Luttes et mobilisations

Liberation.fr : « L’hôpital psychiatrique est devenu uniquement un lieu de crise »

Janvier 2019, par infosecusanté

« L’hôpital psychiatrique est devenu uniquement un lieu de crise »

Par Dounia Hadni — 22 janvier 2019 à 18:56

Lors de la manifestation du secteur psychiatrique hospitalier, place de la République, à Paris, ce mardi.

Lors de la manifestation du secteur psychiatrique hospitalier, place de la République, à Paris, ce mardi. Photo Yann Castanier pour Libération

Syndicats et collectifs de soignants, familles de patients, travailleurs sociaux se sont donné rendez-vous place de la République ce mardi, à l’occasion de la journée nationale de la psychiatrie.

« L’hôpital psychiatrique est devenu uniquement un lieu de crise »

« Avant j’aimais mon métier, maintenant je suis écœurée. Avant j’étais payée pour soigner, maintenant je suis payée pour maltraiter. Aujourd’hui je dis stop », peut-on lire au dos de la blouse blanche de Nathalie, 45 ans, infirmière à l’hôpital psychiatrique d’Argenteuil depuis dix-huit ans. Une inscription qui reflète l’état d’esprit ambiant. Malgré les premières chutes de neige à Paris, environ 300 personnes, membres de collectifs ou de syndicats comme Sud et la CGT, sont venues témoigner à partir de 11 heures, place de la République, de la dégradation de la prise en charge des patients en psychiatrie.

Le manque de lits et d’effectifs est sur toutes les lèvres, des soignants aux familles des patients. Le nombre de lits de psychiatrie générale a diminué de 60% entre 1976 et 2016 selon l’Inspection générale des affaires sociales. Et la dictature des chiffres se traduit sur une grande partie des banderoles : on retrouve par exemple « Hôpital en sous-France », « Non rentables », « Non à la dictature comptable », « L’humain n’est pas rentable ».

« Après les gilets jaunes, les blouses blanches », sourit Linda, 55 ans, infirmière sur le front depuis 1992 à Argenteuil. Pour elle, c’est une évidence, les patients sont maltraités : « L’hôpital psychiatrique est devenu uniquement un lieu de crise. Maintenant, pour être hospitalisé, il faut que les patients arrivent au stade de la crise. »

« La famille se transforme en infirmière »

Ballons de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) à la main, un couple, Daniel (78 ans) et Maryvonne (73 ans), très « heureux » de manifester pour cette cause, a respectivement deux filles et une sœur malades. « Nous avons trop recours aux urgences parce qu’il n’y a pas de soins avant. Et comme la spécificité de ces maladies psychiques c’est d’être dans le déni, si les soignants ne viennent pas au devant, on attend la crise », observe Maryvonne. Pour Daniel, le plus grave, c’est le manque de structures médico-sociales et de services d’accompagnement. « Bien soigner, c’est stabiliser. Or quand un patient sort trop tôt, c’est la famille qui le récupère et qui se transforme en infirmière et assistante sociale… » rebondit sa compagne.

Lors de la manifestation du secteur psychiatrique hospitalier, place de la République, à Paris, ce mardi. Photo Yann Castanier pour Libération

Christelle, 40 ans, dix ans d’expérience en psychiatrie, travaille aujourd’hui en centre médico-psychologique (CMP, pour toute personne en souffrance psychique). Elle partage ce constat : « Aujourd’hui, les patients sortent au bout de trois semaines ou un mois, mais c’est à peine le temps de se poser. Il y a trois temps : le temps de la crise, le temps de la calmer et celui de trouver un traitement adapté. Quand les patients sont stabilisés, on les envoie en Belgique. En France, il n’y a pas d’intermédiaire entre l’hôpital et le CMP. »

Des manifestants observent que les patients qui arrivent sont dans un état de crise de plus en plus avancé et que les hospitalisations se font toujours plus sous contrainte. Et puis, à peine sortis, on les oriente vers un projet social sans penser à la phase de stabilisation.

« Pas des gardiens de prison »

Les travailleurs sociaux subissent aussi ce rythme de travail imposé aux soignants. Alexandra, 27 ans, assistante sociale depuis six ans, dit faire « de l’abattage » : « Je vois 12 patients en consultation extérieure pendant trente minutes maximum, les psy en voient toutes les quinze minutes. La dimension du service public se dilue. On fait de la sous-traitance via des partenariats, on envoie nos patients en médico-social en Belgique parce qu’il faut compter trois à quatre ans d’attente pour intégrer une maison d’accueil spécialisée en psychiatrie et un an pour entrer en CMP en pédopsychiatrie. »

Lors de la manifestation du secteur psychiatrique hospitalier, place de la République, à Paris, ce mardi. Photo Yann Castanier pour Libération

Dans la foule, on croise deux psychologues (très peu représentés parmi les manifestants) qui exercent au centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris : Esther, 39 ans, psychologue depuis dix ans, et Lena, 59 ans, depuis trente ans. Les deux regrettent que, de plus en plus, l’accent soit uniquement mis sur les neurosciences et appellent à une approche plurielle qui prenne en considération la singularité et l’histoire du patient. « Aujourd’hui, en psychiatrie, on est soit dans les neurosciences associées au comportementalisme, soit dans le médico-social. Très peu dans le thérapeutique », regrettent-elles. Quant à la prise en charge, elles observent aussi que les patients sortent souvent avant d’être stabilisés et que, faute de temps et de soignants, la contention (l’entrave du patient) redevient un soin à part entière.

A 13h30, les manifestants commencent à se disperser, il reste 150 personnes prêtes pour la marche citoyenne. On chante les slogans « Maladie mentale, maladie du lien social », « ARS, agence régionale de souffrance », « Pour défendre les hôpitaux et tous les services sociaux » ou encore des cris comme « Nous ne sommes pas des gardiens de prison ». Le camion de la CGT ouvre la marche en direction de l’Assemblée nationale. Pour que « les députés bougent leur cul ».
Dounia Hadni