Les Ehpads et le grand âge

Gerontonews.com : L’annonce d’Agnès Buzyn ravive la colère des syndicats d’Ehpad

Janvier 2018, par infosecusanté

L’annonce d’Agnès Buzyn ravive la colère des syndicats d’Ehpad

Estimant que les 50 millions d’euros supplémentaires pour les Ehpad annoncés ce 25 janvier par Agnès Buzyn s’apparentent à "une provocation", sept syndicats de salariés d’Ehpad, soutenus par l’AD-PA, ont rappelé ce même jour, lors d’une conférence de presse, leurs revendications, et détaillé les actions prévues le 30 janvier.

"Le sujet est sérieux et l’heure est grave", a lancé Luc Delrue, secrétaire fédéral FO, aux côtés de 11 autres représentants de sept syndicats (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, SUD et Unsa), réunis en conférence de presse pour évoquer le mouvement national du 30 janvier, qui appelle le personnel des Ehpad de tous statuts, ainsi que les services à domicile, à réclamer plus de moyens.

"Il aura fallu que cinq organisations syndicales [les deux dernières les ont rejointes après] lancent un appel à la grève nationale pour qu’Emmanuel Macron, plus exactement son cabinet, daigne prendre rendez-vous", a-t-il dit, espérant bien une rencontre le 29 ou le 30 janvier.

De fait, sollicité par deux courriers, l’Elysée a finalement donné une réponse positive le 23 janvier, pour un rendez-vous avec la conseillère solidarités et santé du président de la République, Marie Fontanel.

Dans la foulée, la CGT a réussi, après moult allers-retours, à caler un rendez-vous avec le ministère des solidarités et de la santé le 30 janvier à 9 heures, mais tente de négocier pour y intégrer toute l’intersyndicale.

Si la ministre des solidarités et de la santé comptait calmer la colère avec l’enveloppe de 50 millions d’euros annoncée ce 25 janvier pour les Ehpad, c’est raté : cette annonce n’a ne fait que jeter de l’huile sur le feu.

"Quelle générosité…", a commenté ironiquement Luc Delrue, "alors que la LFSS [loi de financement de la sécurité sociale pour 2018] a été publiée fin 2017 et que nous avions fait exprès de nous réunir avant pour convaincre les pouvoirs publics de la nécessité de modifier radicalement l’orientation".

Pour Bruno Lamy, secrétaire général adjoint de la fédération CFDT santé-sociaux, "les mesurettes proposées par le gouvernement à coup de 100 ou 50 millions d’euros sont des pansements sur une jambe de bois".

Le gouvernement suspecté d’agir pour calmer le jeu

"Cela [finance] à peu près 2.500 postes supplémentaires. L’application de la convergence tarifaire [induite par la réforme de la tarification] se traduit en moyenne sur sept ans par la suppression d’un poste d’aide-soignant par Ehpad et par an. Si ces 50 millions devaient financer ce que nous perdons, ils ne compenseraient qu’un tiers de postes, c’est inacceptable, c’est une provocation" a assené Luc Delrue.

"On sait que la situation est compliquée, mais on ne combat pas seulement dans les Ehpad, on combat aussi dans les hôpitaux ou dans le pénitentiaire", a-t-il fait valoir.

Luc Delrue ne digère pas, non plus, le choix effectué par la ministre d’annoncer la mesure au micro de RTL "avant d’avoir rencontré" les syndicats.

"Si j’ai un message à faire passer au gouvernement à travers la presse, puisque madame Buzyn parle à la presse, dans l’attente de la rencontrer, c’est qu’elle entende bien que les salariés, avec leurs organisations syndicales, ne lâchent rien", a-t-il assené.

"On va voir si Agnès Buzyn maintient ces petites annonces et ce que la représentante de l’Elysée va proposer pour voir la suite", a conclu le représentant de FO, mais ces premières ouvertures arrivent trop tard. Surtout, l’intersyndicale y voit une volonté de calmer le jeu à l’approche du 30 janvier et reste déterminée.

Il a rappelé les quatre principales revendications des syndicats :

•L’application d’un agent pour un résident, ce qui nécessiterait la création de 28.000 emplois

•L’abrogation des dispositions législatives relatives à la réforme de la tarification des Ehpad et le retrait des décrets d’application

•L’arrêt des baisses de dotations induites par la convergence tarifaire et la sécurisation des contrats aidés

•L’amélioration des rémunérations et des perspectives professionnelles pour le personnel.

"Les directeurs ne supportent plus le double discours"

De fait, cet appel commun est "inédit". Malgré leurs "nombreuses nuances", sept syndicats se sont réunis pour la première fois pour porter la cause des Ehpad et des services à domicile à un niveau national, a souligné Luc Delrue.

Cet appel intervient après "120 mouvements de grève" répertoriés en 2017 sur toute la France, dont celle de Foucherans, dans le Jura, la plus médiatisée.

Du jamais-vu, aussi, le soutien de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), à un tel mouvement, a souligné Pascal Champvert, son président.

Il a tenu à "porter le message auprès des pouvoirs publics pour que notre pays accompagne mieux les personnes âgées, raison pour laquelle le mouvement a aussi le soutien d’associations de retraités".

"Ce que les directeurs ne supportent plus, c’est le double discours des pouvoirs publics", a-t-il poursuivi. Il a cité le représentant d’un département évoquant l’importance "des financements" plus que "la qualité", en incitant les directeurs à expliquer, ensuite, "aux résidents, aux familles et aux salariés, qu’une réforme qui vise à diminuer le nombre de professionnels dans certains Ehpad est une réforme juste".

Pascal Champvert a aussi estimé que les pouvoirs publics profitaient de "l’engagement des salariés et le fait qu’elles soient majoritairement des femmes".

Enfin, il a demandé que "Madame Buzyn présente des excuses à l’ensemble des directeurs de France profondément touchés et blessés" par ses propos sur le management.

La réussite de la grève tiendra "au nombre de micro-mobilisations"

Concernant l’organisation de la grève du 30 janvier, l’intersyndicale prévoit un rassemblement à Paris devant le ministère de la santé à 14 heures. Il n’y aura pas un seul grand rassemblement national avec une grande manifestation, et la réussite du mouvement se mesurera au nombre des micro-mobilisations à l’échelle d’un Ehpad ou d’un service à domicile, ou au niveau départemental, a-t-elle précisé.

La CGT a, quant à elle, appelé à manifester dans tous les départements devant les conseils départementaux et les agences régionales de santé (ARS), et à des débrayages de 11 heures à midi dans les Ehpad.

Dans un document non exhaustif, FO avait, au 25 janvier, répertorié des actions dans tous les départements métropolitains, en Martinique et à La Réunion.

Concernant la continuité des soins, elle a précisé que le personnel restait assigné dans le secteur public, mais pas réquisitionné. Elle a admis qu’il serait compliqué d’avoir un rapport de force de masse de ce point de vue et qu’elle espérait être rejointe par la population, les familles, les futurs usagers, ce qui permettra aussi de "jauger de la prise de conscience".

Pascal Champvert a annoncé lui-même qu’il ferait grève, mais tiendrait son rôle de directeur en cas de besoin.

L’intersyndicale se réunira le 31 janvier en fin de journée pour établir un bilan de la grève.

"Les projets personnalisés, une belle connerie !"

Lors de la conférence de presse, Sandrine Ossart, une aide-soignante (AS) encartée à la CGT, a livré un témoignage fort du travail dans son Ehpad associatif de Loire-Atlantique. "On a entre 12 et 15 toilettes par matinée, qui comprennent le lever, l’habillage et la mise au fauteuil, et tout ça en huit à 10 minutes, contre 40 minutes quand j’ai appris à l’école. Tous les jours, on a des absences".

"Pour certains résidents qui pourraient marcher, on les met en fauteuil car ça va plus vite, et ce n’est pas un qu’on a à bout de bras, c’est deux, pour aller plus vite. Il y en a plein qu’on met en alimentation mixée, car ça va plus vite aussi, c’est ça, la réalité du terrain", a-t-elle poursuivi.

"Certains ne sortent plus, car quand on avait quatre résidents à pied et un en fauteuil, maintenant c’est quatre en fauteuil et un à pied. L’ARS nous demande de faire des projets de vie personnalisés, quelle belle connerie ! Les résidents veulent sortir, partir en vacances, on n’a pas les moyens, c’est inadmissible. On ne peut pas, nous, soignants, qui aimons notre métier, tout accepter, et il est temps d’aller dans la rue […]. On est cassés, usés, on a les articulations qui pètent. J’ai la chance d’être dans un Ehpad moderne avec des rails au plafond. Sauf qu’ils sont dans une chambre sur deux et qu’il faut un moteur, qui coûte 6.000 euros. On en a qu’un pour 24 chambres, donc les déplacements, on fait que ça, l’ARS devrait nous fournir des rollers, là pour le coup, on irait encore plus vite", a-t-elle ironisé.

"On ne vit plus dans les Ehpad. Ça fait 26 ans que je travaille en Ehpad, je n’ai jamais jamais jamais vécu ça".

Son témoignage a été complété de celui d’Atef Guedda, un AS travaillant de nuit dans un Ehpad public territorial en Savoie, également à la CGT : "On répond deux ou trois heures après aux appels la nuit, il s’agit de mise en danger de la vie d’autrui."

Il a aussi assuré que certains résidents capables d’aller aux toilettes en étant accompagnés étaient renvoyés à leurs changes, par manque de temps. Enfin, il a souligné que, par manque d’AS, les directeurs devaient faire appel à l’intérim. "Un intérimaire parachuté qui vient trois jours, il ne connaît rien, il y a des erreurs."

Jean-Claude Stutz, secrétaire national adjoint d’Unsa santé-sociaux, a appelé à "ne pas confondre les objectifs et les moyens".

"Les moyens vont être les embauches et la revalorisation, mais le mouvement a pour objectif l’accompagnement des personnes âgées dans le respect et la dignité".

La Fédération hospitalière de France (FHF), qui fait circuler une pétition contre la réforme de la tarification, a, dans un communiqué le 24 janvier, assuré qu’elle "[prenait] acte de l’appel à la grève" et qu’elle serait "prochainement reçue par Agnès Buzyn".

"A cette occasion", la FHF "demandera l’ouverture de négociations à la hauteur de l’impact de décisions touchant 300.000 personnes hébergées dans nos établissements."

cbe/vl

Claire Beziau

Journaliste

claire.beziau@gerontonews.com