Russie

Blog de Médiapart - Décès du covid-19 : Moscou publie les vrais chiffres ?

Juin 2020, par Info santé sécu social

1 JUIN 2020 PAR DANIEL AC MATHIEU BLOG : LA RUSSIE DU SOCIAL : LE BLOG DE DANIEL MATHIEU

Des règles de codification des décès plus respecteuses des recommandations de l’OMS, la mairie de Moscou qui veut se disculper de l’accusation de donner des chiffres faux, on commence à avoir des éléments plus précis sur les décès liées au covid-19 en Russie.

Je reviens sur le nombre de décès attribués au covid-19 à Moscou pour le mois d’avril d’avril dernier. J’avais déjà abordé dans ce billet la polémique qui avait fait suite à des articles dans la presse anglo-saxonne indiquant que ces chiffres étaient sous-estimés.

Tout en continuant à soutenir que les chiffres officiels étaient exacts, le ministère fédéral de la santé a publié de nouvelles recommandations pour la codification des décès des personnes ayant contracté le covid-19, Conformément aux principes retenus par l’Organisation mondiale de la santé, il demande de retenir comme cause du décès le covid-19, même s’il est stricto sensu imputable à une autre pathologie, dès lors qu’il peut être considéré que celle-ci a été exacerbée par l’infection au SARS-CoV-2.

Moscou, qui a plus de 12 millions d’habitants, est la ville la plus touchée par l’épidémie en Russie (au 1er juin, 183 088 cas de covid-19 confirmés, 82 239 personnes rétablies, et 2553 décès. Le nombre des cas confirmés et de personnes guéries est comparable à celui de la France entière, le nombre de morts 10 fois inférieur (respectivement 151 753, 68 355 et 28 803 pour la France).

Le ministère de la santé de la ville a non seulement prévu d’appliquer les nouvelles recommandations du ministère fédéral, mais a revu ses statistiques du mois d’avril, sur la base, notamment, d’une autopsie de l’ensemble des personnes décédées avec le covid-19 ou avec une suspicion de covid-19. L’étude apporte des chiffres qui semblent incontestables, c’est probablement son objectif, le risque politique à rester dans l’imprécision devenait grand.

Elle commence par une estimation du surcroit de mortalité : il y a eu, toutes causes confondues, 11 834 décès en avril 2020, pour 9 517 en 2017, 10 825 en 2018 et 9 900 en 2019. La moyenne de ces trois années est de 10 081, l’excès des décès par rapport à cette moyenne est de 1 753, à comparer aux 639 cas qui ont été imputés au covid-19.

Les résultats des autopsies ont permis d’ajouter à ces 639 cas, corrigés en 636 :

 129 patients pour lesquels le test du covid-19 avait été négatif, aussi bien de leur vivant qu’après leur décès, mais dont l’examen anatomopathologique montrait que le covid-19 était la cause évidente du décès.

 360 patients qui avaient eu un test positif au covid-19, mais dont le décès avait été imputé à une autre pathologie. Cette qualification a été revue sur le base des nouvelles recommandations fédérales, et il a été considéré que le covid-19 avait précipité le développement de cette maladie.

 396 patients également positifs au covid-19, mais dont il a été confirmé que le dècès avait pour cause une autre pathologie.

En prenant néanmoins en compte ce dernier groupe, on aboutit à 1525 décès ayant pour cause ou liés au covid-19. L’écart qui resterait à expliquer avec surcroit de mortalité par rapport à la moyenne des trois mois précédents est de 192 décès, ce qui ne semble pas aberrant.

Rapporté au nombre des cas confirmés de covid-19, avec toute la prudence qu’appelle cet indicateur, critiquable sur le plan méthodologique, le taux de mortalité du covid-19 passerait de 1,4 % (pour 636 décès) à 2,8 % (pour 1 125 décès, sans les 360 dont la cause serait une autre pathologie).

L’estimation faite dans un précédent billet que le nombre des décès en Russie dans les premières phases de l’épidémie devrait être corrigé d’un facteur de 2 à 3 est plutôt confirmée par ces chiffres, et même ainsi corrigé, le « taux de mortalité » du covid-19 reste inférieur en Russie à ce qui est constaté dans d’autres pays. La principale explication est qu’il y y a en proportion plus de cas connus, notamment asymptomatiques, en raison de la stratégie de tests massifs (10 923 108 tests PCR au niveau fédéral au 31 mai, 2 277 877 à Moscou au 27 mai).

Moscou rentre dans le rang et joue la vérité des chiffres, le ministère fédéral de la santé arrête les petites tricheries auxquelles il se laisse souvent aller, d’autres régions, moins touchées quantitativement que la capitale, devront également corriger leurs statistiques, parfois faussées de façon très grossière. Mais la vice-première ministre Tatiana Golikova, après avoir déclaré que les chiffres étaient justes, a demandé aux gouverneurs qu’ils le soient, le signal est donné.

Pour le mois de mai, le ministère de la santé de Moscou indique qu’il faut s’attendre à une augmentation du nombre des décès, dont il rendra compte « de façon ouverte » : le pic des contaminations est passé, celui des décès est encore à venir.