Revenu de base - Salaire universel

nouvelobs.com - 2016, l’année du revenu universel (même Valls y pense)

Septembre 2016, par Info santé sécu social

Après Benoît Hamon, Manuel Valls a relancé jeudi le débat sur le revenu universel. Il a le vent en poupe, à gauche mais aussi chez la droite libérale.

Pascal Riché

C’est la petite (mais très vieille) idée qui monte, qui monte, et s’invite doucement dans la campagne présidentielle française : le revenu universel, un revenu-socle accordé à tous sans contrepartie. On en parle certes depuis Thomas Paine, révolutionnaire en France et père fondateur en Amérique, mais la numérisation qui menace de nombreux métiers relance cette année l’intérêt qu’on lui porte.

Après Benoît Hamon, qui en a fait une de ses priorités en lançant sa candidature à l’Elysée, c’est au tour du Premier ministre Manuel Valls de prendre position en sa faveur. Il l’avait déjà évoqué en avril, mais il est allé plus loin jeudi dans le cadre d’une journée d’hommage à Michel Rocard, père du RMI devenu depuis le RSA :

"Moi, je crois qu’il faut maintenant aller plus loin. Par la réforme des minimas sociaux, leur simplification, peut-être pour aller vers un revenu universel garanti, [même si] ce sont des débats bien sûr d’une grande complexité. [...] En tout cas, c’est un grand projet pour la gauche et il y a des champs, dans la réduction des inégalités, que nous devons être capables d’explorer."

"Y compris pour les moins de 25 ans"

Valls ne va pas jusqu’à parler de somme d’argent accordée à tous les habitants, pauvres ou riches, de la naissance à la mort, comme les puristes du revenu universel l’imaginent. Mais il suggère "une seule aide qui fusionnerait la plupart des minima sociaux existants, ouverte à tous, y compris aux moins de 25 ans". Selon lui, ce pourrait être "un grand projet pour la gauche" :

"Il y a des champs, dans la réduction des inégalités, que nous devons être capables d’explorer."

Jusque là, le champ est labouré extrêmement timidement. En Aquitaine, une expérimentation est envisagée, à l’initiative des élus verts et Front de gauche. Au niveau national, un rapport sur la réforme des minimas sociaux a été remis au Premier ministre par Christophe Sirugue, qui était alors député PS (et qui a été nommé depuis secrétaire d’Etat à l’Industrie). Il y suggérait de fondre une dizaine de prestations (RSA, AAH, ASS, allocation veuvage…), afin d’aboutir à une "couverture socle commune" d’environ 400 euros par mois. Mais il se gardait de proposer un revenu universel garanti : l’allocation qu’il proposait ne serait pas une aide versée tout au long de la vie, et elle ne se cumulerait pas avec une activité salariée.

Pour Sirugue, le revenu universel n’est pas sans danger s’il était instauré en suivant "certaines conceptions très libérales". Il risquerait en effet de "remettre intégralement en cause notre système de protection sociale".

Une voie libérale vers le communisme ?

"L’utopie concrète" que vante Manuel Valls a des gènes très variés : le revenu universel a été défendu à la fois par des utopistes de gauche (André Gorz, par exemple) et par des libéraux (Milton Friedman, par exemple). Pour les uns, c’est "une voie libérale pour arriver au communisme". Pour les autres, c’est l’inverse, la destination étant la liberté complète des agents économique. Si chaque personne reçoit une somme forfaitaire sans contrepartie, elle retrouve une grande liberté dans ses choix et l’Etat cesse de tout contrôler à travers ses différentes prestations soumises à des conditions de ressource ou de comportement...

D’ailleurs, cette année, ce sont plutôt les libéraux qui poussent l’idée. En Suisse, c’est à l’initiative d’entrepreneurs qu’elle a été soumise au vote (elle a été rejetée, certes, mais un beau débat a eu lieu). En Finlande, c’est un gouvernement de droite qui va l’expérimenter dès 2017. Le Premier ministre, Juha Sipilä, est un entrepreneur. Selon le projet de loi présenté le 25 août dernier, dès l’année prochaine, 2.000 personnes tirées au sort recevront 560 euros par mois, non imposables.

2016, l’année du revenu universel

Pourquoi le débat monte-t-il ? Plusieurs raisons se conjuguent.

•La pauvreté a recommencé à augmenter depuis cinq ans.

•Les progrès de la robotisation et la numérisation annoncent un tsunami sur les emplois. Pas seulement les postes d’ouvrier, mais ceux d’un tas de métiers "de la classe moyenne" : comptable, agent immobilier, interprète… 40% des métiers seraient concernés par l’automatisation qui vient. C’était l’argument principal des promoteurs du référendum suisse.

•La montée des "bullshit jobs" ces travaux dont on ne ressent pas l’utilité. "Selon un sondage réalisé en Grande-Bretagne, 37% des travailleurs considèrent que leur travail n’a pas d’utilité… Alors qu’il y a des tas d’activités bénévoles qui sont ressenties comme incroyable utiles", commente Rutger Bregman, historien et chantre néerlandais du revenu universel.

•Dans de nombreux pays, les systèmes traditionnels de protection sociale sont à bout de souffle : des citoyens tombent dans la trappe des minimas sociaux et n’en sortent pas, l’acceptation d’un boulot à temps partiel risquant de leur faire perdre ces allocations. Si un revenu est distribué sans condition, ils retourneront plus facilement sur le marché du travail.

•En France, on a du mal à allier sécurisation des parcours et recherche de compétitivité. Le revenu universel permettrait de résoudre l’équation, un peu comme le régime des intermittents du spectacle a permis de faire vivre les festivals.

•La gauche est orpheline d’"utopies concrètes", pour reprendre l’expression de Valls. Le socialisme étatique sent la naphtaline du XXe siècle. En France, la baisse du temps de travail est devenue tabou : l’expression "35 heures" est empoisonnée et "semaine de 4 jours" radioactive.

Sujet tabou

Ce qui distingue le revenu universel "libéral" et le revenu universel "utopiste", c’est essentiellement son montant. Pour les libéraux, il doit s’agir d’un revenu de survie, qui se substituerait aux autres minimas sociaux. Pour les "utopistes", c’est un revenu qui doit permettre la dignité de chacun : s’il est trop bas, il ne fera que favoriser l’essor des petits boulots sous-payés (qui seront acceptés pour compléter ce revenu de base…).

Martine Alcorta, la conseillère régionale EELV qui est à l’origine du projet en Aquitaine, commente :

"Il ne faut pas que le revenu universel conduise le patronat à en profiter pour faire baisser les salaires."

Cette idée de revenu universelle reste très sensible, tant le travail reste une valeur centrale, à la fois à droite ("travailler plus pour gagner plus") et à gauche ("toutes les grandes conquêtes sociales sont passées par le travail"). Face à l’accélération des mutations économiques et sociales actuelles, un consensus semble toutefois se dessiner sur la nécessité de l’explorer, et donc de lancer des expérimentations.