Luttes et mobilisations

Libération - « Grève sanitaire » : pourquoi les enseignants se mobilisent mardi

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Par Marie Piquemal — 9 novembre 2020

Lors d’une manifestation à Bobigny en octobre 2019. Photo Thomas Samson. AFP
Un appel à la mobilisation a été lancé, pour réclamer notamment dans les collèges la possibilité d’enseigner devant des moitiés de classe. Ce qui veut dire en pratique moitié moins de cours pour les élèves.


« Grève sanitaire » : pourquoi les enseignants se mobilisent ce mardi

Un appel à « une grève sanitaire » est lancé mardi dans l’Education nationale, de la maternelle au lycée, par une intersyndicale large (Snuipp, Snes, Snalc, Cgt, Sud). Difficile de savoir si la mobilisation sera forte ou pas pour le moment. Mais un élément ressort de façon claire du terrain : cette rancœur de plus en plus palpable que partagent beaucoup d’enseignants, usés du décalage entre le discours du ministre Blanquer et la réalité vécue tous les jours dans leur salle de classe.

Le « protocole sanitaire renforcé » en est la dernière illustration : dans les faits, répètent-ils en boucle, il ne change rien. Impossible d’espacer les élèves quand matériellement il n’y a pas la place. Et comment continuer de dire aux familles que les locaux sont désinfectés régulièrement quand, eux, voient les agents territoriaux, chargés du nettoyage, travailler sans renfort ? Depuis une semaine, des profs se lâchent sur les réseaux sociaux, avec (ou pas du tout d’) ironie, à coup de #Balancetonprotocole. Une partie d’entre eux s’inquiètent aussi pour leur santé. D’où cet appel à la grève lancé par les syndicats pour transformer ces mobilisations locales et spontanées en mouvement national.

Chose qui aurait été impensable pour beaucoup d’enseignants, il y a encore quelques mois, une partie des profs feront grève mardi pour exiger d’enseigner devant des moitiés de classe… Ce qui veut donc dire pour leurs élèves moitié moins d’heures de cours. Le ministre a ouvert cette possibilité pour les lycées. Les professeurs de collège réclament de pouvoir faire pareil. Avec toutes les questions que cela pose.

En quoi consiste cette idée de 50% en présentiel ?

L’idée est de réduire le nombre d’élèves présents dans l’établissement, pour limiter les brassages et donc les risques de contamination. Cette « solution » a été expérimentée au printemps dernier lors de la réouverture chaotique des écoles et collèges : les élèves avaient cours, par petit groupe, la moitié de la semaine. Et à la maison, le reste du temps. Ce « 50% » a même été formalisé dans un document officiel mis en ligne fin août par le ministère, comme l’un des scénarios possibles si l’épidémie devenait trop galopante. Du coup, interrogation généralisée dans les salles de profs – qui s’est muée par endroits en mobilisation – au retour des vacances d’automne : pourquoi ne pas enclencher ce plan B vu la montée en flèche des contaminations ?

Pressé par la base, le ministre de l’Education a lâché un peu de lest la semaine dernière pour les lycées. Ceux qui le souhaitent (donc rien d’automatique) peuvent modifier l’emploi du temps, à condition de garantir aux élèves au moins 50% des cours en présentiel. Ce qui, sur le terrain, se traduit de façon très variée, sans pour l’instant avoir une vue d’ensemble : certains s’organisent en demi-journée, une moitié de classe vient le matin, l’autre l’après-midi. D’autres lycées misent sur le un jour sur deux, en intervertissant les jours d’une semaine sur l’autre. D’autres font des choix encore différents, comme alterner les niveaux : les premières viennent tel et tel jour, les terminales tels autres. Les classes restent à effectif entier, mais cela évite les attroupements dans les couloirs, dans la cour ou à la cantine.

Mais quelle que soit l’option retenue : les élèves se retrouvent avec moitié moins de cours. Certes, les professeurs leur donneront sûrement davantage de travail à faire à la maison, mais cela ne sera pas des cours en tant que tels.

Est-ce une bonne idée ?

Disons plutôt, et c’est ainsi que les professeurs le formulent : « C’est mieux que de fermer complètement dans quinze jours. » Beaucoup de profs ont une trouille bleue d’un retour à la situation de mars : les établissements fermés, se retrouver assignés derrière leur écran, à essayer vaille que vaille d’enseigner à distance. Même les enseignants les plus volontaires et acharnés confient avoir « perdu » des élèves en cours de route. Et angoissent à l’idée que la situation puisse se reproduire.

« Avec les demi-groupes, au moins cela permet de les voir un jour sur deux et donc de garder le lien avec eux, confiait Clara, enseignante en français à Grigny (Essonne). Et puis, cela résout les inégalités d’accès au numérique : il suffit de distribuer des documents, de devoirs à faire pour les jours où ils restent à la maison. Et puis, en demi-groupe, on est plus efficace. » Certes. Mais cela réduit tout de même de moitié le temps de classe pour les élèves… Surtout, la liberté laissée aux établissements, d’opter ou pas pour le 50%, risque d’aggraver les inégalités entre les élèves : entre ceux qui vont continuer à temps plein et les autres. Les grands lycées, qui préparent leurs élèves pour des classes prépa prestigieuses, vont-ils proposer du 50/50 ? Et les établissements privés, quand on connaît la pression des parents pour la réussite scolaire de leurs enfants ? D’autant que les programmes scolaires, et donc les exigences notamment pour les épreuves du bac, restent théoriquement les mêmes.

Ne faut-il pas alléger les programmes scolaires ?
Mieux vaut formuler la question à l’imparfait : n’aurait-il pas fallu les alléger ? Une telle décision ne pouvait être prise qu’en début d’année scolaire, pour une raison simple : les professeurs sont libres d’aborder le programme dans l’ordre qu’ils souhaitent, en commençant par le dernier chapitre s’ils le veulent… Tout en maintenant les programmes, Jean-Michel Blanquer a indiqué que pour les épreuves de spécialité du bac, qui se tiennent en mars, les élèves auraient deux sujets au choix sur les « éléments prépondérants du programme ». Façon de permettre, sans le dire, de faire quelques impasses.

Marie Piquemal