Réforme retraites 2023

Alternative économique - OPINION Macron ne doit pas céder ? Mais bien sûr que si !

Février 2023, par Info santé sécu social

LE 15/02/2023

Il fallait lire Le Figaro de ce lundi pour comprendre que le conflit sur la réforme des retraites est passé dans une nouvelle phase, celle où il ne s’agit plus du fond, mais du symbole. « L’exécutif ne cède pas, malgré la mobilisation », clame la une du journal officiel de la droite française. Le choix des mots traduit bien le soulagement.

Non pas que Le Fig’ tienne le texte examiné à l’Assemblée pour vraiment important : la réforme est « modeste », veut croire son éditorial (on ne saura pas s’il en a parlé à des gens vraiment « modestes »), mais « riche d’une réelle force symbolique », cette force qui verrait le macronisme se transformer en un sarkozysme à peine retouché. Nicolas Sarkozy lui-même ne se présente-t-il pas dans Le Fig Mag’, en exemple, lui qui, président, n’a pas cédé en 2010, dans des circonstances analogues ?

Comme on sait déjà que la réforme est injuste et qu’elle n’apportera pas grand-chose non plus dans les caisses de la Sécurité sociale, l’enjeu se réduit donc à savoir si le président de la République « cédera » ou ne « cédera pas » face aux manifestations qui gonflent dans les rues des villes, à commencer par les sous-préfectures, et alors que l’opinion ne bouge plus : les deux tiers des Français et près d’un actif sur huit sont opposés au projet du gouvernement

Malgré ce désastre politique dans l’opinion, on voit fleurir les encouragements plus ou moins intéressés. Dans Les Echos, Raymond Soubie, inoxydable ex-conseiller social de Chirac, Barre et Sarkozy, l’affirme : « Le gouvernement ne peut pas céder sur l’âge, sinon il sera politiquement mort. Le président de la République s’est engagé sur cette réforme. » Et revoici l’antienne : le chef de l’Etat a été élu sur un programme, donc le programme doit s’appliquer comme la caravane doit passer quoi qu’en disent les chiens sur son passage.

A ce genre d’axiome qu’adorent les analystes politiques un peu paresseux, on préférera la réflexion de l’historien Pierre Rosanvallon dans Le un, qui nous rappelle que la « légitimité présidentielle n’est pas liée à un statut, mais à une pratique. Personne ne peut nier que le président dispose d’un statut légitime (…), mais sa légitimité en pratique, c’est la reconnaissance par l’opinion publique que son action va dans le sens de l’intérêt général. » A cette aune, la réforme des retraites est très loin du compte.

Néanmoins la vieille antienne du « pouvoir face à la rue » resurgit dès lors que le pouvoir est en difficulté. Le Point continue d’user la corde sensible chez les tenants de l’ordre à tout prix. Si le mot « pouvoir », magnifie le gouvernement, « la rue » est évidemment un terme péjoratif : populairement, « quand on est à la rue », c’est qu’on n’est pas loin de la fin, et surtout « la rue », en politique, est un euphémisme de « populace ». Lorsque le peuple parle, les élites constatent qu’il est dans la rue, mais quand elles imposent leur point de vue, on dit que c’est « l’opinion publique ».

Rappelons ici que les manifestants dont on parle défilent dans les rues calmement, à l’appel d’organisations syndicales représentatives (5,4 millions de salariés ont voté aux dernières élections professionnelles), toutes unies dans leur opposition au report à 64 ans de l’âge légal de départ en retraite. Leurs dirigeants ont ouvert de fait un espace de négociation de près de trois semaines avant de vouloir mettre « le pays à l’arrêt » le 7 mars prochain. Céder à ces manifestants-là serait-il honteux de la part d’un gouvernement qui céda près de 15 milliards d’euros au mouvement des gilets jaunes quelques jours seulement après que des émeutiers, dont une bonne dose d’extrême droite, eurent saccagé l’Arc de triomphe à Paris ?

Pas de honte à reculer
En vertu de la Constitution de la Ve République, le « pouvoir » a toutes les cartes en main. De même qu’il a circonscrit la procédure parlementaire à cinquante jours maximum, il peut suspendre le débat parlementaire (le plus tôt sera le mieux), et le faire reprendre plus tard, par exemple après celui déjà annoncé de la future loi travail, qui traitera enfin de l’emploi des seniors. Une porte de sortie honorable pour tout le monde, compromis déjà évoqué ici.

Contrairement aux affirmations péremptoires, il n’y a pas de honte à reculer pour réenclencher le dialogue social. Le président de la République ne se retrouvera pas privé de ses pouvoirs comme Superman en présence de la kryptonite. Le lendemain, les institutions sont encore en place, les entreprises travaillent, le soleil se lève le matin et se couche le soir.

Dans le passé, des hommes d’Etat ont décidé de reculer face à des mouvements d’opinion massifs encadrés par des organisations « institutionnelles », et leur stature s’en trouva confortée. Georges Pompidou en 1968 fit libérer les étudiants emprisonnés, rouvrit les universités, convoqua les syndicats et le patronat rue de Grenelle pour faire cesser la grève générale. François Mitterrand, en 1983, retira le projet d’un grand service public de l’enseignement contesté par les supporters de l’enseignement privé, encadré par l’enseignement catholique.

En 2006, Jacques Chirac fit de même avec le CPE, le contrat première embauche auquel tenait tant le désastreux Premier ministre Dominique de Villepin et pourtant adopté par le Parlement. Sans doute considéraient-ils que leur fonction première était de sauvegarder l’unité du corps social.

Pompidou emporta haut la main les élections législatives de 1968 puis la présidentielle de 1969, Mitterrand fut réélu en 2008, et Nicolas Sarkozy fut élu en 2007 quand Chirac ne pouvait plus se présenter.

Quand les réformes impopulaires passent quand même, le pays demeure et se venge, soit par la violence – ce n’est pas encore le plus probable cette année – et surtout dans les urnes. Edouard Balladur, auteur de la réforme des retraites de 1993, fut balayé en 1995 par Jacques Chirac au nom de la « fracture sociale », sans avoir rien compris au film.

Le même Nicolas Sarkozy, qui se vante tant d’avoir tenu la dragée haute aux syndicats, fut sèchement renvoyé en 2012. Il n’y a sans doute que lui qui ne fait pas le lien… Et si Emmanuel Macron peut s’en ficher de savoir qui lui succédera en 2027, puisqu’il ne pourra pas briguer un troisième mandat, pas nous !