Les retraites

Le Monde.fr : Réforme des retraites : « Financer la solidarité avec les vieux est un vieux débat… »

Janvier 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Réforme des retraites : « Financer la solidarité avec les vieux est un vieux débat… »

Tribune

Christophe Capuano

Historien

L’historien Christophe Capuano retrace, dans une tribune au « Monde », les avatars de l’aide aux personnes âgées qui, depuis la fin du XIXe siècle, met en lice l’Etat, les syndicats et les assureurs.

Publié le 17 janvier 2020

Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que la prise en charge collective des personnes trop âgées pour travailler, et de son financement, est l’objet d’un débat. Jusqu’alors, dans le contexte d’une République libérale peu interventionniste, les solutions individuelles, familiales ou mutualistes prédominaient. Le modèle de protection sociale repose alors sur la prévoyance libre fondée sur l’épargne, la possession d’un capital ou d’un patrimoine. Avec la Charte de la mutualité (1898), qui libéralise le système et assouplit le contrôle de l’Etat sur les sociétés de secours mutuels, le phénomène mutualiste s’amplifie sans toutefois transformer la mutualité en forme courante de la protection sociale (pas plus de 10 % de la population y a recours en 1913). Les besoins sont pourtant immenses, car peu d’actifs ont pu épargner pour leurs vieux jours, cotiser à une mutuelle, être affilié à une caisse patronale ou bénéficier de l’un des rares régimes de retraite spécifiques (celui des mineurs est créé en 1894).

L’aide sociale

Par crainte de sombrer dans la misère, ces vieux travailleurs gardent donc jusqu’au bout une activité professionnelle, alors qu’ils sont souvent usés par l’industrialisation qui met leur corps à l’épreuve. Ils doivent ensuite se tourner vers une solidarité de proximité qui leur assure une petite aide financière, en nature ou en services, ou solliciter les œuvres charitables et les bureaux de bienfaisance municipaux.

C’est pour rompre avec ces logiques privées et locales que les parlementaires de la IIIe République dessinent, sous l’influence de la doctrine sociale solidariste de Léon Bourgeois, les bases de l’Etat social, avec un double dispositif national. D’un côté une grande loi d’assistance en 1905 pour répondre à l’urgence, au bénéfice des vieillards d’au moins 70 ans et des infirmes sans ressources ; elle restera en vigueur jusqu’aux années 1950 avant d’être remplacée par l’aide sociale (1953). De l’autre, une loi sur les retraites ouvrières et paysannes, en 1910.

La première connaît un succès au-delà de toute prévision, parce que les vieillards constituent la grande majorité des populations pauvres ; elle est en partie financée par l’Etat mais gouvernée par les municipalités puis les conseils généraux, qui en font un enjeu politique. La seconde, fondée sur une logique contributive, est au contraire un échec, car elle ne répond pas aux attentes des ouvriers et de leur principal syndicat, la CGT : l’âge légal retenu est trop élevé (65 ans alors que l’espérance de vie est inférieure à 50 ans…), ses dispositions sont trop contraignantes – même si l’adhésion est en partie volontaire – et le montant de pension insuffisant. Les mutualistes et le patronat sont autorisés à gérer leurs propres caisses de retraite, à collecter les cotisations et à payer les pensions, mais c’est néanmoins la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse (CNRV), contrôlée par l’Etat, qui est privilégiée par le dispositif.

L’institution du « risque » vieillesse est la première étape vers l’adoption d’un modèle par répartition

Le système choisi, fondé sur le financement par capitalisation, montre rapidement ses limites. Les pensions, liées à la stabilité de la monnaie, tendent à décliner au fur et à mesure que celle-ci perd de sa valeur ; elles seront laminées par l’inflation consécutive à la Grande Guerre, qui entraîne la défiance des salariés (un sur sept seulement cotise régulièrement), la chute des cotisations et le déséquilibre le système : les versements de l’Etat pour compléter les pensions représentent six fois le montant des cotisations en 1926 (33 millions de cotisations encaissées pour 240 millions versés) !

L’adoption des assurances sociales en 1930 rend l’adhésion des salariés obligatoire au-dessous d’un plafond de ressources. L’institution du « risque » vieillesse est la première étape vers l’adoption d’un modèle par répartition. Certes, le système mixe encore capitalisation et répartition. La loi répartit les rôles entre l’Etat, chargé de la perception des cotisations, et les caisses d’assurances sociales regroupées en unions régionales qui assument, avec une certaine autonomie, le service des prestations. Malgré de mauvaises rentrées de cotisations, dues notamment à leur montant élevé, la situation financière florissante des caisses rend possible, en 1935, une baisse du taux de cotisation de 8 à 7 % et une diminution des trois quarts des subventions de l’Etat.

Mais les effets de l’inflation en période de guerre sur la capitalisation rendent inévitable l’instauration par le régime de Vichy, en 1941, d’une allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS). Le régime par répartition s’imposera avec la création de la Sécurité sociale en 1945. A la différence de la capitalisation, les actifs cotisants sont désormais assurés d’une pension garantie en fonction de leur revenu professionnel et indexée sur les salaires. Incarnant la solidarité publique intergénérationnelle, le système par répartition, mieux adapté à l’inflation, va se révéler efficace tout au long de la seconde moitié du siècle, montant en charge en fonction des années de cotisation.

¶Christophe Capuano est historien à l’université Lyon-2, membre du Comité d’histoire de la Sécurité sociale