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Le Monde.fr : Pourquoi l’OMS a classé l’épidémie de mpox en Afrique comme « urgence de santé publique de portée internationale »

il y a 3 semaines, par infosecusanté

Le Monde.fr : Pourquoi l’OMS a classé l’épidémie de mpox en Afrique comme « urgence de santé publique de portée internationale »

Il s’agit du plus haut niveau d’alerte de l’agence onusienne, déclenché pour la deuxième fois en deux ans pour cette maladie d’origine virale.

Par Delphine Roucaute

Publié le 15/08/2024

Coup d’accélérateur dans la mobilisation contre le mpox (anciennement monkeypox, la variole du singe). Sur les conseils d’un groupe d’experts, le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a décidé, mercredi 14 août, de décréter une urgence de santé publique de portée internationale (Usppi) contre la maladie qui sévit depuis le début de l’année dans plus d’une dizaine de pays d’Afrique.

Il s’agit du plus haut niveau d’alerte de l’organisation, qui y a recours pour la deuxième fois contre cette maladie depuis 2022. D’autres épidémies ont fait l’objet de déclarations d’urgence : la grippe H1N1 (2009-2010), Ebola (2013-2016, puis 2019-2020), la polio depuis 2014, le virus Zika (2016) et le Covid-19 (2020-2023). L’Usppi permet notamment à l’organisation onusienne de prioriser davantage ses moyens contre le mpox, alors que son budget, très contraint, est défini en mai lors de son assemblée annuelle. C’est par ailleurs le seul outil dont elle dispose pour mobiliser en urgence tous ses pays membres sur une situation de crise.

Le « docteur Tedros » a motivé cette décision lors d’une conférence de presse, mercredi soir, par « la détection et la propagation rapide d’un nouveau clade [une souche virale] dans l’est de la République démocratique du Congo [RDC], sa détection dans des pays voisins qui ne l’avaient pas encore signalé jusque-là, et son potentiel de propagation en Afrique et au-delà ».

Ce nouveau clade, appelé « 1b », a été identifié pour la première fois en septembre 2023 dans la région minière de Kamituga, dans le Sud-Kivu. Depuis, il s’est diffusé dans quelques pays voisins jusque-là épargnés par la maladie : le Burundi, le Kenya, le Rwanda et l’Ouganda, où quelque 90 cas ont été identifiés ces derniers mois.

Jeudi, l’agence de santé publique suédoise a annoncé qu’une personne vivant dans la région de Stockholm a été diagnostiquée comme porteuse de ce nouveau clade jugé plus virulent. Une première hors d’Afrique, qui rappelle l’épidémie de 2022, portée alors par le clade 2. L’agence a assuré dans un communiqué que le fait qu’« une personne soit traitée pour le mpox dans le pays n’implique pas de risque pour le reste de la population ». Pour l’OMS, « il est probable que d’autres cas importés de clade 1 soient enregistrés dans la région européenne au cours des prochains jours et des prochaines semaines ».

Plus de 17 000 cas probables depuis le début de l’année
Depuis le début de l’année, plus de 17 000 cas probables ont été remontés dans plus de treize pays africains, avec pour le moment 548 décès rien que pour la République démocratique du Congo. Il s’agit d’une accélération de l’épidémie par rapport aux plus de 7 000 cas recensés en 2022 et aux près de 15 000 cas de 2023. « Il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg, si l’on considère les nombreuses faiblesses de la surveillance, des tests de laboratoire et de la recherche des contacts », commente Africa CDC, l’agence de santé publique de l’Union africaine, dans un communiqué.

« C’est une situation qui devrait tous nous préoccuper », a ajouté le « docteur Tedros », précisant : « L’OMS s’engage, dans les jours et les semaines à venir, à coordonner la riposte mondiale, en collaborant étroitement avec chacun des pays touchés et en tirant parti de sa présence sur le terrain, afin de prévenir la transmission, de traiter les personnes infectées et de sauver des vies. »

L’OMS devra notamment travailler avec Africa CDC, qui avait pris les devants en activant, la veille, son propre niveau d’alerte maximal, l’« urgence de santé publique continentale », qu’elle n’avait pas encore activé depuis sa création, en 2017.

Concrètement, ce dispositif va permettre à l’agence de coordonner la réponse continentale contre le mpox, en émettant des recommandations temporaires et en obligeant les Etats membres à lui notifier les mesures sanitaires qu’ils auront décidé de prendre. Le directeur général d’Africa CDC, Jean Kaseya, souligne également que cette urgence va permettre d’augmenter le financement et les ressources provenant des pays et des organisations internationales pour faciliter l’accès aux traitements, vaccins et tests.

Procédure d’autorisation d’urgence pour les vaccins
« Nous devons travailler pour que ces déclarations d’urgence changent vraiment la donne cette fois, parce que, la fois passée, les pays africains n’avaient pas reçu de vaccins ni de médicaments », assure au Monde Jean Kaseya, faisant référence à l’Usppi déclarée contre le mpox de juillet 2022 à mai 2023, lorsque l’épidémie s’était diffusée pour la première fois hors d’Afrique, provoquant quelque 140 morts sur environ 90 000 cas disséminés dans le monde. Une fois l’épidémie terminée dans la plupart des pays à haut revenu, l’intérêt de la communauté internationale pour la maladie s’est émoussé, malgré la multiplication des cas en Afrique.

Mercredi, l’Africa CDC a d’ores et déjà fait savoir que la Commission européenne s’était engagée à fournir 175 420 doses du vaccin MVA-BN, initialement développé contre la variole, mais qui a démontré son efficacité contre le mpox. Le laboratoire danois Bavarian Nordic, qui le produit, fera également don de 40 000 doses supplémentaires. Jeudi, les Etats-Unis ont annoncé faire don de 50 000 doses à la RDC.

Ces vaccins seront distribués aux pays touchés par l’intermédiaire de l’Africa CDC, qui espère obtenir 10 millions de doses à l’horizon 2025. L’agence recevra également une subvention européenne de 3,5 millions d’euros au début de l’automne pour développer les capacités de dépistage et de séquençage de la région.

Le 7 août, Tedros Adhanom Ghebreyesus a déclenché une procédure d’autorisation d’urgence pour les vaccins contre le mpox afin que ces derniers puissent être utilisés dans les pays n’ayant pas encore approuvé les deux produits actuellement sur le marché : celui de Bavarian Nordic et celui du japonais KM Biologics. Il revient désormais aux laboratoires de faire leur demande auprès de l’OMS. L’organisation onusienne a également d’ores et déjà débloqué 1,45 million de dollars (1,32 million d’euros) de son fonds d’urgence pour lutter contre l’épidémie, espérant obtenir grâce à son Usppi un total de 15 millions.

« Nous n’avons pas affaire à une seule épidémie : nous avons affaire à plusieurs épidémies de différents clades dans différents pays avec différents modes de transmission et différents niveaux de risque », a déclaré le « docteur Tedros » dans son discours d’ouverture au comité d’urgence, mercredi. Les projecteurs sont actuellement braqués sur le clade 1b en raison de ses nouvelles mutations lui assurant une meilleure transmission interhumaine, notamment par voie sexuelle. Mais, dans la plupart des régions de RDC, c’est le clade « classique » 1 qui domine, comme en République centrafricaine ou en République du Congo. Dans d’autres pays, comme le Ghana, le Liberia, le Nigeria ou l’Afrique du Sud, s’est imposé le clade 2, dont est issu le virus qui s’était diffusé dans le monde, et considéré comme moins mortel. Au Cameroun, les deux clades circulent.

Situations très contrastées
Sur le terrain, les ONG font état de situations très contrastées entre les régions d’un même pays. Dans le nord-ouest de la RDC, la diffusion endémique du clade 1 se fait à partir de contaminations de l’animal à l’humain, en grande majorité des enfants, avec des chaînes de transmission qui s’arrêtent souvent à l’entourage familial, mais avec un taux de létalité très fort (au moins 3 %).

Dans l’est du pays, « le clade 1b se transmet de manière ininterrompue », témoigne Sylvie Jonckheere, référente maladies infectieuses pour MSF, qui revient de plusieurs semaines de mission en RDC. « A Goma, où 600 000 à 1 million de personnes sont déplacées, la situation est terrible, avec un accès à l’eau très compliqué et un très haut niveau de violences sexuelles, raconte-t-elle. Autant de difficultés pour stopper la transmission de la maladie. » La létalité réelle de ce nouveau clade est encore difficile à établir avec certitude.

La prise en charge des malades consiste essentiellement à gérer les symptômes. « C’est une maladie éruptive qui peut mener à des surinfections des pustules », explique Rodrigue Alitanou, directeur des opérations de l’ONG Alima. Des antibiotiques classiques sont alors nécessaires, mais, dans certaines régions éloignées des structures de santé, l’accès à ces soins de base est parfois difficile. « Il faut aussi traiter la douleur et les nombreux cas de déshydratation et de malnutrition qui aggravent l’état des malades », explique l’humanitaire. Le principal antiviral, le tecovirimat, est encore en cours d’étude clinique, et son utilisation est limitée aux cas compassionnels. « Avec le niveau de l’épidémie aujourd’hui, il est nécessaire de mobiliser les ressources pour mieux soigner les malades », plaide M. Alitanou.

Mise à jour le 16 août 2024 : après l’annonce d’un cas en Suède, porteur de ce nouveau clade jugé plus virulent.

Delphine Roucaute