Le chômage

Le Monde - Assurance-chômage : le gouvernement adaptera la réforme à l’annulation de mesures par le Conseil d’Etat

Novembre 2020, par Info santé sécu social

L’arrêt invalide les nouvelles règles de calcul de l’allocation ainsi que le bonus-malus qui vise à moduler les cotisations des entreprises. 

Le gouvernement vient d’essuyer un cuisant revers devant la plus haute juridiction administrative. Saisi par quatre syndicats (la CFE-CGC, la CGT, FO, Solidaires) et par plusieurs organisations patronales, le Conseil d’Etat a annulé, mercredi 25 novembre, deux dispositions emblématiques de la réforme de l’assurance-chômage, mise en place en 2019. La décision concerne des mesures dont l’entrée en vigueur avait été différée par l’exécutif en raison de la crise. Elle n’a donc pas d’incidence sur la situation actuelle des bénéficiaires du régime d’indemnisation et des entreprises.
L’arrêt rendu mercredi par le Conseil d’Etat porte sur l’une des réformes sociales les plus décriées du quinquennat d’Emmanuel Macron. Prise à travers un décret du 26 juillet 2019, elle cherche, notamment, à inciter les demandeurs d’emploi à reprendre un travail stable en décourageant des allers-retours entre contrats courts et périodes de chômage indemnisé. Autre objectif : réaliser des économies, initialement estimées entre 3 et 3,9 milliards d’euros sur trois ans.

Dans cette optique, le gouvernement a modifié les modalités de calcul – terriblement complexes – de l’allocation, celle-ci étant fixée en fonction d’un salaire journalier de référence (SJR). Avant la réforme, le SJR était déterminé en divisant les rémunérations perçues durant une période donnée par le nombre de jours travaillés. Le décret de juillet de 2019 a changé cette formule : les jours non travaillés ont également été pris en compte, ce qui a eu pour effet d’augmenter le diviseur et, par voie de conséquence, de faire baisser le SJR.

Les conséquences potentielles de ces ajustements sont ravageuses pour une partie des demandeurs d’emploi : quelque 840 000 personnes – soit un peu plus d’un tiers des « entrants » dans le régime – verraient leur allocation mensuelle baisser, de 24 % en moyenne, tout en ayant droit à des durées d’indemnisation plus longues, selon une étude d’impact diffusée début novembre par l’Unédic, l’association paritaire qui pilote l’assurance-chômage. Des premiers chiffrages réalisés en 2019 avaient abouti à des constats similaires. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles les syndicats s’étaient opposés au projet.

Dans sa décision de jeudi, le Conseil d’Etat a estimé que ces nouvelles règles « portent atteinte au principe d’égalité ». Le montant du SJR « peut désormais, pour un même nombre d’heures de travail, varier du simple au quadruple », relèvent les juges. Dans certaines hypothèses, cela entraîne « une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi », ajoute la haute juridiction, qui a donc retoqué la disposition incriminée.

Les magistrats ont également invalidé un autre point symboliquement important du décret : il s’agit du bonus-malus qui vise à moduler les cotisations des entreprises dans certains secteurs en fonction du nombre de contrats de travail prenant fin. Cette mesure, qui entend combattre la précarité sur le marché de l’emploi, était vivement contestée par le patronat – d’où la saisine du Conseil d’Etat par plusieurs fédérations d’employeurs dont Alliance Plasturgie & Composites du Futur. Au départ, elle devait s’appliquer à partir de l’année prochaine mais le gouvernement a annoncé, le 12 novembre, qu’elle n’entrerait pas en vigueur avant 2023.

Victoire partielle
Mercredi, le Conseil d’Etat a annulé la quasi-intégralité du bonus-malus pour des raisons de forme, invoquant une « subdélégation illégale » : la définition de certains mécanismes était renvoyée à des arrêtés alors qu’elle aurait dû intervenir dans un décret.

Les syndicats se félicitent de l’arrêt rendu jeudi, même s’il ne leur donne pas gain de cause sur toute la ligne : d’autres mesures, comme la dégressivité des allocations, qu’ils avaient également attaquées devant le Conseil d’Etat, n’ont pas été invalidées. Bien qu’il s’agisse d’une victoire partielle, François Hommeril, le président de la CFE-CGC, pense qu’elle « remet en cause de façon plus large les motivations du gouvernement, l’actuel comme le précédent, qui prétend que c’est une bonne réforme ». Pour lui, c’est « un atout supplémentaire » dans l’argumentation des organisations de salariés pour « dénoncer l’inanité » d’un tel projet.

Avec l’annulation des règles sur le SJR, « c’est le cœur même de la machine qui saute », affirme Denis Gravouil (CGT). Le pouvoir en place « est mis en difficulté » sur un projet susceptible de causer de gros dégâts, en particulier pour « les jeunes peu diplômés », poursuit-il. « La seule solution est de revenir, dans un premier temps, aux règles antérieures au décret de 2019, et de laisser ensuite les partenaires sociaux négocier une nouvelle, qui arrêtera les conditions d’indemnisation du régime », enchaîne Michel Beaugas (FO). « Encore un petit effort MM. Macron et Castex, jetez donc le reste de votre réforme inepte à la poubelle », écrit Solidaires dans un communiqué. Une position qui est partagée par la CFDT, même si elle n’avait pas saisi le Conseil d’Etat : « Le plus simple sera de renoncer à la réforme », indique Marylise Léon, la numéro deux de la centrale cédétiste.
Mais le gouvernement n’a pas cette intention, manifestement. Il reste dans l’idée, exprimée plusieurs fois depuis septembre, d’aménager le décret de 2019, en tenant compte, désormais, de la décision du Conseil d’Etat. Il sera « procédé à cette adaptation avant le 31 mars 2021 », a précisé, mercredi, dans un communiqué, Elisabeth Borne, la ministre du travail. Des pistes avaient été présentées, le 12 novembre, au patronat et aux syndicats, l’une d’elles consistant à instaurer un plancher pour atténuer la diminution de l’allocation-chômage.

Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières