L’Anticapitaliste Hebdo du NPA

Hebdo l’Anticapitaliste (07/04/2016) Dossier : Loi El Khomri et santé. Le travail au risque de santé et de sa vie

Avril 2016, par Info santé sécu social

Le capitalisme n’a pas pour objectif la satisfaction des besoins humains, il n’agit que pour sa soif insatiable de profit. La mondialisation, la concurrence exacerbée impactent de plus en plus durement les salariéEs, leurs emplois, leurs conditions de travail, leur vie. Avec ou sans emploi, les victimes du capitalisme sont de plus en plus nombreuses à souffrir de dépréciations, discriminations, accidents, conditions de travail dégradées avec toutes les conséquences : pathologies diverses, suicides. Si la loi santé était votée, elle ne ferait qu’aggraver cette situation.

Médecin du travail pendant 35 ans Alain Carré, vice-président de l’association SMT1 et président d’un syndicat CGT de médecins du travail, analyse les conséquences de cette loi. Syndicaliste CGT au CHU de Toulouse, Marie-Pierre Lesur explique que les femmes sont victimes de la politique patronale à double titre. Nous les remercions d’avoir accepté de participer à ce dossier.

Dossier réalisé par la commission santé sécu social du NPA

Les effets de la loi travail... sur le travail

Le projet de loi travail a pour objectif de sécuriser l’exploitation de la force de travail en sélectionnant médicalement les travailleurs, et d’en finir avec le droit à la protection de la santé. Les répercussions sur la santé des salariéEs seront inévitables.

Un récent article scientifique montre que la survenue d’accidents vasculaires cérébraux et dans une moindre mesure d’infarctus est fortement corrélée au temps de travail hebdomadaire.

La question de la santé au travail et l’activité de ceux, les médecins du travail par exemple, qui constateraient les effets du travail, deviennent particulièrement stratégiques pour l’exploitation de la force de travail. Cela explique l’attention particulière portée à la médecine du travail par les lois Rebsamen et El Khomri, aspect complètement sous-estimé, et qui en est pourtant un enjeu principal. Cette dernière loi aura bien des conséquences...

Saper les bases du suivi individuel et de la visibilité des conséquences du travail sur la santé

Les visites périodiques seront réservées aux salariéEs en difficultés ou à risque, une majorité de salariéEs n’aura plus de surveillance périodique. Cela atteint la nature universelle et le principe de prévention primaire de la médecine du travail. Cette disposition ne permettra plus le repérage pour tous les salariéEs des altérations de la santé, qui précèdent en général les atteintes, afin de les prévenir. Cela a une très grande importance alors que l’organisation du travail malmène nombre de salariéEs, ce qui impliquerait au contraire une surveillance individuelle plus étroite du médecin du travail pour lui permettre également, par la répétition des visites périodiques, de construire une compréhension de ce qui se joue pour les autres salariéEs de l’entreprise et d’alerter collectivement. Cette disposition mettra en péril l’exercice même de la médecine du travail en empêchant un diagnostic pertinent et une action collective de prévention.

Basculer d’une médecine de prévention du point de vue exclusif de la santé du travailleur vers une médecine de sélection de la main-d’œuvre

Il y a au moins deux raisons pratiques pour un employeur de mettre en place une sélection médicale de la main-d’œuvre : à proximité de l’embauche, dans une logique assurantielle de dépistage des vulnérabilités statistiquement pénalisantes  ; au cours de l’emploi, pour repérer les salariéEs moins employables et les mettre à l’écart pour pouvoir les remplacer par des salariéEs plus rentables...

La seule justification légale à la discrimination est une décision médicale, d’où l’urgence de mettre en place une médecine de sélection de la main-d’œuvre. En réservant l’activité médicale du médecin du travail aux salariéEs « à risque » personnel ou professionnel, cela initie la dérive du métier de médecin du travail d’un exercice exclusif de prévention vers une sélection médicale de « l’employabilité » du salariéE. Une dérive accentuée par d’autres dispositions du projet de loi (inaptitude en cas de « risque grave » pour la santé, prévention du « risque d’atteinte à la sécurité des tiers », injonction faite au médecin du travail de donner des indications sur la capacité du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise).

Les définitions de ce qu’est un « poste à risque » s’entrecroisent et créent une confusion entre ce qui est un risque professionnel, un risque individuel lié à l’âge ou à l’état de santé, un risque personnel induit par le travail, un risque pour le salarié, pour les tiers. Il peut s’agir aussi d’un risque grave pour la santé du salariéE justifiant sa mise à l’écart de l’entreprise.

Ce qui compte ici pour les employeurs est de mettre en avant la notion de « salarié à risque » et de faire oublier la notion de « poste à risque », au moins dans les esprits, pour faire croire que le salariéE serait le « maillon faible » de la prévention, alors qu’en droit, il ne devrait pas exister de poste à risque.

C’est la subtilité perverse du projet que d’enfermer le médecin du travail, étouffé par des tâches étrangères à sa mission, dans une injonction paradoxale : doit-il laisser le salariéE au poste, alors que la prévention est impossible et lui faire courir le risque d’une atteinte physique ou psychique, ou le mettre à l’écart de l’entreprise « pour son bien », au prix de sa santé sociale ?

C’est là qu’intervient la possibilité d’un avis du médecin du travail « que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise ». Dès lors que le médecin prononcera la formule magique, le projet prévoit que l’employeur est délié de son obligation de reclassement et peut licencier le salarié pour « motif personnel ».

Rendre difficile pour le salariéE la contestation de l’avis médical

Aujourd’hui le salariéE peut contester une décision du médecin du travail devant l’inspecteur du travail, demain il lui faudra aller aux prud’hommes. L’une des dispositions du projet concerne les modalités pour tout salariéE de contester les propositions du médecin du travail jusqu’alors confiées à l’inspecteur du travail éclairé par l’expertise du médecin du travail. Cela marquait l’engagement de la puissance publique que le droit du salariéE relevait de sa compétence en matière de santé au travail. Dans le projet, la puissance publique se décharge de son devoir sur le tribunal des prud’hommes et d’un médecin expert des tribunaux. La question d’ordre public social est ici gommée et transformée en une question d’ordre contractuel privé. Cela signe l’abandon par l’État de son obligation de protection de la santé des salariéEs.

Alain Carré

Déjà tant de souffrance au travail...

Le patronat et les gouvernements veulent rendre invisibles les dégâts psychiques et physiques créés par le travail, alors que la santé au travail devrait être un élément essentiel de la santé publique. Ils ne veulent pas s’attaquer aux multiples causes de la souffrance au travail...

L’organisation du travail

Les salariéEs aspirent à accomplir du « bon travail », mais l’organisation capitaliste et ses contraintes de rentabilité s’y opposent. Ils essaient de contourner le travail qu’il sont censés faire conformément aux exigences de l’employeur pour travailler autrement. Ce décalage entre le travail prescrit et le travail réel, et la volonté de ne pas faire n’importe quoi à n’importe quel prix, est la source de troubles, notamment d’une souffrance dite éthique (parce que en contradiction avec ses propres valeurs). Ainsi, la baisse des moyens ou les modifications de protocoles de sécurité à la SNCF sont insupportables pour des cheminotEs ayant pleine conscience des conséquences possibles, comme à Brétigny-sur-Orge.

Le Lean management, méthode de gestion de la production issue de Toyota, appliquée dans l’industrie puis dans le tertiaire, prétend alléger la production « au plus juste » sans tâches inutiles. Pour plus de productivité, il ne doit plus y avoir de discussion entre collègues, de temps de repos, mais le travail doit s’intensifier avec l’accélération des tâches manuelles ou mentales, malgré l’accroissement de la souffrance psychique et physique. Et vice suprême, les employeurs font en sorte que sous couvert « d’autogestion » du travail, les équipes se culpabilisent elles-mêmes !

La gestion par le stress « permet d’améliorer les capacités d’adaptation aux situations agressives », cela pour les employeurs qui refusent généralement de reconnaître leurs responsabilités dans la souffrance du salariéE mais l’imputent à sa fragilité, à son inadaptation. Le ressenti physique et psychique de l’exploitation est maximale avec les managements agressifs et pathogènes, le burn-out (épuisement professionnel) peut conduire à la mort, au suicide.

Les expositions toxiques

Les pesticides dans l’agriculture, les produits chimiques dans l’industrie, sont dangereux pour les travailleurs et aussi la population. Ils rendent malades et tuent, comme à Seveso, à AZF. Le scandale sanitaire de l’amiante perdure, le désamiantage traîne sournoisement des pieds et n’est toujours pas réalisé dans de nombreux bâtiments, les travailleurEs chargés de cette tâche sont mal protégés, la mortalité va encore augmenter. Selon l’Association nationale des victimes de l’amiante (Andeva), 3 000 personnes meurent chaque année du fait de leur exposition à cette substance, le Haut conseil de la santé publique prévoit jusqu’à 100 000 décès d’ici 2025. L’usage de l’amiante est seulement interdit en France depuis 1997, alors que des études publiées depuis le début du 20e siècle montraient déjà son danger !

Les conditions de travail

En 2014, 629 789 accidents, dont 539 mortels, et 5 163 maladies professionnelles (Source : CNAMTS) ont été déclarés à la Sécu. Matériel inapproprié, formation inexistante ou insuffisante, manque d’entretien des machines, exigence de plus de productivité et donc fatigue due à l’intensité du travail, à sa monotonie, à la dureté de la tâche, au manque de périodes de repos sont souvent à l’origine de ces accidents du travail.

Entre 11 000 et 23 000 cancers par an (Source : INRS) sont liés aux expositions professionnelles... alors que seulement 2 000 sont pris en charge en maladie professionnelle. Il en est de même avec la surdité, les lombalgies et les troubles musculo-squelettiques (TMS) qui représentent 87 % des maladies professionnelles.

S. Bernard et J. Giron

... Et plus particulièrement pour les femmes

Les conditions de travail s’aggravent, les avantages acquis sont grignotés quasi quotidiennement, le patronat veut briser toute possibilité de riposte collective, le rapport de force entre le capital et le travail se détériore, les salariéEs deviennent des variables d’ajustement... Dans ce contexte, le rapport entre oppression des femmes et exploitation de la force de travail, le rôle de l’oppression de genre à l’intérieur des rapports capitalistes de production sont les thèmes qui nous amènent à exiger un autre regard sur le travail, en posant la question de la « santé des femmes au travail ».

Les lois et règlements concernant les femmes au travail (congés maternité par exemple) ont eu un rôle protecteur de la mère et de l’épouse. Elles évoluent vers des impératifs économiques avec les lois Rebsamen et le projet El Khomri. Depuis plus de 40 ans, les femmes ont beau avoir largement investi le monde du travail avec un taux d’activité en constante progression, avoir rattrapé le niveau d’éducation des hommes, s’être immiscées dans des métiers qui sont traditionnellement réservés aux hommes, elles restent trop souvent les laissées pour compte du monde du travail. Les politiques en matière de santé et sécurité n’abordent généralement pas la dimension de genre. Le fait de ne pas prendre en compte cette problématique n’a pas permis une politique efficace de santé au travail et d’égalité des chances.

L’emploi d’une force féminine de travail joue un rôle essentiel pour le capital : déqualification dans certains secteurs, abaissement du coût de la force de travail, introduction de la précarité et d’aggravation des conditions de travail.

Une spirale sociale descendante qui agresse particulièrement les femmes

Le capitalisme s’appuie sur la division entre travail reproductif et productif et sur la division sexuelle du travail : la contribution des femmes à la satisfaction des besoins collectifs (reproduction des êtres humains, travail domestique, éducation des enfants et soins aux malades et personnes dépendantes) reste délibérément ignorée. Pourtant ce travail gratuit et imperceptible est indispensable au fonctionnement de l’économie qui évacue ainsi les coûts de reproduction et d’entretien de la force de travail. La mécanisation a permis de rendre le travail moins pénible et donc de remplacer la main-d’œuvre masculine dotée d’un savoir-faire à l’époque par une main-d’œuvre féminine non qualifiée et donc moins onéreuse. C’est le début de la division du travail entre les sexes : dévalorisation des métiers, diminution des salaires, parcellisation de la classe ouvrière. Et la précarisation de l’organisation du travail (légitimée économiquement par la « nécessaire compétitivité »...) rend volontairement invisibles les maladies professionnelles et entraîne un nivellement par le bas des conditions de réalisation du travail et des modes de rémunération.

Risques au travail (TMS, exposition à des agents chimiques), violence au travail (physique, verbale, harcèlement psychologique et/ou sexuel), violence par le travail (surcharge de travail, cadences infernales, manque de formation, etc.)Tous ces risques, ajoutés aux contraintes familiales, ont pour conséquence le ressenti d’un déséquilibre entre ce qui est exigé d’une personne et les ressources dont elle dispose pour répondre à ces exigences : le stress, l’isolement, l’épuisement professionnel, la culpabilité de ne plus pouvoir bien faire son métier, jusqu’au burn-out !

Double peine et résistance

Le travail, lui-même devenu malade, peut rendre malade et même tuer. C’est le fait du « capitalisme assassin », système qui produit malheur, misère et pauvreté pour une partie croissante de la population alors que certains ne cessent, dans le même temps, de s’enrichir. Et les femmes, personnes toujours actives et actrices de leur propre devenir, souffrent parce qu’elles veulent donner « forme humaine » à leur travail.

Mais l’histoire montre qu’elles résistent, aujourd’hui encore contre la loi travail. C’est la double peine avec la logique d’inversion de la hiérarchie des normes permettant le chantage à l’emploi et la baisse des droits, et alors qu’il n’y a aucune mesure pour le respect effectif de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, avec l’augmentation du temps de travail et la flexibilité, avec la durée des congés légaux renvoyée à la négociation (congé de solidarité familiale, de proche aidant), avec la réforme de la médecine du travail.

Contre la loi El Khomri, nous luttons, nous résistons et nous ne lâchons rien !

Marie-Pierre Lesur

Des États généraux pour ne pas perdre sa vie à la gagner

Les 16 et 17 mars dernier à Paris, les États généraux de la santé des travailleurs et des travailleuses ont réuni 500 participantEs.

Ces deux journées de réflexion et de débat ont été organisées par un collectif lancé en janvier 2015, regroupant des militantEs et structures de la CGT, de Solidaires, des syndicats de médecins du travail, d’avocatEs, de magistratEs, d’inspecteurEs du travail, des associations et individus, chercheurEs, professionnelEs de la santé au travail... Ce croisement des points de vue, des pratiques, des expériences, des expertises, constitue sans aucun doute le point fort de cette initiative qui a permis à la fois de décrypter la loi travail du point de vue de la santé et de travailler sur les questions de fond.

Cinq plénières, une conférence gesticulée et quatre séances de travail en ateliers ont alterné. L’organisation des ateliers en cinq filières qui se sont poursuivies sur les quatre demi-journées (CHSCT, IRP et équipes syndicales ; organisation du travail et management ; accidents du travail et maladies professionnelles ; discriminations et santé ; précarité et santé) ont permis d’approfondir la réflexion au sein de groupes relativement stables.

« Un dépassement du rapport salarial »

Cette première étape est une invitation à continuer le travail, ce qui permettrait la construction d’une force partageant les mêmes exigences, et aux personnes concernées de s’en emparer afin de les imposer au patronat et au gouvernement.

La stimulante introduction de Thomas Coutrot interpelle bien au-delà des participantEs : « les défaites subies par le salariat depuis trente ans et l’ampleur inédite de la dégradation de la santé au travail nous obligent sans doute à réfléchir à de nouvelles stratégies fondées non sur la préservation ou l’approfondissement des institutions du salariat mais sur un dépassement du rapport salarial en tant que rapport de subordination », car comme il le dit aussi : « c’est très largement par et dans le travail que la possibilité même d’une vie humaine décente sera préservée ou finira par être détruite »...

Christine Poupin

Pour lutter contre la dégradation de la santé au travail, les propositions du NPA

•Retrait du projet El Khomri

Passé la porte de l’entreprise, le salariéE n’est plus un citoyen, le lien juridique de subordination à son employeur rogne la liberté, l’égalité. Cependant, le code du travail a limité le pouvoir absolu de l’employeur avec des obligations sur les conditions de travail, l’hygiène, la sécurité, la santé. Ces acquis seront supprimés avec la loi travail, il faut donc imposer son retrait !

• Un service public de santé au travail indépendant

La médecine du travail doit devenir un service public, avec des garanties qui permettront de rompre tous les liens de dépendance avec les employeurs, notamment salariale. Toutes les dispositions qui ont réduit les activités et prérogatives des médecins du travail doivent être annulées. Tous les moyens concernant la santé au travail doivent être renforcés (effectifs des médecins, infirmierEs, pouvoir d’investigation dans les entreprises…).

• Droit de veto du CHS-CT, des DP, du CE

Les membres du CHS-CT et les délégués du personnels (DP) doivent alerter l’employeur en cas d’atteinte à la santé physique ou mentale des travailleurs. En situation de danger grave et imminent pour sa santé, le salariéE dispose des droits d’alerte et de retrait. Les restructurations d’entreprises, les suppressions d’emploi affectent la santé. Le comité d’entreprise, ou à défaut les DP, disposent aussi d’un droit d’alerte. Toutes ces dispositions doivent être pleinement utilisées en informant les salariéEs et en s’appuyant dans toute la mesure du possible sur leur mobilisation. Mais ces droits sont totalement insuffisants face aux pouvoirs exorbitants des patrons. C’est pourquoi les institutions représentatives du personnel doivent disposer du veto sur toutes les décisions des patrons qui impactent les salariéEs, en particulier leur santé.

S.B.