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Libération - Les mandarins, au-dessus des lois de l’argent ?

Mars 2016, par Info santé sécu social

Par Eric Favereau — 17 mars 2016

Le professeur Michel Aubier minimise les effets de la pollution de véhicules diesel sur la santé. Il a juste oublié de signaler qu’il a des liens d’intérêt avec Total.

Il le dit, comme une évidence. « J’ai oublié de le signaler. » Dans l’enquête que Libération a publiée, mardi, sur les liens d’intérêts entre le professeur Michel Aubier et l’entreprise Total, ce médecin de renom plaide ainsi la naïveté pour ne pas avoir explicité ses liens devant la commission sénatoriale qui se penchait sur les questions de pollution et de diesel, domaine où Michel Aubier défend une position toute proche de celle de l’entreprise pétrolière.

Faut-il le croire ? Est-on face à un médecin distrait, ou à une cachotterie de roublard ? De fait, cette histoire peut être perçue comme le miroir d’un aveuglement persistant dans le monde des grands médecins universitaires. Ainsi, quand on interroge les collègues du professeur Aubier qui travaille avec lui à l’hôpital Bichat, ou bien d’autres pneumologues de renom, ils ont tous la même réaction, mettant en avant les talents de recherche de ce médecin, mais aussi sa puissance de travail. Ceux qui ont participé avec lui à d’innombrables commissions scientifiques notaient encore son professionnalisme. Certes, mais lorsqu’on leur faisait remarquer qu’il est aussi membre de la Fondation Total, ainsi que de la Fondation Servier, c’est alors un silence gêné qui surgit. Comme si on évoquait quelque chose qui ne se disait pas. Comme si on parlait de la vie privée de la personne, et que bien évidemment cela ne se fait pas.

« Cela change avec la nouvelle génération », note un ancien haut fonctionnaire de la santé. « Mais ces grands mandarins, qui ont aujourd’hui 60-70 ans, avaient, pour beaucoup, l’habitude d’avoir de nombreux liens d’intérêts avec les firmes pharmaceutiques. » Et ces dits médecins trouvaient cela tout à fait normal. Ils avançaient un argument qu’ils jugeaient absolu pour se défendre : « Attendez, vous me connaissez, ce la n’influence en rien mes prises de position. » Comme si par nature, ils étaient au-dessus de toutes influences. Comme si le fait d’être médecin, qui plus est de talent, les rendait imperméables à toute dérive. On laisse bien évidemment de côté, quelques cas où les comportements relèvent de la corruption. Mais pour la très grande majorité, c’était ainsi. Intouchables, et leur moralité au-delà de toute réglementation.

Aujourd’hui en dépit de l’affaire du Mediator et de bien d’autres, l’ambiguïté demeure. Un grand nombre de médecins universitaires font partie, par exemple, de boards de firmes pharmaceutiques, c’est-à-dire qu’ils passent un ou deux jours voir plus, dans un séminaire dudit labo pour réfléchir sur les stratégies scientifiques mais aussi commerciales. Et peuvent toucher entre 1 000 et 5 000 euros. Certains se font un malin plaisir de dire qu’ils font partie de plusieurs boards, et de ce fait nul ne peut leur reprocher de privilégier l’un plutôt que l’autre. D’autres vous font comprendre que grâce à leurs liens ils sont plus au fait de ce qui se trame, avec en creux le constat que ceux qui n’ont aucun lien avec l’industrie pharmaceutique sont bien souvent les… moins compétents.

Récemment, certains médias ont pointé les liens d’intérêts qu’avait la professeure Agnès Buzyn, avant qu’elle ne dirige l’Institut national de cancer, puis la Haute Autorité de santé. Et Mediapart de citer des propos de cette chercheuse qui s’inquiétaient de l’évolution actuelle : « On commence à avoir des experts institutionnels qui n’ont plus aucun lien avec l’industrie pharmaceutique et dont on peut se demander, à terme, quelle va être leur expertise. »

Cercle vicieux, cercle fatal. Et le silence comme trait d’union. Dans le cas de Michel Aubier, on peut noter que de soigner les dirigeants de Total n’améliorait en rien son expertise de scientifique.

Eric Favereau