professeur de droit public, université d’Ouest de Santa Catarina, Brésil

Un collectif de juristes et d’universitaires