Amerique du Nord

Le Monde.fr : De 50 à 17 000 dollars par mois : aux Etats-Unis, en fonction de votre assurance, le yoyo du prix des médicaments

Novembre 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : De 50 à 17 000 dollars par mois : aux Etats-Unis, en fonction de votre assurance, le yoyo du prix des médicaments

Le régime de santé publique Medicare n’a pas le droit de négocier avec les laboratoires, et le montant final peut être spectaculaire. Le projet de réforme des démocrates fait face à l’opposition farouche de l’industrie.

Par Arnaud Leparmentier(New York, correspondant)

Publié le 10/11/2021

Le diagnostic n’était pas réjouissant, mais il existait un médicament pour contenir la maladie : au printemps 2020, la médecin septuagénaire Sally Pinkstaff a commencé à prendre chaque jour un comprimé de Revlimid. Ce médicament fabriqué par le laboratoire Bristol Myers Squibb est censé ralentir la progression du myélome, un cancer de la moelle osseuse. « Je travaillais encore à l’époque, se souvient cette spécialiste du diabète de Baltimore. Le premier mois, en juin, j’ai payé 50 dollars [43 euros]. »

Sauf qu’à l’été 2020, Mme Pinkstaff a pris sa retraite, perdu son assurance privée et basculé, comme c’est la norme, dans le régime de santé publique des retraités Medicare. Et là, c’est le choc : elle découvre le prix de son médicament, environ 17 000 dollars par mois, et arrête de le prendre en juillet, le temps d’y voir plus clair dans ses finances. L’addition est douloureuse, malgré son assurance Medicare : « En août, j’ai dû payer 3 075 dollars pour vingt et une pilules », confie-t-elle. Les mois suivants, l’addition atteint 936 dollars. Au total, la retraitée a dû payer pour ses médicaments 6 657 dollars en 2020.

Cette mésaventure a été l’occasion pour Sally Pinkstaff d’explorer les méandres de la facturation des médicaments pour les retraités. Son assurance fonctionne sur le système très complexe mais classique des Etats-Unis : première étape, les 425 premiers dollars de médicament sont à votre charge ; deuxième étape, vous devez payer le quart du prix de vos médicaments, ce qui explique la facture mirobolante du mois d’août : troisième étape, si votre « reste à charge » personnel dépasse les 6 350 dollars, niveau qualifié très officiellement de « catastrophique » par Medicare, vous ne payez plus « que » 5 % du prix catalogue de votre médicament, ce qui a donc fait tomber les mensualités à 936 dollars.

En 2021, rebelote : une facture énorme de 3 175 dollars en janvier, qui se réduit à partir de février à 936 dollars, les plafonds « catastrophiques » ayant été dépassés. Mme Pinkstaff a cherché à réduire son addition. Elle a donc fait toute une série de demandes auprès de Brystol Myers Squidd pour obtenir la gratuité de son traitement. « Si vous payez plus de 3 % de votre salaire annuel en médicaments, vous pouvez être éligible à la gratuité. Ils l’ont approuvé à partir de juillet », nous explique Mme Pinkstaff, qui aura quand même payé 7 854 dollars en 2021.

110 000 dollars par an pour le Revlimid
Comme toujours, le système américain comporte des filets de sécurité, légaux avec le fameux niveau « catastrophique » atteint chaque année par 1,5 million d’Américains, ou associatifs. Encore faut-il savoir y naviguer. « La plupart des gens ne seraient pas capables d’accomplir toutes les démarches que j’ai faites. Ils n’arriveraient pas à fournir tous les documents demandés », précise Sally Pinkstaff. Perdus dans la bureaucratie et incapables d’avancer la trésorerie nécessaire, certains Américains sont conduits à ne pas se soigner, comme l’a fait Mme Pinkstaff pendant un mois.

La médecin retraitée explore actuellement la possibilité de se fournir au Canada, où les prix sont traditionnellement plus bas. « Cela serait moins cher de prendre l’avion pour aller acheter les médicaments », estime-t-elle, citant un membre de sa famille qui se fournit sur Internet au Canada. Elle finit par nous demander : « Vous pensez que je pourrais acheter mes médicaments en France ? » Le prix du Revlimid y a fait débat, mais il est remboursé par la Sécurité sociale et est facturé, selon les dosages, entre 2 518 et 3 064 euros par mois.

Les démocrates annoncent qu’ils continuent de travailler à un consensus sur des questions comme le prix des médicaments sur ordonnance, lors d’une conférence de presse, à Washington, le 2 novembre 2021.
Les démocrates annoncent qu’ils continuent de travailler à un consensus sur des questions comme le prix des médicaments sur ordonnance, lors d’une conférence de presse, à Washington, le 2 novembre 2021. ALLISON SHELLEY / GETTY IMAGES / AFP
Le cas de Mme Pinkstaff n’est pas isolé : le Revlimid coûte à Medicare et à ses patients 4,7 milliards de dollars par an pour 42 000 patients (la facture par patient est de 110 000 dollars, dont 14 400 dollars de reste à charge, selon la Kaiser Family Foundation).

Le plan Biden « menace l’innovation »
Cette affaire met en lumière le coût exorbitant des médicaments et leur mauvais remboursement. La branche médicaments de Medicare, qui couvre les dépenses de santé des retraités depuis les années 1960, a été créée en 2006, sous la présidence républicaine de George W. Bush. Elle couvre aujourd’hui 47 millions d’Américains, qui ont ensemble une force de frappe de 146 milliards de dollars d’achats de médicaments en pharmacie (36 % des dépenses américaines).

Mais, aussi incroyable que cela puisse paraître aux Etats-Unis, Medicare est obligé d’acheter les médicaments au prix catalogue. Elle n’a pas le droit de négocier les prix avec les laboratoires. Les démocrates veulent y mettre fin et assurent avoir trouvé un accord dans le cadre du plan social de Joe Biden : il faudrait attendre au moins neuf ans après la mise sur le marché d’une molécule avant de pouvoir négocier le prix, tandis que le reste à charge des retraités serait plafonné à 2 000 dollars.

Si le plafonnement du reste à charge a été salué par le syndicat de l’industrie pharmaceutique PhRma, la négociation du prix suscite un tollé chez les laboratoires. « S’il est adopté, ce plan bouleversera le même écosystème innovant qui nous a apporté des vaccins et des thérapies salvateurs pour lutter contre le Covid-19. Sous couvert de “négociation”, il donne au gouvernement le pouvoir de dicter la valeur d’un médicament et laisse de nombreux patients confrontés à un avenir avec moins d’accès aux médicaments et moins de nouveaux traitements », dénonce le communiqué de PhRma. Le texte conclut que le plan « menace l’innovation et aggrave encore plus un système de santé défaillant ».

L’accord, annoncé par un communiqué de la Maison Blanche, est soumis au vote du programme social Build Back Better (« reconstruire en mieux »), toujours en cours de négociation au Congrès.

Arnaud Leparmentier(New York, correspondant)