L’Anticapitaliste Hebdo du NPA

Hebdo L’Anticapitaliste du 15/11/2018 - Dossier Retraites : dès aujourd’hui, comprendre, expliquer et... MOBILISER

Novembre 2018, par Info santé sécu social
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Le 10 octobre, Jean-Paul Delevoye, haut commissaire chargé des retraites, et Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, ont reçu l’ensemble des organisations syndicales pour présenter les premières pistes de la réforme des retraites du quinquennat Macron.
Après des mois de prétendue « consultation citoyenne » et de « concertation » avec les syndicats, les annonces du gouvernement sont restées délibérément floues, mais le calendrier de la contre-réforme se dessine désormais nettement.
Le pouvoir voudrait rééditer la stratégie qui lui a réussi pour la réforme du code du travail.
Un cadre très contraignant et « non négociable » étant fixé, l’exécutif voudrait continuer à engluer et paralyser pendant encore des mois (jusqu’en mars ou avril 2019) les organisations syndicales dans une multitude de réunions sur les « modalités d’application » de son projet, espérant obtenir, moyennant quelques concessions mineures, le soutien d’au moins une partie d’entre elles. Il laisserait passer ainsi l’échéance des élections européennes. Il pourrait ensuite rapidement abattre ses cartes à la veille des congés pour faire voter sa loi à la hâte pendant l’été ou au début de l’automne 2019, et prendre ainsi de court toute velléité de mobilisation.
La réforme des retraites de 2019 sera l’un des moments clés de l’offensive libérale du quinquennat Macron. Sous des dehors « techniques » (la retraite « par points ») et au nom de « l’équité » (un seul régime donnant les mêmes droits à toutes et tous), la réforme Buzyn/Philippe/Macron constitue un basculement « systémique » irréversible. Elle démantèlerait un pan entier de la Sécurité sociale, condamnant la majorité des salariéEs à un travail sans fin ou une retraite dans la gêne ou la pauvreté. Elle ouvrirait une brèche dans laquelle les assurances privées pourraient s’engouffrer.
Dans le contexte d’une colère sociale montante et d’un discrédit croissant du pouvoir, l’adoption de la contre-réforme des retraites pourrait s’avérer plus difficile que Macron et son gouvernement ne le prévoyaient, à condition de ne pas se laisser enfermer dans le calendrier qu’il veulent imposer, et d’engager dès aujourd’hui la mobilisation.

Dossier préparé par la commission nationale santé-sécu-social du NPA

1945-2018 : Des progrès aux reculs

Le système de retraite actuel a été créé en 1945 dans le cadre de la Sécurité sociale. C’est le fruit du rapport de forces de cette période. Dès 1953, le gouvernement de droite dirigé par Laniel tente de profiter du mois d’août pour imposer un recul de l’âge de la retraite des fonctionnaires de 58 à 65 ans pour les services actifs. Après trois semaines de grève générale des fonctionnaires, il renonce à appliquer les décrets-lois.
Dès lors, les gouvernements sont prudents et les retraites s’améliorent pendant plus de 25 ans : prise en compte des 10 meilleures années pour le calcul des pensions qui passent de 40 à 60 % du salaire (1971), retraite complémentaire obligatoire (1972), retraite à 60 ans au lieu de 65 (1982)…

Attaques successives
Mais en 1991 Michel Rocard publie le Livre blanc sur les retraites. Sous prétexte du vieillissement de la population et des difficultés de financement à venir du système, il prône l’allongement de la durée de cotisation, l’augmentation du nombre d’années prises en compte dans le calcul du montant des pensions et leur indexation sur l’inflation et non plus sur les salaires. Il envisage aussi la création de régimes supplémentaires par capitalisation.
Toutes ces propositions ont été mises en œuvre par la suite :
– Allongement de la durée de cotisation pour la retraite à taux plein des salariéEs du privé à 40 ans, calcul du montant des pensions sur les 25 meilleures années et revalorisation des pensions sur l’indice des prix et non plus sur l’évolution des salaires, plus importante (1993) ;
– Tentative d’aligner les retraites du public sur le privé mise en échec à la suite de trois semaines de grève et du blocage du pays (1995) ;
– Alignement sur le privé des conditions de départ à la retraite pour la fonction publique (2003) et les régimes spéciaux (2008) ;
– Création de nouveaux produits d’épargne retraite par capitalisation (2003) ; – Report à partir de 2018 de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans pour le public, le privé et les régimes spéciaux (2010) ;
Allongement progressif de la durée de cotisation jusqu’à 43 ans pour les générations de 1958 et suivantes (2013).

L’organisation des retraites en France

Il y a actuellement 35 régimes de base obligatoires :
– Le régime général des salariéEs du privé et des agentEs non titulaires de l’État et des collectivité publiques
– Les régimes spéciaux de la fonction publique et des ­entreprises publiques
– Les régimes des professions libérales et des agriculteurs

Ce sont des régimes par répartition. La pension dépend de la durée de travail et des cotisations sociales versées. Des dispositifs de « solidarité » tiennent compte des périodes sans emploi, du nombre d’enfants, de l’absence de revenu.
L’adhésion à un organisme de retraite complémentaire, en répartition et par points, est aussi obligatoire et il est ­possible de souscrire à des assurances retraite individuelles ou collectives et par capitalisation donc risquées.
(voir le fichier panorama des retraites en PJ)

Retraites : le Medef en a rêvé, Macron veut le faire !

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Retraite

Emmanuel Macron

Pourquoi une nouvelle contre-réforme ?

Le choix d’engager une nouvelle contre-réforme des retraites, avec les risques de confrontation sociale qu’elle implique, peut paraître surprenant. Les mesures prises par les gouvernements précédents ont produit leurs effets. Elles ont « ramené à l’équilibre » les régimes de retraites sur le dos des salariéEs actifs, contraints de travailler plus longtemps, et des retraitéEs dont les pensions ont diminué et vont continuer de baisser.
Mais pour le patronat et son personnel politique ce n’est pas assez. Ils veulent en finir avec les « réformes » à répétition, sources de conflits sociaux, et opérer un basculement irréversible vers un système libéral. Ils estiment que pour les retraites, comme pour la maladie et le chômage, l’heure du « big bang » a sonné.

Un ajustement automatique

Les régimes de retraite actuels, dits « de base » (régime général de la Sécurité sociale ou régimes spéciaux), présentent à leur yeux un gros inconvénient : chaque nouvelle offensive pour maîtriser ou réduire les dépenses suppose de nouvelles décisions politiques impopulaires. Ces modifications sont susceptibles de provoquer des mobilisations de masse, comme l’ont prouvé les grèves de 1995, 2003, 2010 ou 2013.
Le rêve du patronat est de passer à un système qui ajusterait automatiquement les recettes et les dépenses, année après année, sans discussion possible. C’est ce rêve qu’entend réaliser Macron. Dans son programme, il préconisait un système où il n’y aurait « plus besoin de réformes successives, qui changent les règles et sont anxiogènes et sources d’incertitude »...

Un système « universel »… nivelé par le bas

Agitant le chiffon rouge des « 42 régimes de retraite » existants, dénoncés comme source d’inégalités, le programme d’En Marche faisait la promesse suivante : « Nous créerons un système universel de retraite où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé. »
Le problème est que cette « égalisation » se fera par le bas, dans le contexte des politiques d’austérité et de diminution de la dépense publique menées par le pouvoir.
Comment fonctionnerait le nouveau système unique ? En cotisant tout au long de sa carrière professionnelle, le ou la salariéE accumulerait des « points » qui seraient convertis en pension au moment du départ en retraite.
Le programme de Macron affirmait ce qui suit : « Le total des droits accumulés sera converti au moment de la retraite en une pension, à l’aide d’un coefficient de conversion fonction de l’âge de départ et de l’année de naissance. L’allongement de l’espérance de vie est donc pris en compte en continu, au fil des générations. Dans la durée, la réforme aura bien un effet financier en garantissant un équilibre sur le long terme. »
Ainsi, la valeur du « point » au moment où le ou la salariéE cotise, et celle au moment de la conversion en pension ne seraient pas connues à l’avance. Elles résulteraient de calculs complexes, faits chaque année, hors de tout débat public, par les gestionnaires des caisses, avec pour seul objectif l’équilibre financier de celles-ci.
Au moment du départ en retraite, la pension ne dépendrait pas seulement du nombre d’années cotisées comme c’est le cas aujourd’hui, mais de l’espérance de vie de la génération concernée, et de la proportion de celles et ceux qui restent au travail et de celles et ceux qui sont en retraite. Si le nombre de retraités augmente et/ou le nombre de cotisants diminue, les pensions baisseront mécaniquement.

Femmes et précaires encore plus pénalisés, l’illusion de la retraite « choisie »

Les retraites de base actuelles tendaient à corriger vers le haut les inégalités en prenant en compte les meilleures années de la carrière du ou de la salariéE (les derniers salaires pour les fonctionnaires, les 10 meilleures années devenues 25 pour le privé). Dans le système par « points » c’est l’ensemble des salaires qui servent au calcul de la pension. Celles et ceux qui auront galéré dans des petits boulots, les femmes aux carrières « hachées » seront encore plus pénalisés au moment de la retraite. Dans ces conditions, présenter, comme le fait Delevoye, le nouveau système comme la possibilité enfin offerte de « choisir » sa retraite, relève du cynisme et de l’hypocrisie. Le « choix » offert sera entre continuer à s’épuiser au travail (si l’on en a un) ou vivre sa retraite dans la misère.

La « solidarité » financée par l’impôt

Dans un système « par points » fondé sur la prise en compte stricte du temps passé au travail, que deviendraient les mécanismes de solidarité qui permettent de compenser les périodes de chômage, de maladie, de maternité ? Qu’adviendrait-il des pensions de réversion (versées aux veufs et aux veuves), des financements permettant d’assurer à toutes et tous une pension minimum ?
Delevoye et le gouvernement se veulent rassurants, mais les déclarations de certains ministres le sont souvent beaucoup moins. Bruno Le Maire n’affirmait-il pas que les pensions de réversion devraient être attribuées seulement aux revenus les plus faibles ?
L’exemple des retraites complémentaires actuelles du secteur privé qui fonctionnent « par points » ne peut que confirmer les craintes. Les mécanismes de solidarité n’y représentent que 6,9 % du montant des pensions servies, alors que ce taux s’élève à 23,1 % dans les régimes de base par annuités.
De plus, dans le nouveau système, « par points », ces mécanismes de solidarité devraient être assurés pour l’essentiel non plus par des cotisations sociales (versées par les employeurs) mais par la « solidarité nationale », c’est-à-dire l’impôt payé avant tout par les salariéEs et les retraitéEs, en particulier la CSG. En un mot, ce sont les salariéEs actifs et retraitéEs qui devraient assurer entre eux une « solidarité » dont les employeurs seraient exonérés.

Fonds de pension et capitalisation : le retour ?

Macron et Delevoye le jurent la main sur le cœur, pas question de toucher au système de retraite par répartition, où ce sont les cotisations versées aujourd’hui par les actifs qui financent directement les retraites d’aujourd’hui sans passer par aucun circuit financier. Leur réforme viserait au contraire à en assurer la pérennité.
La crise de 2008, et la baisse massive des retraites là ou elles étaient gérées par des fonds de pension, ont rendu impopulaire l’idée de « jouer sa retraite en bourse », ou même de compléter une retraite publique insuffisante par un ­« complément » par capitalisation.
Avec la réforme Macron, l’idée fait néanmoins discrètement son retour, pour les revenus les plus élevés. Il est en effet prévu que pour la partie du salaire supérieure à 10 000 euros brut par mois, ces revenus ne cotiseront plus aux caisses de retraite, mais bénéficieront d’incitations financières pour une épargne individuelle.
Mais c’est surtout la baisse massive des pensions, prévisible pour les années à venir, qui poussera inévitablement celles et ceux qui en auront les moyens à assurer par la capitalisation les ressources que les retraites par répartition ne leur garantiront plus.
En programmant le retour à un minimum ne garantissant plus les moyens de vivre décemment, la contre-réforme ouvre très consciemment, mais sans le dire, la porte aux fonds de pension et à la capitalisation.

La réforme Macron va accroître les inégalités femmes-hommes

En 2016, le montant des pensions est en moyenne de1 389 euros bruts : 1 739 euros pour les hommes et 1 065 euros pour les femmes. La retraite des hommes est supérieure de 63,3 % à celle des femmes. Les femmes partent à la retraite en moyenne un an plus tard que les hommes, et sont les plus nombreuses à percevoir une pension d’un faible montant. Sans les dispositifs de solidarité (majoration de pension à partir de trois enfants, validation de trimestres pour la maternité et l’éducation des enfants…), ces inégalités seraient encore plus importantes.
Les inégalités de pensions entre les hommes et les femmes auraient dû baisser car, depuis 40 ans, les femmes sont plus actives, plus diplômées que les hommes et ont de meilleures qualifications. Mais les pensions reflètent les inégalité professionnelles : salaire, emploi, temps partiel. Les contre-réformes depuis 1993 ont pénalisé plus durement les femmes, avec notamment l’allongement de la durée de cotisation, le passage des 10 au 25 meilleures années pour le calcul de la pension …
Le régime « par points » amplifie les inégalités car les pensions réfractent les cotisations versées durant toute la vie professionnelle, ce qui défavorise les personnes qui ont des carrières heurtées (périodes de précarité, de chômage, de bas salaire). Cela se constate dans le cadre des régimes complémentaires. Le régime « par points » ne fera qu’aggraver cette situation intolérable même si des dispositifs de solidarité semblables à ceux actuels sont appliqués, ce qui n’est pas certain puisqu’aucune information précise n’est apportée par le gouvernement.

Les propositions du NPA : des mesures d’urgences !

1. La pension de retraite, c’est le prolongement du salaire
– Le montant de la pension ne doit pas être inférieur au revenu net d’activité ; – Retraite à taux plein dès 35 ans d’activité ; les années d’études, de formation, de chômage, de maladie, de congés maternité doivent être considérées comme des période de travail ;
– Aucune retraite, y compris « le minimum vieillesse », ne doit se situer en dessous du SMIC revendiqué (1 800 euros net) ;
– Les revalorisations doivent être indexées immédiatement sur les augmentations de salaire.
2. Des mesures spécifiques pour les femmes et les travailleurs précaires
Égalité salariale tout au long de la vie. Des mesures spécifiques pour le rattrapage immédiate des pensions pour les femmes et toutes les victimes de la précarité, notamment du temps partiel imposé.
3.La retraite à 60 ans
ChacunE doit avoir la possibilité de partir en retraite dès 60 ans, et 55 ans pour les emplois pénibles, postés, de nuit…
4. Un service public pour les personne âgées et/ou dépendantes
Les personnes âgées doivent être prises en charge à domicile ou en établissement par un service public de qualité, géré par la Sécu, avec des personnels formés, ­qualifiés et en nombre suffisant.
5. Pour financer les retraites, une seule modalité : les cotisations sociales et le partage des richesses
– Non à la fiscalisation de la Sécurité sociale : convertir la CSG en cotisation « patronale » ;
– Augmenter les salaires et créer des emplois par la réduction du temps de travail à 32 heures : c’est le meilleur moyen de donner plus de ressources à la Sécu et de taxer le capital ; – Suppression de toutes les exonérations de cotisations patronales, qu’elles soient ou non compensées par l’État (donc en grande partie par nos impôts) ;
– Convertir les cotisations « salariales » en cotisations « patronales » ;
– Les sommes consacrées à l’intéressement ou à la participation doivent être converties en salaire pour tous et toutes, et soumises à cotisation.
7. Un seul système : la retraite par répartition dans le cadre de la sécurité sociale aucune retraite par point, par compte notionnel, par capitalisation ;
8. Gestion démocratique de la Sécurité sociale et de sa branche « vieillesse »
La Sécurité sociale doit être gérée par ses propriétaires, les assuréEs sociaux : les administrateurs des caisses doivent être élus, les retraitéEs associés à toutes les décisions les concernant.

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