Réforme retraites 2023

Reporterre - Réforme des retraites : sept raisons écolos de s’y opposer

Février 2023, par Info santé sécu social

Grèves et manifestations sont prévues jeudi 19 janvier contre la réforme des retraites. Pour cette occasion, Reporterre a épluché ses archives, et vous fournit sept raisons (écolos) de vous mobiliser.

Jeudi 19 janvier, les drapeaux verts côtoieront les ballons rouges. Activistes du climat, militants associatifs, politiques : nombre d’écolos seront présents dans les cortèges contre la réforme des retraites. Avec une conviction : cette bataille qui s’engage contre le projet du gouvernement est hautement écologique. En ce premier jour de mobilisation sociale, Reporterre vous détaille – à partir de nos archives bien fournies – les sept raisons (écolos) de s’opposer à cette réforme.

1 — Travailler plus, c’est produire plus et donc détruire plus
Reculer l’âge de départ à la retraite à 64 ans revient à nous faire travailler plus. Or, « travailler plus longtemps, cela signifie produire plus, donc consommer plus d’énergies et émettre davantage de gaz à effet de serre », soulignait le militant écolo Txetx Etcheverry dès 2019.

Une évidence, détaillée par l’association basque Bizi : « Si l’on fait travailler plus longtemps la population sans vouloir augmenter le chômage de masse actuel, cela ne peut se faire que d’une manière : en produisant plus, expliquait-elle. Produire plus signifie tout simplement extraire plus de ressources de la planète, brûler plus d’énergies non renouvelables et rejeter plus de déchets et de gaz à effet de serre réchauffant l’atmosphère et les océans ». En bref, un très mauvais calcul.

À rebours de la réforme actuelle, toute nouvelle politique devrait être pensée à l’aune de la crise écologique. « Nous devons vivre sans croissance, insistait François Ruffin interrogé par Reporterre. Produire plus, pour consommer plus, pour produire plus, pour consommer plus, comme le hamster dans sa roue, mène la planète droit dans le mur. Et les hommes à l’usure. »

2 — Ceux qui prennent soin de nous et de la nature seront perdants
L’allongement de la durée de cotisation portée par le gouvernement va particulièrement toucher les personnes exerçant un métier difficile. En premier lieu et en première ligne, les métiers du soin. Infirmières, aides-soignantes, auxiliaires de vie. « Cette réforme nie complètement la pénibilité de nos métiers de soignants, estimait Philippe Peretti, infirmier à Montpellier, en 2020. On travaille de nuit, au contact de maladies, on porte des charges lourdes, on est exposé à des produits toxiques… Beaucoup d’infirmières et d’aides-soignantes partent en commission d’invalidité à la fin de leur carrière. »

Soin à l’autre, soin à la nature. Lors de la soirée contre la réforme co-organisée par Reporterre, le forestier Frédéric Bedel rappelait les dos, articulations et oreilles usés de ses collègues. En France, « les bûcherons ont une espérance de vie de 62 ans », précisait-il. Soit deux ans avant le futur âge légal de départ à la retraite.

Autre profession touchée, les égoutiers, que nous avions rencontrés début 2020. « Avec cette réforme des retraites, [nous allons] crever au boulot », s’insurgeait Nicolas Joseph. Le chef de la permanence des égouts parisiens, élu CGT, avait noué une corde autour de son cou. Et pour cause : les égoutiers meurent plus tôt que la moyenne des travailleurs français.

« Avec cette réforme, les égoutiers vont crever au boulot », s’insurge Nicolas Joseph, chef de la permanence des égouts parisiens et élu CGT.
La réforme va pénaliser les plus modestes, dont les salariés du monde associatif, piliers des luttes écologiques et sociales. « On est dans un secteur très précarisé, très féminisé, avec des carrières à temps partiel, exposait Tanguy Martin, membre du syndicat Asso. Tous les collègues vont prendre cette réforme des retraites de plein fouet. »

3 — Les retraités, fers de lance des luttes écolos
Le projet du gouvernement menace ce « temps de l’engagement » qu’est la retraite. « La réforme mettrait à mal une transformation révolutionnaire de nos sociétés, estimait le sociologue Nicolas Castel. Le temps libéré par le régime universel a permis aux retraités d’inventer tout un tas d’activités consistant — entre autres — à prendre soin des autres, à faire du bénévolat, à faire vivre un club sportif, une association, ou à se consacrer à leur grand-parentalité. »

En clair, avant – dans les années 1960-1970 – la retraite consistait principalement en une « retraite-retrait », une sorte de « mort sociale ». La hausse de l’espérance de vie et le régime général des retraites ont ensuite permis l’émergence d’une forme de « retraite solidaire ». Ils et elles sont ainsi nombreuses à s’investir dans les collectifs écolos, les associations de solidarité, la vie locale… Selon l’Insee, un quart des personnes âgées de 65 ans ou plus sont membres de plusieurs associations.

4 — La réforme nous pousse vers les fonds de pension climaticides
« En augmentant l’incertitude autour du niveau de la retraite, des conditions et de l’âge de départ, la réforme des retraites incite les Français à constituer une épargne supplémentaire pour compléter les pensions et/ou envisager un départ anticipé », soulignait l’ONG Reclaim Finance. Qui dit épargne-retraite dit fonds de pension, assurances, banques. Autant d’entreprises peu connues pour leur vertu écolo.

« La seule raison d’être des fonds de pension et des assurances est de garantir des retours sur leurs placements les plus élevés possible, pour faire augmenter le chiffre d’affaires, quitte à investir dans des activités polluantes », rappelait le militant Txetx Etcheverry.

La précarisation poussera les gens à épargner. Manifestation à Nantes, en 2020, contre la réforme des retraites. © Loïc Venance/AFP
Parmi ces acteurs de l’épargne-retraite, le géant BlackRock mais également, pêle-mêle : Axa, Crédit agricole, Swiss Life, AG2R la Mondiale, Generali, Natixis, BNP ou encore le Crédit mutuel. « Ils soutiennent quasiment tous l’expansion pétrogazière », avertissait Paul Schreiber, chargé de campagne à Reclaim Finance.

D’après Christiane Marty, économiste et membre d’Attac, « l’objectif de fond des réformes des retraites depuis 1993 est d’ouvrir la voie à la capitalisation et de baisser les dépenses publiques, conformément au dogme libéral. Car les cotisations des salarié·e·s, qui vont directement payer les pensions de retraite, représentent une somme importante qui échappe aux marchés financiers. Les réformes successives n’ont donc cessé de durcir les conditions d’accès aux pensions, entraînant une baisse de leur niveau ».

5 — Une réforme qui nie les effets de la crise écologique

Reculer l’âge de départ à la retraite, au prétexte que l’on vit plus longtemps, c’est nier les effets de la crise écologique sur notre santé. Comme le soulignait la philosophe Barbara Stiegler, « on projette un scénario dans lequel la mort ne ferait que reculer. On serait de plus en plus en forme et en bonne santé de plus en plus longtemps, et ceci vaudrait quelle que soit notre classe sociale ».

Or « l’explosion des maladies chroniques », une « des manifestations majeures de la crise écologique », entraîne une dégradation rapide de l’état de santé de nos sociétés occidentales. « Cela invalide du même coup ce que nous raconte le gouvernement sur cette fausse évidence selon laquelle tout le monde ira de mieux en mieux », pointait-elle.

Moins protéger les plus vulnérables n’est pas une stratégie d’adaptation acceptable, insistait récemment un collectif d’écolos. Vagues de chaleurs extrêmes, sécheresses, inondations... sont autant d’évènements climatiques qui risquent d’augmenter, et qui touchent davantage les personnes âgées. Les trois canicules de l’été 2022 ont fait plus de 2 800 morts en France.

« Fragiliser la santé de ces personnes en leur demandant de puiser plus longtemps dans leurs ressources physiques, jusqu’à 65, voire 67 ans [...] c’est s’asseoir sur le principe de solidarité entre générations, socle de la protection sociale », dénonçaient les militants.

6 — La retraite, un temps libre, hors du monde capitaliste
« Les retraites sont aussi le temps reconquis, le moment où la femme et l’homme ouvrent une nouvelle page de la vie, après des décennies de labeur, écrivait Reporterre à l’occasion de notre grande rencontre consacrée à la réforme, le 10 janvier. Elles sont la réalité du progrès humain, qui ouvre le temps libre, consacré aux liens, à la gratuité, au don, face à l’impératif de production et de croissance à tout prix. » La retraite, c’est le temps du bonheur possible.

François Ruffin le racontait bien, fin 2019 : être libéré du travail, « c’est la question clé, depuis le XIXe siècle ». La fin du travail des enfants, le dimanche chômé, les congés payés, la semaine de 40, 39, 35 heures, et bien sûr les retraites. Réduire le temps de travail est – depuis longtemps – l’horizon de nos luttes sociales, et le sens du progrès humain. Dans un sondage réalisé au début des années 1980, les Français pensaient d’ailleurs majoritairement que l’âge légal de départ à la retraite passerait bientôt à 55 ans ! « Nous devons sortir nos vies, des parcelles de nos vies d’abord, de cette emprise de la marchandise. Du productivisme. Du consumérisme, ajoutait le journaliste-député. C’est un impératif écologique. Mais aussi humaniste. »

Raphaël, 96 ans, en train de cultiver une parcelle aux jardins de la Buisserate, près de Grenoble (aujourd’hui détruits). © Pablo Chignard/Reporterre
Se battre pour la retraite, c’est donc s’opposer au projet néolibéral – ce même dogme qui conduit à la prédation des humains et de la nature. Pour la philosophe Barbara Stiegler, « dans la vision néolibérale de la société, tous nos rythmes de vie doivent être mis au service de notre bataille dans la compétition mondiale, présentée comme engageant notre survie. Ce chantage à la survie implique que tous les temps de la vie soient réquisitionnés, mobilisés comme dans une opération militaire, dès le plus jeune âge. » Et jusqu’à notre mort.

7 — D’autres réformes, plus écolos, sont possibles
Pour beaucoup d’écolos, il faut réformer notre système de retraite afin de le rendre compatible avec la catastrophe écologique. Mais surtout pas comme le fait le gouvernement. « On ne peut plus augmenter la production, il faut la stabiliser voire la diminuer, insistait Txetx Etcheverry. La solution passe forcément par le partage du travail et des richesses. » Diminuer le temps de travail favoriserait aussi l’autonomie, l’autoproduction — cuisine, couture, réparations diverses… — et l’engagement populaire dans des activités bénéfiques, entre autres, à l’environnement — jardinage, soin de la biodiversité, soutien à des projets collectifs.

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Dans la même veine, l’économiste Jean Gadrey revendiquait en 2010 « la retraite à 60 ans », comme « outil majeur à la fois de partage du temps de travail et de relativisation de l’emprise excessive du travail et de l’économie sur la vie et sur la nature ». Il préconisait également de « dresser un bilan des dizaines de milliards récupérables annuellement sans croissance quantitative en prenant l’argent là où il est : l’excès de profits, les hauts revenus, la spéculation, la fraude fiscale et les niches et paradis fiscaux ».

L’essayiste et militant écolo Matthieu Amiech proposait pour sa part de « prendre les choses par le bas, par le local » : « Nous devons construire les systèmes de solidarité à l’échelle où les gens peuvent les penser réellement, disait-il. Ce n’est qu’à partir du début du XXe siècle qu’il y a eu une centralisation des systèmes de solidarité qui a fait disparaître les caisses ouvrières. On peut y revenir. Ça heurte un imaginaire égalitaire et jacobin, mais la nation est tout aussi arbitraire qu’autre chose. La question écologique pose la nécessité d’en revenir à des échelles plus réduites, plus locales, qui sont des échelles de délibération politique pertinente. » Derrière chaque système de retraites se trouve un choix de société. La réforme du gouvernement entérine un modèle libéral et productiviste. Bref, antiécologique.