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Témoignage : médecin et insurgée contre le matraquage des flics

Avril 2016, par Info santé sécu social

Cela fait plus d’un mois que la mobilisation contre la loi travail a commencé. Un mois qu’étudiants, lycéens et salariés descendent dans la rue pour défendre leur avenir et leurs conditions de travail, déjà bien dégradées, menacés par une loi dont la traduction ne peut être qu’une aggravation de la précarité et l’isolement des salariés face à leur patron. Face à cette colère, le gouvernement, qui nous avait habitué à ses mesures liberticides, entre État d’urgence, parcage et expulsion des migrants, criminalisation syndicale et déchéance de nationalité, réprime très durement, et le sang des manifestants tache le pavé sous les coups de matraques de flics assassins, la jeunesse en première ligne, maintenant habituée à se faire encerclée, chargée, gazée au moindre mouvement.

Camilla Ernst

Je suis médecin. D’abord choquée par les images de violences policières extrêmement dures, je suis aujourd’hui révoltée autant que préoccupée par les conséquences médicales, quand l’arsenal répressif utilisé par la police, en termes d’armes ou de techniques d’immobilisation, est loin d’être sans conséquence pour la santé. Après la vidéo du lycéen de Bergson à Paris, violemment frappé par un policier quand deux autres le ceinturaient, les témoignages de victimes de violences policières se sont répandus comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Plaies au crâne et points de suture à Lille, deux jours d’ITT (incapacité temporaire de travailler) à Lyon pour cause de coup de matraque, une blessure grave à l’oeil à Paris… Ces scènes se répètent à Rennes, Besançon, Nantes, Grenoble et partout en France à chaque nouvelle manifestation.

Ce n’est que la partie visible de l’iceberg et le pire est à craindre, vu la croissance exponentielle du niveau de violence de la part des CRS depuis quelques semaines. Outre ces blessures externes, les différentes armes et techniques utilisés par les flics provoquent des lésions internes parfois très graves, pouvant aller jusqu’au décès. Dans un contexte de flou total autour de cette question, en l’absence de rapport officiel, l’ACAT et Bastamag ont mené leurs propres enquêtes pour faire état des statistiques en termes de blessés et de morts sous les coups de la police.

Prenons les gaz lacrymogènes. Nous avons tous pu constater leurs effets immédiats : irritation des yeux et larmoiement, irritation des voies respiratoires, toux, nausée et vomissements, douleur thoracique. À plus long terme, ils peuvent provoquer une nécrose des tissus des voies respiratoires, créant dans les poumons de l’emphysème (des « trous »), de l’œdème puis une bronchopneumopathie irréversible. Ils ont également un effet cancérigène, et comportent un risque de malformations fœtales en cas d’exposition chez une femme enceinte.

Viennent ensuite les armes intermédiaires, dites « à létalité réduite » : lanceurs de balles (Flash-Balls), canons à eau, matraques et bâtons de défense, pistolets à impulsion électrique (Tasers) et autres grenades. Les risques sont multiples et tous plus graves les uns que les autres. Traumatismes crâniens, lésions oculaires irréversibles pouvant aller jusqu’à la perte d’un œil ou de la vue, fractures de membres, lésions d’organes internes (contusions pulmonaires ou abdominales) ou des organes génitaux, brûlures, perte auditive voire surdité totale. Depuis 2005, on déplore 39 blessés graves par Flash-Ball, dont 21 éborgnés ou ayant perdu l’usage d’un œil, et un mort. On attribue 4 décès au Taser, un, bien connu en la personne de Rémi Fraisse, aux grenades offensives et des cas de mutilations graves par grenades de désencerclement.

Enfin, pour parachever ce tableau morbide, les techniques d’immobilisation, entre glauquitude et sadisme. Du pliage (personne maintenue assise avec la tête entre les genoux) au plaquage ventral auquel s’ajoute généralement d’autres moyens de contention (pression exercée sur le dos, poignet menottés, genoux maintenus en arrière) en passant par la clé d’étranglement, les risques d’asphyxie posturale ou positionnelle sont lourds, jusqu’au décès. Là non plus pas de chiffres officiels, mais au moins deux cas de décès par pliage et quatre par plaquage ventral sont enregistrés.

Sans oublier, bien sûr, les conséquences psychologiques désastreuses de ces violences physiques, aussi bien que des violences verbales ou symboliques des injures et humiliations permanentes de la part des policiers, du menottage, du tutoiement abusif.

Je travaille dans un hôpital d’un quartier populaire de la Seine-Saint-Denis (93). Tous les jours, je peux constater les terribles conséquences de la précarité et des conditions de travail inacceptables sur la santé. Infections dues à l’insalubrité des logements, troubles musculo-squelettiques, lombalgies chroniques, arthrose prématurée et j’en passe liées à un poste de travail inadapté ou des gestes trop souvent répétés, cancers par expositions professionnelles… Ce sont les mêmes personnes qui, malades d’un système qui ne leur offre que des conditions de vie et de travail déplorables, devraient aujourd’hui être victimes des violences policières quand elles cherchent à défendre leurs peu de droits acquis ?

Il y a eu l’après-Charlie. On devait applaudir les flics, garants de notre sécurité, sous prétexte d’« union nationale ». Après le 13 novembre, on a félicité le personnel soignant des hôpitaux parisiens pour les soins apportés aux victimes des attentats, le même personnel obligé de bosser en sous-effectif permanent, accumulant les heures sup’ jamais payées et se voyant encore voler des jours de RTT par le plan de réorganisation du temps de travail passé en force par Martin Hirsch à l’Assistance publique – hôpitaux de Pairs (AP-HP). Aujourd’hui, ce sont les victimes des coups des CRS que l’on doit accueillir aux urgences et soigner, et il faudrait en plus signer les certificats de non-contre-indication à la garde-à-vue ? Trop c’est trop ! Qui protège qui, quand la police nationale est plus que jamais milice du capital, défendant à grands coups de matraque, Taser et autres, les réformes pro-patronales contre la jeunesse et les travailleurs ? Ni chair à patrons, ni chair à matraque !