Réforme retraites 2023

Liberation.fr : Minimum de pension à 1 200 euros : les petits mensonges et grosses approximations du gouvernement sur les bénéficiaires

Février 2023, par infosecusanté

Liberation.fr : Minimum de pension à 1 200 euros : les petits mensonges et grosses approximations du gouvernement sur les bénéficiaires

La Première ministre, Elisabeth Borne, et la secrétaire d’Etat chargée de l’Economie sociale et solidaire, Marlène Schiappa, entretiennent la confusion sur la mise en place du volet « social » de la réforme des retraites.

par Luc Peillon

publié le 4 février 2023

Le « minimum de pension » est un système complexe, que l’exécutif, dans sa communication, ne fait rien pour éclaircir. A écouter Elisabeth Borne ou Marlène Schiappa, nombre de futurs retraités risquent ainsi de nourrir des espoirs… forcément déçus.

Première confusion : il a beaucoup été dit, ou du moins sous-entendu, que les bénéficiaires de la mesure verraient leur petite pension augmenter de 100 euros. Selon la Première ministre, qui s’exprimait sur France Info le 29 janvier, la réforme « protège les femmes qui ont des plus petits revenus tout au long de leur vie professionnelle et qui sont largement majoritaires dans celles qui ont la retraite minimale, en revalorisant cette retraite minimale. Les deux tiers des retraités qui vont bénéficier d’une revalorisation, ce sont des femmes. Les deux tiers des retraités qui, demain, partiront avec 100 euros de plus par mois, ce sont des femmes ». Ce qui suggère donc que tous ceux qui vont bénéficier de la revalorisation du minimum de pension vont connaître une hausse de 100 euros. C’est faux.

Pour rappel, dans le cadre de la réforme, cette hausse de 100 euros est destinée à porter le « minimum de pension », pour un salarié qui a fait toute sa carrière au smic à temps complet, à 85 % du smic net, soit 1 200 euros brut avec la retraite complémentaire. Cette augmentation concerne uniquement la retraite de base, en réhaussant ce que l’on appelle le minimum contributif (Mico) de 747 euros aujourd’hui à 847 euros demain.

Alors certes, d’une manière générale, tous ceux qui peuvent se prévaloir du taux plein (soit parce qu’ils ont atteint l’âge de 67 ans, soit parce qu’ils ont tous leurs trimestres pour une carrière complète, soit parce qu’invalides à 62 ans) et qui ont une pension de base inférieure au nouveau plafond du Mico majoré de 847 euros (et une pension totale, avec complémentaire, inférieure à 1 322 euros) vont bénéficier d’une hausse du minimum contributif. Mais pour nombre de futurs retraités, cette hausse, par rapport à une situation sans réforme, sera inférieure à 100 euros.

Pour comprendre, il faut revenir sur le mécanisme un peu complexe du minimum contributif. Le Mico de base garantit actuellement une pension minimale de 684 euros pour toute personne ayant validé tous ses trimestres pour une carrière complète (ce qui inclut donc les périodes dites non « cotisées » : chômage, maladie, accident du travail, invalidité, service militaire…). Ainsi, si la pension directe de ce salarié est inférieure, il verra sa retraite de base portée à ce montant, augmenté demain, avec la réforme, de 25 euros pour atteindre 709 euros. Mais en cas de carrière incomplète (si par exemple un salarié né en 1973 compte moins de 172 trimestres), le Mico de base sera calculé au prorata du nombre de trimestres validés. Cette augmentation de 25 euros sera donc elle aussi proratisée.

Ensuite s’ajoute – éventuellement – un deuxième étage : le minimum contributif majoré. Celui-ci va dépendre du nombre de trimestres réellement cotisés (et non pas seulement validés) au titre du travail, pour les personnes qui ont cotisé au moins 120 trimestres (s’y ajoutent avec la réforme les périodes validées pour l’assurance vieillesse de parent au foyer). Si le salarié a cotisé l’ensemble des trimestres exigés pour une retraite à taux plein (172 pour la génération 1973 et après), il connaît alors une majoration de son Mico de 63 euros, augmentée de 75 euros avec la réforme. Ce qui portera sa pension de base à 847 euros (709 + 63 + 75). Mais s’il a cotisé moins que le nombre de trimestres exigés pour une carrière complète, sa nouvelle majoration de 75 euros sera elle aussi proratisée.

Autrement dit, tous ceux qui ont atteint le taux plein (par la validation des trimestres ou l’âge) mais qui n’ont pas « cotisé » le nombre de trimestres requis pour une carrière complète ne toucheront pas 100 euros.

Selon l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi, le gain moyen, pour les futurs retraités qui bénéficieront de la mesure (180 000 par an en année pleine), s’établira à 400 euros par an, soit 33 euros par mois. Reste que la hausse sera plus forte pour les femmes que pour les hommes, avec des variations moyennes respectives de 460 euros et 300 euros par an du montant de leur pension annuelle.

Concernant le « stock », c’est-à-dire les personnes déjà retraitées (1,8 million de personnes), la réforme prévoit une hausse de 100 euros du Mico majoré pour les personnes qui affichent au moins 120 trimestres cotisés et ont validé l’ensemble des trimestres requis pour une carrière complète. A défaut d’une carrière complète, cette hausse sera proratisée en fonction du nombre de trimestres validés. Les personnes avec moins de 120 trimestres, elles, ne toucheront rien.

D’après l’étude, « pour les retraités concernés, qui se situent parmi les cinq premiers déciles de pensions, la hausse s’établira en moyenne à 6 %, soit une amélioration moyenne de 680 euros de leur pension annuelle ». Avec, là aussi, une augmentation moyenne supérieure pour les femmes (760 euros, soit +6,7 %) que pour les hommes (540 euros, soit +5,1 %).

Autre message trompeur : laisser croire que ceux qui auront une hausse de 100 euros verront leur minimum de pension atteindre 1 200 euros. C’est ce que ne cesse de répéter la Première ministre. D’abord mardi 10 janvier, lors de la présentation du projet de loi (à partir de 14′47) : « Notre projet apportera des progrès sociaux. Une vie de travail doit garantir une retraite digne. Conformément à notre engagement, les salariés et les indépendants, notamment les artisans et les commerçants, qui ont cotisé toute leur vie avec des revenus autour du smic, partiront désormais avec une pension de 85 % du smic net, soit une augmentation de 100 euros par mois. C’est près de 1 200 euros par mois dès cette année. » Puis à nouveau le 18 janvier, devant le Sénat (à partir de 2′55) : « C’est aussi un projet de progrès social : nous allons augmenter la pension minimale à 85 % du smic net pour ceux qui ont une carrière complète au niveau du smic, c’est-à-dire une hausse de 100 euros par mois. »

Sauf que ceux qui, avec la revalorisation du minimum contributif, connaîtront une hausse de 100 euros par mois et ceux dont la retraite totale (base et complémentaire) sera portée à 1 200 euros ne sont pas les mêmes.

En effet, avec 781 euros de retraite de base, les salariés qui ont une carrière complète et à temps plein au smic ne sont pas, aujourd’hui, éligibles à l’actuel Mico majoré, qui est de 747 euros. Avec la hausse prévue de 100 euros du Mico, porté donc à 847, ils vont être concernés, et donc toucher 66 euros de plus pour leur retraite de base (847-781 euros). Côté complémentaire, et en raison de l’allongement de la durée du travail, ils toucheront 8 euros en plus (345 au lieu de 337 euros dans le cas type numéro 8 présenté dans l’étude d’impact). Soit 75 euros de plus au global, et non pas 100 euros.

En revanche, avec 1 192 euros de retraite au total (847 euros de retraite de base et 345 euros de complémentaire), ils s’approcheront des 1 200 euros de pension, soit 85 % du smic net attendu au second semestre 2023, quand la réforme entrera en vigueur.

Ceux qui bénéficieront d’une hausse de 100 euros, avec le passage du Mico majoré de 747 euros à 847 euros, sont les salariés qui ont eu une carrière complète, mais qui, parce qu’ils étaient à temps partiel, ont eu des revenus assez faibles pour ne pas dépasser le plafond de ressources de l’actuel Mico majoré (747 euros). Ils profitaient donc du Mico maximum de 747 euros, porté demain à 847 euros. Sauf que leur temps partiel ne leur permettra pas d’obtenir 345 euros de complémentaire. Ils n’auront donc pas de pension équivalente à 85 % du smic net comme les salariés à temps complet.

Autre (grosse) confusion : l’idée d’un plancher de 1 200 euros. Le 28 janvier sur France Info, la secrétaire d’Etat chargée de l’Economie sociale et solidaire, Marlène Schiappa, expliquait ainsi : « Beaucoup de caricatures ont été faites sur cette réforme : on constate en réalité qu’il y a des inégalités très importantes dans la retraite entre les femmes et les hommes. C’est aussi pour cela que nous mettons un plancher à 1 200 euros. […] Et cela va bénéficier très majoritairement aux femmes, qui ont justement des petites retraites. »

Un plancher à 1 200 euros ? Pas vraiment. Ce dispositif de minimum de pension à 1 200 euros, comme évoqué plus haut, va bénéficier à celles ou ceux qui ont eu une carrière complète au smic ou autour du smic, et qui jusqu’ici n’étaient pas concernés par le minimum contributif. Si le chiffrage du nombre de personnes concernées par ces 1 200 euros est difficile à établir, tout indique cependant qu’elles devraient être assez peu nombreuses, comme nous le détaillions dans un précédent article.