Amerique du Nord

Alternatives Economiques : Déserts médicaux : au Québec, la méthode des quotas atteint ses limites

Août 2023, par infosecusanté

Alternatives Economiques : Déserts médicaux : au Québec, la méthode des quotas atteint ses limites

LE 29 AOÛT 2023

Au Québec, depuis vingt ans, les généralistes ne peuvent s’installer où bon leur semble, mais ce système de régulation rencontre des résistances.
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Par Alexis Gacon

Des deux côtés de l’Atlantique, la suppression de la liberté d’installation des médecins fait débat. Grosse différence pourtant : en France, la question reste un serpent de mer – examinée à l’Assemblée nationale lors d’un projet de loi en juin dernier, elle a été à nouveau enterrée – alors qu’au Québec, cela fait vingt ans que les généralistes expérimentent cette restriction.

A la sortie de leur formation, ces derniers doivent respecter des quotas de postes réservés par région. Quand la limite est atteinte dans une zone qui attire, comme Montréal, ils ne peuvent s’y établir et doivent opter pour une autre région, avant de tenter de revenir dans celle qu’ils préfèrent. Après trois ans en région éloignée, voire insuffisamment pourvue en médecins, ils obtiennent le droit de s’installer où ils le souhaitent, même si les quotas sont pleins.

Le docteur Renaud Boivin-Gagnon, impliqué dans le recrutement des médecins en Montérégie, en banlieue de Montréal, résume ainsi le système :

Mettre l’entreprise au service de l’intérêt général
« A supposer que Montréal ait 70 postes par année, mais que 100 médecins demandent à s’y installer, 30 ne pourront pas. Les PREM [plans régionaux d’effectifs médicaux] forcent à aller vers des régions moins populaires. »

La sélection ne se fait pas sur les notes durant le parcours, mais sur des entretiens, pour savoir notamment si les besoins d’une région correspondent au parcours du médecin. La possibilité d’apporter son soutien aux urgences, ou dans les Ehpad locaux, peut être un critère retenu.

Au Québec, une retenue sur salaire pour les médecins contrevenants
Les PREM, qui n’existent pas dans les autres provinces canadiennes, font partie de la vie du médecin dans le public. Ils établissent le nombre de généralistes et de spécialistes qui ont le droit de travailler dans chaque région. Pour chacune, les principaux critères pour calculer les quotas sont les suivants : le ratio de médecins pour 100 000 habitants, le taux d’inscription de la population à un médecin traitant et l’indice de vulnérabilité de la population.

En ce moment, par exemple, aucune place n’est disponible à Montréal pour des nouveaux généralistes, tandis que dix le sont en Gaspésie (tapez Gaspésie dans Google Images, vous aurez envie d’entreprendre des études de médecine pour venir les combler !). Et attention aux contrevenants qui décideraient de s’installer dans une région où la jauge est atteinte, la Régie d’assurance maladie du Québec (la Sécu locale) leur amputerait 30 % de leur salaire annuel.

Les PREM, créés au début des années 2000, sont nés d’un constat : les régions intermédiaires et éloignées se vident de leurs médecins. « Un drame avait frappé les esprits : quelqu’un s’était présenté à minuit devant une urgence en région, fermée par manque de personnel, et il était mort », explique Ariane Murray, chef du Département régional de médecine générale de Montréal.

Elle fait partie d’un comité qui évalue l’efficacité des quotas régionaux. « Le but des PREM est tout à fait noble : offrir un accès équitable aux soins. »

Car au Québec aussi, le nombre de médecins généralistes fluctue grandement selon les régions. La plus faible densité moyenne se trouve dans Lanaudière, proche de Montréal, avec 94 médecins généralistes pour 100 000 habitants, contre plus de 120 dans la région de Québec. En France, Mayotte est la moins bien lotie, avec 50 pour 100 000, Paca caracolant en tête avec plus de 170, selon l’Insee.

Résultats probants
Difficile d’y voir très clair, car aucune étude publique sur l’efficacité de cette répartition n’existe au Québec. Un rapport, explique-t-on au ministère de la Santé, est en préparation pour cet automne. Mais certaines organisations s’y sont penchées. Dans un mémoire, la Fédération médicale étudiante du Québec indique que sur la période 2005-2010, l’objectif de pourvoir 80 % des postes autorisés par les PREM pour les généralistes a été largement atteint, et que 100 % des postes l’ont été en 2010, ce qui montre un certain succès, durant les premières années.

Par ailleurs, si l’on prend l’exemple de deux régions citées comme pauvres en médecins, l’Abitibi-Témiscamingue et la Côte-Nord, le nombre de généralistes pour 100 000 habitants est passé, entre 2007 et 2019, respectivement, de 124 à 145 et de 154 à 176. Sans connaître l’impact direct des PREM sur ces chiffres, les quotas ne semblent pas les avoir desservis. Mais actuellement, des postes restent vacants à l’échelle de la province : le quotidien québécois Le Devoir indique que 140 n’ont pas trouvé preneur ces deux dernières années.

Par courriel, le ministère de la Santé du Québec défend cependant l’esprit des PREM. Marie-Pierre Blier, des relations avec les médias, nous précise :

« Le fait que les régions éloignées et intermédiaires parviennent à combler la majorité des places prévues à leur PREM est une démonstration, en soi, de leur efficacité. »

Elle ajoute que les autres provinces canadiennes, en l’absence de quotas, dépendent des généralistes formés en dehors du Canada et des Etats-Unis, avec une proportion de médecins formés à l’étranger deux fois plus grande qu’au Québec. D’autres pourraient arguer que les médecins étrangers aideraient à combler les manques régionaux québécois…

Passage au purgatoire
Pour Jean-Pierre Dion, porte-parole de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), si les PREM ont des effets sur les déserts médicaux, ils sont seulement temporaires, car les médecins de famille ne s’y établissent pas durablement. « En Côte-Nord par exemple, un noyau dur de généralistes s’est installé là depuis vingt-cinq ou trente ans. Mais l’autre moitié connaît du roulement, avec des gens qui restent deux à quatre ans tout au plus. »

Le système de quotas est l’une des raisons de la désaffection des étudiants pour la médecine générale
Le chercheur Damien Contandriopoulos, docteur en santé publique et professeur associé à la faculté des sciences infirmières de l’université de Montréal, confirme observer un retour des médecins urbains sur leurs terres, après leur passage obligé. « Après le premier mouvement subi, on voit un second vers les grands centres. Des médecins considèrent la région comme un purgatoire », constate-t-il.

Ariane Murray voit dans les PREM une des raisons de la désaffection des étudiants pour la médecine générale, très souvent boudée. Presque la totalité des postes disponibles de médecins dans le public au Québec sont des généralistes, selon la FMOQ. « Si ma famille habite à Montréal, et que j’ai un père vieillissant, je ne vais pas aller à la Baie-James… »

Renaud Boivin-Gagnon reconnaît que ses pairs sont plutôt contre le système en place :

« Souvent, c’est mal reçu. Les jeunes médecins disent qu’après une longue formation, c’est normal de pouvoir s’installer où ils le souhaitent. Moi, je trouve que c’est une bonne chose de guider l’installation. Aller dans un second choix, parce qu’il y a plus de besoins là-bas, est un bel entre-deux, entre la liberté et la nécessité de répondre à l’ensemble de la population. »

Vers un assouplissement du système
Pour lutter contre la pénurie de personnel dans les régions, il existe d’autres solutions, que préconise Ariane Murray, comme les campus d’universités citadines délocalisées dans des régions moins bien servies en médecins. « Des étudiants formés en région peuvent tomber amoureux d’un coin et décider de s’y établir », soutient-elle. L’université de Sherbrooke a ouvert un campus de médecine délocalisé à Saguenay. En 2016, plus d’un tiers des médecins formés là-bas avaient choisi de s’établir sur place. Des études montrent que le chemin de la rétention des médecins dans les zones dépeuplées passe par là.

Une autre option serait de bonifier les candidatures des jeunes étudiants qui proviennent de régions en souffrance, poursuit la chef du Département régional de médecine générale de Montréal :

« Il a existé un programme pour avoir davantage d’étudiants en médecine d’origine autochtone. La note "plancher" pour entrer dans la formation était moins élevée. On pourrait sélectionner des régions en déficit de médecins et, de la même manière, augmenter le nombre de places en médecine pour ces étudiants-là, leur faciliter l’accès. »

Après avoir entendu les critiques des futurs médecins sur les quotas, le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, a annoncé des assouplissements ce printemps du modèle des PREM, en donnant davantage de prérogatives aux régions. Elles pourront répartir leurs postes en fonction des besoins prioritaires déterminés par elles-mêmes, alors qu’auparavant le ministère décidait quels postes seraient affectés dans chaque sous-territoire. Ce dernier fixe par exemple le nombre de places au PREM en Abitibi-Témiscamingue, mais la région pourrait décider d’en envoyer plus dans le Témiscamingue.

Le ministère nous précise aussi que « les nouveaux médecins pourront choisir la région dans laquelle ils souhaitent travailler (...) en fonction de leur intérêt et de leur expertise ». Les jours des quotas semblent comptés. Le Québec en aura-t-il encore le jour où la France se décidera à en adopter ?

Alexis Gacon