L’hôpital

VIVA - « Accorder des moyens supplémentaires à l’hôpital est un impératif » Henri Sterdyniak, membre des Economistes atterrés.

Novembre 2019, par Info santé sécu social

– Dans le PLFSS pour 2020, les moyens attribués à l’hôpital sont limités alors même qu’il traverse une crise sans précédent. Qu’en pensez-vous ?

Le gouvernement a une vue à la fois comptable et politique, au sens étroit du terme. Il s’agit de faire contribuer les dépenses de santé à l’objectif de baisse des dépenses publiques, sans tenir compte ni des besoins de la population, ni de la situation du personnel. Les hôpitaux manquent de moyens, doivent fermer des lits ou des services ; beaucoup sont en déficit (le déficit global était de 660 millions en 2018) ou sont surendettés (soit un endettement global de 30 milliards). Ils ont du mal à retenir du personnel sous-payé et en sous-effectif. Les faibles augmentations de moyens accordées aux urgences sont prélevées sur d’autres postes. Et le PLFSS pour 2020 ne prévoit qu’une hausse de 2,1% du financement des hôpitaux, ce qui revient à obliger l’hôpital à réaliser de nouvelles économies. Accorder des moyens à l’hôpital est un impératif que le gouvernement a, jusqu’à présent, trop peiné à entendre.

– Dans le cadre de ce même PLFSS, le gouvernement a décidé que l’État ne compensera pas à la Sécurité sociale les exonérations de charges, ce qui conduit à creuser le déficit de la Sécurité sociale. Comment analysez-vous cette décision ?

Le gouvernement et la technocratie veulent éviter d’avoir une Sécurité sociale en excédent, ce qui pourrait conduire à devoir améliorer les prestations. La Sécurité sociale n’a aujourd’hui plus d’autonomie : ce sont les cabinets des ministères des finances et des affaires sociales qui décident des recettes et des soldes affichés par chaque régime en faisant riper les ressources d’une caisse à l’autre. D’une part, le gouvernement impose à la Sécurité sociale de rembourser rapidement la « dette sociale » ; d’autre part, depuis 2019, il met à sa charge les exonérations de cotisations sociales, soit un montant de l’ordre de 5 milliards en 2019 et 2020.

– Dans le même temps, le gouvernement annonce une réforme de l’AME qui vise à restreindre l’accès aux soins des sans-papiers. Comment comprendre cette politique ?

L’AME a coûté, en 2018, 904 millions d’euros (soit 0,45% des dépenses publiques de santé). Sa mise en cause a surtout un but politique : aller sur le terrain de la droite et de l’extrême-droite en montrant que le gouvernement lutte contre l’immigration. Cette mise en cause ne tient guère compte du rapport récent de l’IGF et de l’IGAS qui « recommande d’envisager avec prudence toute évolution de l’AME qui aurait pour effet d’augmenter le renoncement aux soins et de dégrader l’état de santé des populations ciblées ».

Elle est nocive sur le plan humanitaire puisqu’elle frappera des migrants dont l’état de santé peut s’être fortement détérioré du fait même de leur migration ; elle est dangereuse si des personnes atteintes de maladies contagieuses ne sont pas traitées ; elle aboutirait à surcharger encore les hôpitaux où ces personnes seraient traitées en dernier ressort.

– D’abord relativement acceptée par l’opinion, la future réforme des retraites est devenue complètement anxiogène. Que pensez-vous de cette réforme ?

La réforme a deux buts essentiels : garantir la stabilité (et même la baisse) de la part des dépenses de retraites dans le PIB ; étatiser le système de façon à priver les partenaires sociaux de tout pouvoir direct. Cependant, elle a fait apparaître au grand jour que, dans les projets de la technocratie, l’âge de départ à taux plein doit rapidement passer à 64 ans et que le niveau relatif des retraites par rapport aux salaires doit baisser fortement (de plus de 20%). Cette baisse est particulièrement apparente pour certaines professions (fonctionnaires n’ayant que peu de primes, régimes spéciaux). Aucune mesure d’ampleur n’est prise pour les emplois pénibles. Selon la clause dite « du grand père », la réforme ne s’appliquerait qu’à ceux qui entrerait en activité après 2020, donc, en fait, à partir de 2063. C’est un appel à l’égoïsme entre générations : « que m’importe la retraite de mes petits-enfants si la mienne est préservée ».

Le gouvernement devrait renoncer à sa grande réforme, devrait surtout accepter de maintenir le niveau relatif des retraites en programmant une hausse progressive des taux de cotisations, devrait engager une réelle négociation avec les syndicats pour faire converger les régimes et supprimer les disparités actuelles.

Emmanuelle Heidsieck