Réforme retraites 2023

Médiapart - Macron sonne creux face à la France des casseroles

Avril 2023, par Info santé sécu social

Sans rien lâcher sur le fond, le président de la République a tenté lundi soir de reprendre le fil d’un quinquennat marqué par trois mois de crise. Mais est-ce seulement possible ? Faute d’annonces nouvelles, son allocution de treize minutes a pris la forme d’un grand écran de fumée. L’impasse du pouvoir semble plus étroite que jamais.

Ilyes Ramdani
17 avril 2023 à 22h37

À l’heure du dîner, Emmanuel Macron s’est invité chez les Français·es les mains désespérément vides. Englué dans une crise sociale et démocratique majeure, confronté à un mouvement social historique, le président de la République a promis d’en « tirer tous les enseignements » sans en esquisser un seul en treize minutes d’allocution.

La réforme des retraites n’est « à l’évidence » pas « acceptée », a-t-il reconnu. Elle sera pourtant bien appliquée, a-t-il expliqué en substance, comme le reste du programme présidentiel. Sans formuler la moindre critique sur sa propre action, ni même sur sa méthode, le chef de l’État s’est contenté d’une formule qui ne coûte pas cher : « Un consensus n’a pas pu être trouvé et je le regrette. »

Une fois cette maigre concession lâchée du bout des lèvres, Emmanuel Macron aura fait rivaliser l’indigence de son propos avec l’emphase de ses formules. Ainsi a-t-il promis un « grand projet » pour « retrouver l’élan de notre nation ». Par grand projet, il fallait évidemment comprendre qu’il s’agissait du sien. Sous les atours de la nouveauté, le chef de l’État s’est contenté de faire l’inventaire des chantiers ministériels en cours.

La ministre chargée de l’enseignement professionnel, Carole Grandjean, aura ainsi été ravie d’apprendre qu’il veut « désormais engager la réforme du lycée professionnel »… sur laquelle elle travaille depuis un an.

De même, les annonces à venir sur les fraudes sociale et fiscale, la refonte du système de santé, le renforcement de l’arsenal contre l’immigration illégale ou la volonté de faire (re)venir à l’emploi les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) avaient déjà été faites au cours des derniers mois.

Parmi les rares annonces qu’il aurait pu faire, le chef de l’État n’a rien dit sur le versement à la source des prestations sociales ni sur le plan en faveur des quartiers populaires, qu’il est censé annoncer dans quelques semaines. Au moment d’évoquer les quartiers et les zones rurales les plus en difficulté, il s’est contenté de dire : « Nous trouverons des solutions. »

De la resucée et de l’audace

Parce qu’il s’agissait de « fixer un cap clair » – son entourage l’avait promis ces derniers jours –, Emmanuel Macron a toutefois tenté d’agencer toutes ses bonnes idées autour de trois « grands chantiers » : le travail, la justice (couplée à l’ordre) et le progrès. Mais, là encore, rien de nouveau sous la tempête élyséenne. Il y a un an, le candidat à sa réélection promettait déjà de décliner son action en « grands chantiers » qu’il promettait de lancer « dès la première année ».

Plus gênant encore : à la répétition, le président de la République a parfois ajouté quelques arrangements avec la réalité. Il a répété sa promesse que tous les enseignants absents seraient désormais systématiquement remplacés, faisant fi de l’échec des négociations avec les organisations syndicales sur le « pacte » qu’il leur proposait. Il a également redit que 600 000 patients qui en sont privés actuellement auraient un médecin traitant d’ici la fin de l’année, oubliant là aussi de mentionner l’échec des discussions avec les médecins libéraux.

Rien n’est décidément assez fort pour faire dévier le « cap clair » d’Emmanuel Macron. Ni le peuple qui gronde, ni les portes qui claquent, ni les concerts de casseroles devant les mairies de France pendant son allocution. Après tout, n’est-il pas en passe de réussir la reconstruction de Notre-Dame en cinq ans, s’est-il gargarisé pendant l’allocution ? « Il doit en être de même pour les grands chantiers de la nation », a-t-il lancé.

La loi sur le travail, annoncée depuis des mois par le gouvernement, sera bien le prochain grand chantier de l’exécutif. Elle prendra la forme d’un « nouveau pacte de la vie au travail, construit dans les semaines qui viennent par le dialogue social ».

Tant pis si son ministre du travail, Olivier Dussopt, est complètement démonétisé. Tant pis si le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs mesures sur le sujet vendredi – il ne l’a même pas évoqué. Tant pis si les organisations syndicales ont exprimé leur faible envie à l’idée de revenir négocier.

« Le problème, c’est qu’il nous tend la main après nous avoir fait un bras d’honneur », a d’ailleurs réagi Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, sur BFMTV. « Tout ça pour ça, a abondé Laurent Berger, son homologue de la CFDT. Il ne suffit pas de treize minutes d’intervention pour calmer la colère des Français. »

Nous devons lutter contre le sentiment persistant que voter ne serait plus décider.
Emmanuel Macron, au premier degré

Devançant les critiques, le président de la République a voulu emmener les Français·es dans sa réalité parallèle. Celle où il peut dire, sans rire, aux organisations syndicales que « la porte [leur] sera toujours ouverte », alors même qu’il leur a refusé la moindre entrevue pendant trois mois. Celle où il est convaincu qu’il a cherché, « à chaque fois », à « protéger les plus faibles » et à « tenir l’intérêt du pays ».

Celle où il promet de « mieux associer » les maires, les forces politiques et les syndicats qu’il s’évertue à contourner depuis six ans. Celle où il veut « lutter contre le sentiment persistant que voter ne serait plus décider », attaché qu’il serait désormais à la « participation citoyenne ».

Au fond, l’intervention présidentielle a donné l’impression d’un grand écran de fumée. Emmanuel Macron a pris la parole parce qu’il devait la prendre. Il a coché les cases les plus convenues, réalisé toutes les figures imposées d’un exercice du genre. Ses conseillers en communication pouvaient se rassurer : son allocution a bien évoqué « l’apaisement », tout comme le « cap clair », « l’esprit de responsabilité » et « l’élan national ». Hélas pour les stratèges élyséens, le langage présidentiel n’est pas performatif et les coquilles sonnaient bien creux.

Faute d’idées nouvelles, le chef de l’État a occupé l’espace et tenté de gagner du temps. C’est sûrement là le principal enseignement de son intervention. Il a demandé « cent jours » au pays pour mettre en œuvre cette « feuille de route ». « Cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France », a-t-il détaillé. Le 14 juillet viendra l’heure d’un « premier bilan », a-t-il promis. D’ici là, il ne faut rien attendre, peut-être même pas le remaniement ministériel qui semblait s’imposer.

Une stratégie du temps qui passe loin d’être nouvelle à l’Élysée. Le président de la République l’avait déjà choisie avant la présidentielle, au moment d’entrer en campagne ; après l’élection, au moment de nommer un gouvernement ; après les législatives, après avoir perdu sa majorité relative. Avec le succès que l’on connaît. « Tenir le cap, c’est ma devise », plastronnait-il la semaine dernière. Jusqu’au mur ?

Ilyes Ramdani