Réforme retraites 2023

Basta - La retraite à 64 ans comme nos voisins ? Les vrais chiffres derrière les arguments du gouvernement

Mars 2023, par Info santé sécu social

RÉFORME DES RETRAITES 9 mars 2023 par Rachel Knaebel

Il faudrait relever l’âge légal de départ à la retraite car les autres pays d’Europe l’ont déjà fait, défend le gouvernement. Entre âge légal et âge de départ sans décote, entre chômage et pauvreté, la réalité est plus compliquée.

Les gouvernements français aiment comparer la France à l’étranger quand il s’agit d’affaiblir les protections sociales. Emmanuel Macron l’a encore fait fin janvier lors d’une conférence de presse, en défendant que « la réforme des retraites est indispensable quand on se compare en Europe ». Il oublie alors de préciser que les systèmes de retraites sont différents partout. La comparaison avec les voisins est donc souvent périlleuse.

Déjà, l’ « âge » de la retraite renvoie à plusieurs choses. Il y a l’âge à partir duquel il est possible de faire valoir ses droits à la retraite ; l’âge auquel on peut percevoir une pension à taux plein ; et l’âge de la retraite sans décote, quelle que soit la durée de cotisation. Comparée à nos voisins européens, la France a certes un âge légal de départ plutôt bas, mais un âge sans décote en revanche élevé.

L’âge à taux plein de 62 ans : parmi les plus bas en Europe
Le projet du gouvernement Borne est d’élever l’âge à partir duquel on peut recevoir une retraite à taux plein à 64 ans, contre 62 aujourd’hui. Sur cet âge, la France est aujourd’hui dans le groupe « bas » des pays européens [1]. C’est aussi 62 ans en Suède et en Grèce (avec 40 années de cotisation). C’est 64 et bientôt 65 ans en Finlande, 65 ans pour les hommes et 60 pour les femmes en Autriche, 65 et bientôt 66 ans en Belgique, 66 ans en Irlande, au Portugal, au Royaume-Uni, 66 et bientôt 67 ans aux Pays-Bas et en Allemagne, 67 ans au Danemark et en Italie - d’après les données du Conseil d’orientation des retraites (COR).

Il existe cependant des possibilités de départ avant ces âges. En Allemagne par exemple, on peut partir avec une décote à partir de 63 ans à compter d’une durée de cotisation de 35 ans. Ou partir à 63 ans sans décote si on a cotisé 45 ans. Plus de la moitié des nouveaux retraités allemands sont ainsi partis en retraite avant 65 ans en 2021, donc avant l’âge légal [2].

L’âge sans décote à 67 ans : parmi les plus élevés en Europe
Si on compare l’âge de départ sans décote, quelle que soit la durée de cotisation, la France figure, avec la règle des 67 ans, parmi les âges les plus élevés. En Espagne, c’est 65 ans si l’assuré justifie de plus de 37 ans de cotisation, et 66 ans pour une durée cotisée inférieure. Et ce principe d’âge de départ sans décote n’existe pas partout. Il n’existe pas en Allemagne par exemple.

« En France, on a un âge légal et puis on a un âge sans décote, de 67 ans. Par rapport aux pays européens, c’est plutôt cet âge-là, de la retraite sans décote, qu’on pourrait comparer », expliquait dans basta ! l’économiste Michael Zemmour. Il semble donc plus juste de comparer l’âge de départ légal allemand, 66 et bientôt 67 ans, avec l’âge de départ français sans décote, qui est donc au même niveau avant même la nouvelle réforme.

Taux de remplacement du salaire : plus que l’Allemagne, moins que l’Italie
En France, le taux de remplacement net – la part du salaire qui sera versée en pension – pour une carrière complète est de 74 %. Si la France n’est pas mal lotie, ce taux de remplacement est supérieur aux Pays-Bas, en Espagne et en Italie (autour de 80 %). En Allemagne, ce taux est bien plus bas, à 50 % seulement [3].

L’emploi des plus de 55 ans : la France mal classée

La Suède a le plus haut taux d’emploi pour les 55-64 ans dans l’Union européenne, les trois-quarts des séniors y ont un emploi. C’est 72 % au Danemark et presque autant en Allemagne et aux Pays-Bas. L’âge de départ légal en retraite et le taux d’emploi ne sont pas forcément corrélés. En Italie, avec un âge légal de départ à 67 ans, le taux d’emploi des 55-64 ans est de seulement 63 %. En France, c’est encore moins : 57 %.

En France, garder ou avoir un emploi au-delà de 60 ans semble compliqué. Si les trois-quarts des 55-59 ans ont encore un emploi, ils sont seulement 38 % pour les 60-64 ans, selon les derniers chiffres de l’Unédic, l’organisme qui gère l’assurance chômage [4]. En Suède, plus de 80 % des 55-59 ans et environ 70 % des 60-64 ans ont un emploi. En revanche, en Allemagne ; même avec un âge légal de départ en retraite de 66 ans, seulement un peu plus de 60 % des 60-64 ans sont en emploi. En Italie, bien moins de la moitié des 60-64 ans ont un emploi alors que l’âge légal de départ en retraite est à 67 ans.

Ces chiffres montrent qu’un recul de l’âge de départ ne fait pas augmenter automatiquement le niveau d’emploi de la classe d’âge concernée. Le dernier report de l’âge légal en France, de 60 à 62 ans, a même fait augmenter le chômage des séniors, confirme l’Unédic. Cette dernière réforme des retraites a entraîné une hausse de 100 000 allocataires de l’assurance chômage de plus de 60 ans depuis 2010.

Pauvreté : encore parmi les moins touchés d’Europe
Un retraité a beaucoup moins de risques d’être pauvre en France, où on peut pour l’instant toucher une retraite sans décote à partir de 62 ans, contrairement à l’Allemagne ou l’Irlande, où c’est 66 ans. Dans l’Hexagone, 10 % des retraités vivent avec un revenu sous le seuil de pauvreté, contre 19 % en Allemagne et 20 % en Irlande [5].

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La part des retraités pauvres est aussi plus élevée ailleurs 18 % au Portugal, 16 % en Belgique, 13 % en Espagne, Italie et Suède. Parmi 11 pays de l’OCDE (un groupe de pays à haut niveau de vie, en Europe et en dehors) que le COR a étudiés « le taux de pauvreté des séniors, après impôts et transferts, était le plus élevé aux États-Unis et le plus faible aux Pays-Bas et en France ».

Avec un reportage de l’âge légal de départ, le risque est de voir davantage de retraités partir avant 64 ans avec une plus forte décote, et plus de personnes se retrouver au chômage après 60 ans. Deux facteurs qui risquent fort d’appauvrir les futurs séniors.

Rachel Knaebel

Notes
[1] Voir les données du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale ainsi que le rapport « Panorama des systèmes de retraite en France et à l’étranger » du Conseil d’orientation des retraites.

[2] Voir cette étude de l’institut allemand Travail et qualification IAQ.

[3] Ces chiffres sont tirés de l’étude mentionnée du Conseil d’orientation des retraites.

[4] Dans une étude publiée le 1er mars dernier.

[5] Voir les chiffres sur cette étude de Statista.