Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

lignes d’Attac - « Quel capitalisme laissera la Covid ? »

Octobre 2020, par Info santé sécu social

Entretien avec Michel Husson, statisticien et économiste, membre d’Attac et des Economistes atterrés.

Le confinement provoqué par l’épidémie de Covid-19 a eu des effets majeurs sur l’économie mondiale. Peux-tu brièvement décrire les grands traits de cette situation, avant et après Covid ?

Le coronavirus n’est pas venu attaquer un corps sain. Depuis la crise de 2008, le capitalisme fonctionnait sur un mode instable qui reproduisait à peu près tout ce qui y avait conduit. Les signes avant-coureurs d’une nouvelle récession s’accumulaient, la mondialisation cessait de progresser, les gains de productivité étaient au plus bas et l’endettement des entreprises privées au plus haut, etc. Cependant la crise économique induite par la pandémie est inédite parce qu’elle a conduit à une mise à l’arrêt de l’activité économique sans que cela résulte directement des contradictions issues de la crise précédente. La production comme la consommation ont chuté, le commerce international s’est ralenti, l’investissement a fléchi. Mais, et c’est la seconde caractéristique de cette crise, elle a frappé de manière différenciée les différents secteurs : certains étaient au point mort, tandis que d’autres continuaient à fonctionner tant bien que mal. Idem concernant les différentes régions de l’économie mondiale, et c’est un point sur lequel il faut insister : l’épreuve est particulièrement douloureuse pour la plupart des pays du Sud. La combinaison d’une crise sanitaire et d’une crise économique a particulièrement frappé des pays surendettés, dépendants de leurs exportations en berne et exposés à la fuite des capitaux, ainsi qu’à la chute de leur monnaie.

Quelles sont les réponses des classes dominantes et des institutions internationales face à cette situation ?

Leur problème était au fond de doser les mesures imposées par l’urgence sanitaire (notamment le confinement) et celles visant à éviter un effondrement total de l’économie. Les réponses apportées ont évidemment varié d’un pays à l’autre et aussi dans le temps. Le point commun de ces réponses a toutefois été qu’elles ont constitué autant d’hommages du vice à la vertu. Prenons l’exemple de l’emploi : le recours massif au chômage partiel a été en quelque sorte une application de l’idée d’un Ëtat « employeur en dernier ressort », évidemment contradictoire avec une confiance aveugle dans le marché. t:objectif était d’empêcher que s’enclenche une spirale récessive incontrôlée. Cette prise en charge par les dépenses publiques revient à briser un tabou, celui de la rigueur budgétaire. Et ce tabou a aussi été remis en cause à l’échelle européenne : les critères de Maastricht ont été oubliés et, malgré ses limites, le plan Macron-Merkel a fait sauter une autre digue, celle qui interdisait toute mutualisation des dettes publiques.

« Les entreprises qui survivront ne vont avoir qu’un seul moyen de rétablir leur profit entamé par la crise : faire baisser leur masse salariale »

Comment envisager les« jours d’après » ?

Il ne faut pas être naïf : en dépit de cette remise en cause - forcée - des dogmes, la crise actuelle ne conduit pas spontanément à une bifurcation dans le fonctionnement de l’économie. Au contraire : nous sommes face à une crise « au carré » qui combine les effets durables de la crise de 2008, et les traits spécifiques de celle du coronavirus. Le redémarrage sera, comme le choc initial, inégal selon les secteurs et les pays, compte tenu aussi des risques d’une seconde vague :une des bizarreries de cette crise est d’ailleurs qu’elle n’a pas conduit à ure chute durable des cours boursiers. C’est le symptôme d’une tendance sur laquelle vont s’arc-bouter les dominants, à savoir la possibilité de continuer à capter la richesse via la finance. Mais cela ne peut conduire qu’à une instabilité financière exacerbée.

De manière plus générale, les classes dominantes vont être confrontées à un nouveau dosage délicat que l’on pourrait résumer ainsi : comment rétablir le profit sans freiner la reprise ? Car les entreprises (celles qui survivront) ne vont avoir qu’un seul moyen de rétablir leur profit entamé par la crise : faire baisser leur masse salariale, en gelant les salaires, en augmentant la durée du travail, en licenciant ou en obtenant des « aides » de l’État. On voit déjà s’esquisser un rééquilibrage des dépenses publiques (le plan de relance) en faveur des entreprises, même celles qui annoncent des plans de réduction des effectifs. En France, le gouvernement a évité toute forme de contrôle démocratique, préférant l’infantilisation des citoyenn·e·s, couplée à une répression très caractéristique du néolibéralisme autoritaire de Macron. Mais les aspirations au changement pourraient elles aussi se déconfiner, et c’est d’ailleurs ce que redoute ce gouvernement : c’est peut-être le principe de conditionnalité des aides qui pourrait servir de ciment.

Propos recueillis par Vincent Gay