Luttes et mobilisations

Médiapart - Médecins, chefs, paramédicaux : à l’hôpital public, les colères commencent à s’agréger

Octobre 2019, par Info santé sécu social

11 OCTOBRE 2019 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Dans le sillage des urgences, l’ensemble des catégories de l’hôpital public se mobilisent. Jeudi soir, à Paris, la première assemblée générale d’un Collectif inter-hôpitaux a lancé un appel à une « grande manifestation » le 14 novembre.

Ce n’est qu’un début, mais les hospitaliers ont été surpris de se retrouver aussi nombreux, jeudi 10 octobre dans la soirée, massés dans trois amphithéâtres de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Toutes catégories mêlées (chefs de service, médecins, infirmières, internes, etc.), ils étaient plusieurs centaines, réunis à la première assemblée générale du Collectif inter-hôpitaux, créé il y a quelques semaines, sur le modèle du Collectif inter-urgences qui anime depuis le printemps un mouvement social circonscrit jusqu’ici aux paramédicaux des urgences (et qui persiste dans 267 établissements).

Si ces urgentistes ont obtenu une prime de 100 euros et un plan de 750 millions d’euros sur trois ans pour réorganiser et soulager leurs services, ils ne sont toujours pas satisfaits. Car cet effort se fait à budget constant pour l’hôpital, et même restreint puisque le gouvernement a dévoilé un projet de loi financement de la Sécurité sociale pour 2020 exigeant 4 milliards d’euros d’économies dans le secteur de la santé (voir nos explications).

Une nouvelle fois, c’est depuis Paris que le mouvement s’organise, à l’initiative de plusieurs médecins de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris : l’hépatologue Anne Gervais, le psychiatre Antoine Pelissolo ou les neurologues François Salachas et Sophie Crozier, tous influents, siégeant pour la plupart à la Commission médicale d’établissement, qui représente les médecins de l’institution francilienne.
Son président, Noël Guarabédian, était d’ailleurs présent, qui s’est dit « triste et inquiet ». « Mon rôle est de sonner l’alerte, a-t-il déclaré. Les pouvoirs publics, le Parlement doivent entendre l’absolue nécessité de revoir notre financement, au risque sinon de condamner la qualité et la sécurité des soins, de voir fuir – mais il fuit déjà – le personnel. »

Sans tarder, l’assemblée générale a adopté une motion fixant les revendications du Collectif, qui recoupent largement celles des urgentistes : une augmentation du budget de l’hôpital, une augmentation de 300 euros net mensuels des salaires de tous les personnels hospitaliers et l’arrêt de la fermeture des lits d’hôpitaux. Le diabétologue André Grimaldi, en retraite, mais de tous les combats pour l’hôpital public, a coupé court aux tergiversations : « Quelles actions on met en œuvre ? »
De fait, mobiliser l’hôpital est difficile, en premier lieu parce que les soignants ne peuvent pas cesser le travail. La question des modes d’action est donc primordiale. L’assemblée générale a opté pour quelques classiques : création de collectifs dans les hôpitaux, tenue d’assemblées générales, organisation de manifestations et d’évènements locaux. Mais une proposition plus rugueuse, qui méritera d’être bien expliquée au grand public, a été longuement débattue : « l’arrêt du codage T2A ».

De quoi s’agit-il ? Depuis 2008, a été généralisée à l’hôpital public la tarification à l’activité (T2A) : à chaque acte correspond un tarif, et le budget de chaque hôpital est calculé en fonction du nombre d’actes codés par les équipes médicales. Ce mode de financement pousse les établissements à développer leur activité (d’autant que les tarifs hospitaliers baissent), puisque le budget ne suit pas. Or, cette mécanique poussant à la productivité a atteint ses limites.

« C’est un geste politique, pas technique, a exhorté André Grimaldi, en plaidant pour arrêter de transmettre ces données, indispensables aux hôpitaux pour facturer l’Assurance maladie. On ne joue plus. Il faut en finir avec l’hôpital entreprise. »

Certains médecins restent toutefois plus réservés, craignant des pertes sèches pour leur service ou leur établissement. À l’hôpital Robert Debré, des médecins qui ont déjà cessé le codage ont témoigné jeudi soir de la nervosité de leur administration, qui perd un outil à la fois de gestion et de contrôle de l’activité médicale. Est-ce que cela sera suffisant ?

La dernière grande mobilisation de l’hôpital public remonte en tout cas à 2009, et ce fut un échec. C’était alors un mouvement de médecins porté par des chefs de service, qui s’opposaient à la réforme de la gouvernance de l’hôpital et déjà à la tarification à l’activité. Ce nouveau mouvement social s’avère plus démocratique, plus profond. C’est ainsi une infirmière des urgences qui a organisé la prise de parole.

Une représentante des cadres de santé, ces paramédicaux en position de management, a ainsi décrit « la frustration qui gagne dans tous les couloirs » : « Nous sommes devenus des managers de la colère », le « réceptacle de tous les dysfonctionnements ». Au bord des larmes, une infirmière en réanimation a raconté se loger, depuis un an, dans une « chambre de garde » de l’hôpital, car elle ne parvient pas à trouver dans le privé. Une assistante sociale a aussi confié gagner « 1 400 euros par mois. Alors 300 euros de plus, ça [lui] parle ».

À l’issue de l’assemblée générale, évidemment tout reste à faire. Mais 6 000 soignants ont déjà paraphé la motion et une pétition circule, signée par 17 000 personnes. Au-delà de l’Île-de-France, le Collectif inter-hôpitaux n’a pas encore essaimé, même si des contacts sont pris en région. C’est le 14 novembre prochain, jour de manifestation nationale de l’hôpital public, que le mouvement comptera ses forces.