Le chômage

Médiapart - Droits des chômeurs : six années de mutilations

Février 2023, par Info santé sécu social

La nouvelle réforme de l’assurance-chômage entre en vigueur ce 1er février. Elle ampute de 25 % la durée d’indemnisation. Après s’être attaqué aux fondations du système, l’exécutif a réduit l’accès et le montant des allocations avant de s’en prendre à leur durée. Retour sur six années de destruction des droits.

Cécile Hautefeuille
Le 1 février 2023

Un à un, les verrous ont sauté. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, des pans historiques du système d’assurance-chômage sont tombés, permettant à l’exécutif de rétrécir toujours plus les droits au chômage. Et d’engranger des milliards d’euros d’économie.

Dernier acte ce 1er février 2023 avec la diminution de 25 % de la durée d’indemnisation de toutes les personnes nouvellement inscrites à Pôle emploi ou qui doivent recharger leurs droits. La durée maximale de versement passe, par exemple, de deux ans à dix-huit mois. Six mois évaporés, au motif que la conjoncture économique est jugée « favorable ».

Si le taux de chômage, actuellement de 7,3 %, dépasse les 9 % ou augmente de 0,8 point en un seul trimestre, la durée initiale des droits sera rétablie. C’est le seul baromètre retenu par l’exécutif. Tant pis pour celles et ceux qui vivent dans des bassins d’emploi sinistrés où le taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Le gouvernement veut son plein-emploi et entend l’obtenir en tranchant dans le vif, sans exception.

Officiellement, le but est de venir à bout des « difficultés de recrutement » sur lesquelles larmoient les patrons depuis un an et demi. En réalité, cela poussera surtout les chômeurs et les chômeuses à accepter n’importe quel emploi, à n’importe quel salaire. Et de barrer opportunément la route aux desiderata en matière de hausse salariale (lire sur Médiapart le parti pris de Romaric Godin).

Les économies réalisées au passage seront copieuses. Plus de 4 milliards d’euros par an en « régime de croisière ». La première réforme, entrée entièrement en vigueur en octobre 2021, permet déjà une réduction des dépenses de deux milliards par an. Tout cela sur le dos des chômeurs et des chômeuses dont le sort ne soulève jamais les foules.

Depuis 2017, les atteintes à leur égard ont été particulièrement violentes. Un coup d’œil dans le rétroviseur permet d’en mesurer l’ampleur. Pierre par pierre, l’exécutif a démonté l’édifice, suivant un plan méthodique. Celui d’étatiser le système de l’assurance-chômage pour s’accorder toujours plus le droit… de retirer des droits.

La fin du modèle assurantiel, l’acte fondateur
Le 1er octobre 2018, le modèle social a profondément changé de nature. Depuis cette date, les salarié·es ne cotisent plus à l’assurance-chômage. Un bouleversement, soixante ans tout juste après la création de l’assurance-chômage et son financement par des contributions – les cotisations – de salarié·es et d’employeurs.

Depuis quatre ans, plus aucune cotisation chômage n’est donc prélevée sur les salaires. La mesure, vendue à l’époque comme un gain de pouvoir d’achat, reste mal comprise. Beaucoup continuent de penser qu’ils ont des droits au chômage parce qu’ils ont cotisé. C’est inexact. Désormais, chacun·e contribue à financer les allocations-chômage par le biais d’un relèvement de la CSG, un impôt directement versé à l’État. Qui peut donc en disposer à sa guise.

En 2018, Mediapart le pressentait : « Désormais, c’est l’État qui décidera quelle part de son budget doit être affectée au financement du système de chômage. Sans aucune garantie qu’à terme, le montant des allocations-chômage ne baisse pas drastiquement, puisque les salariés n’y contribueront plus directement. »

Et c’est précisément ce qu’il s’est produit.

Les droits siphonnés
En 2021, avec deux ans de retard sur le calendrier prévu pour cause de Covid puis de camouflets devant le Conseil d’État, la première réforme a réduit drastiquement les allocations-chômage des travailleurs et des travailleuses ayant des parcours professionnels fractionnés. Les règles de calcul, en vigueur depuis quarante ans, ont été sévèrement redéfinies.

Le premier bilan, publié récemment, est effarant. Un peu plus de la moitié des inscrit·es à Pôle emploi se voient désormais verser moins d’allocations. Elles ont baissé en moyenne de 16 %. Et ont même fondu de 20 % à 50 % pour 15 % des demandeurs et demandeuses d’emploi.

La réforme de 2021 a également durci les conditions pour prétendre à des indemnités. Six mois de travail, contre quatre auparavant, sont nécessaires. Résultat : jamais la part des inscrit·es à Pôle emploi touchant une indemnisation n’a été aussi faible : seulement 36,6 % de l’ensemble des inscrit·es en juin 2022 contre 40,4 % en décembre 2021.

Les plus fragiles et précaires ont payé le prix fort. La baisse d’ouverture de droits est particulièrement marquée chez les jeunes (– 26 %) et les allocataires ayant perdu un CDD (– 30 %). C’est la chute libre, – 37 %, pour les allocataires en contrat d’intérim.

Voilà pour les effets concrets sur les demandeurs et demandeuses d’emploi. Mais les effets promis par le gouvernement, eux, se font attendre. Cette réforme était censée réduire le recours aux contrats courts. C’est raté. Le nombre d’allocataires qui signent des contrats courts et travaillent en « activité réduite » est toujours aussi élevé : 2,2 millions de personnes selon les derniers chiffres, publiés fin janvier. Dans son bilan de la réforme, l’Unédic, gestionnaire de l’assurance-chômage, le souligne : ni les allocataires ni les employeurs ne semblent avoir modifié leurs pratiques.

Le changement de règles devait aussi garantir aux allocataires d’avoir une durée d’indemnisation plus longue. « Il vaut mieux avoir des allocations plus basses mais plus longtemps », martelait Élisabeth Borne en 2021. Encore raté. La réforme entrant en vigueur ce 1er février vient justement leur reprendre ce que le gouvernement présentait comme une juste contrepartie.

Aujourd’hui, les allocations sont donc plus difficiles à obtenir, plus basses et versées moins longtemps. Le siphonnage des droits fonctionne à plein.

Les partenaires sociaux très affaiblis
En reprenant la main sur le financement de l’assurance-chômage, l’État s’est accordé le droit de fixer les règles du jeu, empiétant largement sur le territoire des partenaires sociaux. Autrefois, syndicats et patronat géraient les règles en toute indépendance et négociaient des conventions d’assurance-chômage. Désormais, le gouvernement leur précise, en amont, ce qu’il attend des négociations en termes de règles à revoir et d’économies à en attendre. La loi « avenir professionnel » de 2018 a introduit le concept de « lettre de cadrage », sorte de liste de courses très précise feignant de laisser une marge de manœuvre.

Mais ce qui devait arriver… arriva. Incapables de se mettre d’accord sur des consignes aussi strictes, les partenaires sociaux ont été contraints début 2019 de reconnaître l’échec de leurs négociations. Et l’État a décidé tout seul de la première réforme de l’assurance-chômage.

Trois ans plus tard, bis repetita mais en pire. Le gouvernement n’a même pas pris la peine d’envoyer une lettre de cadrage aux partenaires sociaux. Le Medef, dès l’été 2022, avait de toute façon enterré toute idée de négociation. En novembre, l’exécutif a donc fait inscrire dans la loi le principe de « modulation » des allocations en fonction de la conjoncture économique. Puis organisé un simulacre, non plus de négociations, mais de simples « concertations » avec les partenaires sociaux. Les syndicats étaient invités à donner leur avis sur une mesure qu’ils rejetaient unanimement.

De nouvelles négociations sont censées se tenir en janvier 2024 dans un décor déjà bien planté. La modulation figure dans la loi et le cadre des discussions aura encore été renouvelé. Les partenaires sociaux doivent, dans les prochains mois, discuter de la refonte de la gouvernance de l’Unédic.

Pour le moment, cette gouvernance est tripartite, répartie entre État, syndicats et patronat. D’après Les Échos, le Parlement pourrait, à l’avenir, entrer dans la danse. Olivier Dussopt a promis un document d’orientation « très ouvert », mais ce dernier se fait attendre. Les partenaires sociaux devaient le recevoir fin janvier 2022, ils n’en ont toujours pas vu la couleur. Pourtant, le temps presse et l’enjeu est majeur.

Casser le sytème à coups de mensonges et d’idées reçues

Les discours anti-chômeurs et chômeuses n’ont pas émergé en 2017, loin de là. Mais il faut reconnaître à l’exécutif une sérieuse application à les diffuser depuis six ans. Des chômeurs en vacances de Christophe Castaner aux « fraudeurs » de la recherche d’emploi de Muriel Pénicaud, en passant par le célèbre « traverser la rue » du président, le mythe du demandeur d’emploi fainéant et profiteur a été bien entretenu. Et le terrain des deux réformes solidement préparé.

La première repose même sur une immense arnaque intellectuelle, dénoncée dès 2019 par Mediapart. Le chiffre choc du gouvernement affirmant que 20 % des chômeurs et chômeuses indemnisées par Pôle emploi toucheraient « une allocation-chômage supérieure à la moyenne de leurs revenus » a été martelé partout. Il n’était pourtant qu’une illusion statistique.

Force est de constater que ces discours fonctionnent. Car plus les règles sont sévères, plus le regard des Français·es sur les chômeurs et les chômeuses est sévère. En décembre 2022, le dernier baromètre « sur la perception du chômage et de l’emploi » publié par l’Unédic a mis en lumière une progression du « soupçon à l’égard des demandeurs d’emploi ». La moitié (49 %) des personnes interrogées affirment « que la plupart des chômeurs ne cherchent pas vraiment à retrouver un emploi ». Près des deux tiers considèrent même que « les chômeurs ne veulent pas risquer de perdre leur allocation-chômage ».

Pourtant, et c’est peu de le dire, ils ont déjà beaucoup perdu, en très peu de temps.

Cécile Hautefeuille