Luttes et mobilisations

L’Humanité - Les blouses blanches à République

Avril 2016, par Info santé sécu social

Les professionnels de santé de l’AP-HP, mobilisés contre l’austérité imposée à l’hôpital public, s’investissent dans Nuit debout.

Course effrénée à la marchandisation, technocratie, déconsidération de l’humain...L’hôpital suit lui aussi le chemin de société dénoncé tous les soirs à Nuit debout. La commission santé est née il y a six jours. Professionnels de santé en blouses blanches, patients, usagers et citoyens s’y retrouvent, devant un chapiteau et l’affiche « Hôpital debout » pour comparer leurs expériences, et inventer un nouveau système de santé. « Nuit debout est fait pour ça. On vient pour libérer la parole et pour faire bouger les lignes car ce que l’on veut nous imposer est insupportable », s’indigne Béatrice, aide-soignante à l’hôpital Saint-Louis.

Au micro, des situations ubuesques et pourtant vécues au quotidien par les personnels sont échangées : « Désolé, ce médicament est en rupture de stock », « désolé, l’examen est annulé car l’appareil est en panne », « désolé, nous sommes deux alors que nous devrions être six »… La femme d’un patient prend la parole : « Je vois à chaque fois que je viens des infirmiers courir toute la journée, souffrir de ne plus pouvoir s’occuper des malades comme il se doit, se parler de plus en plus mal et se désolidariser devant des problèmes insolubles que la direction renvoie sur les uns puis les autres. Et pourtant, vous mouillez la chemise, vous vous battez, vous tenez bon. Toute cette énergie, on doit pouvoir l’utiliser pour bâtir un hôpital au service de tous. »

« Réaffirmer que l’hôpital n’est ni une entreprise ni une usine »

« On n’est plus considéré comme un service d’importance régalienne alors que la santé est une nécessité publique. Nous devons réaffirmer que l’hôpital n’est ni une entreprise ni une usine, et que la santé n’a pas de prix. C’est un droit fondamental à garantir pour tous. L’accès aux soins doit être gratuit. Il faut aussi augmenter le salaire des soignants qui sont moins bien payés en France que dans les autres pays similaires », insiste Cathy, infirmière. Depuis peu, la commission s’est organisée autour de cinq thèmes, dont une refonte du financement de la protection sociale et la convergence des luttes hospitalières. « On se rencontre tous ici, tous corps de métiers hospitaliers et tous établissements parisiens confondus », explique Salvatore, technicien de laboratoire et membre d’un collectif de non syndiqués. « À l’AP-HP, beaucoup ne se reconnaissent pas dans la représentation syndicale existante. Beaucoup trouvent que les divisions et les étiquettes deviennent des freins à la construction et la revendication collectives. C’est pourquoi nous appelons à la convergence et au dialogue entre tous. Nuit debout nous offre l’occasion de porter ce message. » Des membres de SUD santé ont déjà rejoint la démarche, à l’image de leur secrétaire général à l’AP-HP, Jean-Marc Duvauchelle, venu prêter main-forte pour la logistique et écouter les débats en simple citoyen.

« On doit s’unir pour créer un rapport de force en notre faveur, mais aussi dialoguer avec l’ensemble de la société, ajoute Jérôme, endocrinologue. On a un travail énorme à faire pour casser le cliché du fonctionnaire privilégié et toujours en RTT. Ce n’est pas du tout ce que l’on vit au jour le jour au travail. » Kheira, infirmière depuis trente-six ans, témoigne d’une dégradation qui ne cesse de s’accélérer. « On a commencé par nous dire d’arrêter de soigner du mieux possible. Puis on nous y a contraints. Maintenant, on ne parle même plus de soins, mais de coûts et d’activité. Le pognon a pris tellement de place qu’on en vient à avoir des pratiques contraires à ce qui fait l’essence même de notre métier. Même quand on lance des alertes parce que l’on passe sous le seuil de sécurité, la direction s’en fout ! » s’alarme-t-elle.

« On est de moins en moins nombreux. On nous refuse du matériel indispensable. On passe notre temps à gérer l’urgence avec tous les risques que cela implique. La relation humaine avec le patient se dégrade. Entre nous, on ne s’entend plus. On se crispe et plus personne ne veut s’arranger, poursuit Angèle, agente hospitalière. Et puis l’AP-HP abuse de notre sens professionnel, de notre attachement au service public et aux patients pour nous flexibiliser toujours plus. » Lors du dialogue, les intervenants évoquent la souffrance éthique qui s’installe dans les services, l’impact de la flexibilité sur la vie sociale, le fait de rentrer chez soi triste, et de repartir le lendemain matin la boule au ventre. « Les gouvernements successifs, l’ancienne ministre de la Santé Roselyne Bachelot comme l’actuelle Marisol Touraine veulent casser notre modèle de société, casser les services publics et rendre la santé uniquement accessible aux plus riches. La méthode pour y parvenir est de laisser les plus riches se goinfrer pour créer une dette artificielle, utilisée ensuite comme argument contre nous. Mais cette dette est illégitime, nous devons tous la dénoncer ! » reprend Kheira. « L’hôpital public est déjà infiltré par le privé, avec des sous-traitances en cascade, des consultations privées réalisées au sein même d’établissements publics, une recherche qui utilise nos équipes à travers des protocoles et une industrie pharmaceutique qui se sucre sur les cotisations sociales », résume Salvatore.

Se pose alors, comme souvent à Hôpital debout, la question de la grève générale. « C’est très compliqué dans notre profession. On redoute toujours l’impact sur les patients. C’est pourquoi il faut qu’on se rencontre à Nuit debout, pour installer un rapport de forces global, dans tous les pans de la société. On doit arrêter de se battre chacun de notre côté », argumente Béatrice.